Primeurs, échantillons, mythes & réalités


Alors que la campagne primeur démarre enfin à Bordeaux, c’est le moment de critiquer… les critiques sur les forums. « On les roule dans la farine »… « Les échantillons sont bidonnés… » « Tout le monde sait comment fabriquer un échantillon pour l’un ou pour l’autre… » « On rajoute tel ou tel produit plus ou moins interdit, on prélève la meilleure barrique ou bien on va chercher des bons vins chez le voisin pour éviter de présenter les siens ». Amusant.

Pour avoir souvent goûté des échantillons de vins jeunes et pour en présenter moi-même aujourd’hui à la presse ou à mes clients, je suis persuadé que les vignerons qui « bidonnent » leurs échantillons ne représentent qu’une infime minorité de la profession.

Ne serait-ce que parce que pour avoir un échantillon apte à impressionner un dégustateur tel que Bernard Burtschy, Michel Bettane, Robert Parker ou un autre, il faut sacrément bien connaître les goûts de chacun des personnages et avoir une idée très précise de ce qui est pour lui un « grand vin ». Ensuite, il faut avoir en cave au moins un peu de vin de cette qualité, ce qui n’est pas donné à tout le monde (aller le chercher chez le voisin « consentant » relève pour moi de la farce…). D’ailleurs, si un vigneron est à ce point capable de « fabriquer » ou de « maquiller » un vin, ce qui reste à démontrer (si c’était facile, les vins de négoce seraient meilleurs que ceux des vignerons…), c’est alors qu’il a un véritable talent d’éleveur et qu’il sait ce qu’il faut faire pour réussir ce genre de vin. Dans ce cas, je vous assure qu’il le fait…

Cela me rappelle la grande époque de Gault & Millau ou les deux compères, aux visages fort connus, étaient accusés de se voir servir des assiettes « spéciales » lorsqu’on les reconnaissait. « Mais si l’on sait si bien faire la cuisine pour nous, pourquoi se forcer à la faire mauvaise pour les autres le reste du temps ? », répondaient-ils avec justesse et humour.

Non, le vrai problème est bien que beaucoup de vignerons sont incapables de prendre du recul sur leur production, de vraiment l’évaluer, d’avoir des idées pour l’améliorer. Tout simplement, ils ne font pas du bon vin parce qu’ils ne savent pas ce qu’est un bon vin. C’est étonnant, stupéfiant même, mais c’est la réalité.

Reste le problème de la répartition entre premier, second et troisième vin, dans le cas des grands châteaux, au moment des assemblages. Là aussi, l’information circule vite et il n’y a qu’à lire le dernier « reclassement » du classement de 1855 de la RVF (1) pour voir que ceux qui ont la main « large » au moment des assemblages sont vite sanctionnés. Et les journalistes, entre eux, discutent bien volontiers de ce genre de chose…

En tout cas, pour 2004, il n’y aura pas de problèmes lors des assemblages car il faut remonter loin en arrière pour trouver des caves aussi pleines de très bons lots (chez ceux qui font très bons, pour le reste, le problème ne se pose même pas :)). Le millésime 2004 à Bordeaux fut en effet très généreux et les chais sont (en) gorgés d’excellents vins. La demande étant du genre « molle », il y aura, je pense, de remarquables opportunités à saisir au niveau des seconds vins qui seront abondants, concentrés et sans doute assez bon marché.

Au Clos des Fées, faute de place à l’origine et par choix personnel aujourd’hui, les assemblages définitifs de tous les lots sont réalisés depuis fin février. Plus moyen de revenir en arrière. C’est beaucoup plus simple au niveau des labels, honnête au niveau des clients. Et nous continuons à présenter les échantillons lors des dégustations « collectives » organisées par le syndicat de cru. Un bon moyen de se remettre toujours en question, de ne jamais se croire « arrivé » et voir si, au milieu de vins chaque année meilleurs, nous arrivons toujours à émerger, à sortir du lot, à affirmer notre style et la puissance de notre terroir.

(1) au passage, je souligne ce remarquable et oh ! combien difficile travail de Bernard Burtschy qui arrive à prendre en compte le rythme de développement de crus moins brillants dans leur jeunesse mais qui se dévoilent brillamment plus tard. Il montre que ceux qui le prenaient pour une poire devront se lever tôt pour arriver à le gruger…

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