AOCE et AOCM


Assisté hier soir à ma première réunion syndicale. Le syndicat de l’AOC « Cotes du Roussillon » se réunissait afin de valider le projet de ré-écriture de son décret d’appellation dans le cadre de la grande réforme lancée par Monsieur René Renou. Je ne sais pas si nous les aurons un jour ces fameuses AOCE, ces AOC « d’Excellence », qui, on nous l’assure, vont sauver le système, mais ce que je sais depuis hier soir, c’est que si le décret des Côtes du Roussillon est validé de la manière qui nous a été proposé, nous aurons vu la naissance d’une magnifique AOCM, « M » pour… Médiocrité.

Il fallait le voir pour le croire. Explication animée pour m’expliquer, alors que je proposais que l’on interdise par décret tout recours à la chaptalisation, afin de donner un signe fort d’engagement vers la qualité, qu’ICI, « Monsieur » on ne « chaptalisait pas », Monsieur, on « enrichissait avec du moût de raisin naturel, légèrement concentré »… Et que de plus, c’était « indispensable » à la « qualité » de nos vins, qui, souvent, en Roussillon, « n’atteignait pas les 11° minimum exigés par l’appellation » (on est quand même la région la plus ensoleillée de France, au cas où vous ne le sauriez pas), alors qu’un bon vin d’ici « se doit de faire 13 ° », valeur trop souvent « difficile » à atteindre. Difficile quand on vendange le 10 septembre, en vitesse, pour partir à la chasse. Ou quand les vignes sont farcies de vers de la grappe et qu’on vendange en catastrophe, sans se soucier de la qualité.

Quelques minutes après, c’est un autre qui monte au créneau pour expliquer à son tour que l’autorisation de l’irrigation est « indispensable » pour la « qualité » des vins du Roussillon. En effet, difficile, d’après lui, d’avoir içi des rosés « équilibrés », car les vins seraient chez nous naturellement trop…alcoolisés. Grognement de satisfaction dans la salle. J’attends en silence que quelqu’un réagisse : enfin, les vins du Roussillon sont-ils trop ou trop peu alcoolisés ? Faudrait savoir. Personne ne bouge. Rire ? Pleurer ? J’hésite. Ca y est, je sais si l’on veut prendre des part de marché à Listel, il faut se lancer dans le vin gris. C’est vraiment moi qui n’y comprends rien, à l’AOC.

Naïvement, j’évoque ensuite la nécessité d’un nouvel examen, plus rigoureux, de la délimitation de l’aire. L’air commence à bruisser d’une franche hostilité et le ton monte. J’explique pourtant qu’à la création de l’AOC, l’aire s’est calquée sur celle des vins doux naturels, à l’époque intouchables, et que certains bas-fonds, tout juste aptes à produire des vins de table destinés au mutage, ne sont pas capables de produire des Côtes du Roussillon dignent de ce nom. Tollé dans la salle. Le ton monte. L’ambiance est électrique.

Mon ami Etienne Montes monte courageusement au créneau pour tenter de défendre le Carignan qui reste le cépage à abattre : nouvelle limitation à 40 % de l’encépagement au lieu de 60 % actuellement. Je ne suis pas un fanatique de ce cépage, mais je comprends que l’on veuille et l’on puisse faire un bon vin avec ce cépage dont nous détenons certaines des plus belles et des plus qualitatives sélections massales. « Impossible, le Carignan, c’est démodé », m’explique t’on. Les « techniciens » l’ont affirmé (lesquels « techniciens » n’ont jamais vendu une bouteille de vin de toute leur vie). Un autre précise que « dans les concours, ce sont les vins à dominante Syrah qui raflent les médailles. Alors… ». Comment discuter, comment expliquer, comment communiquer avec des gens qui ne boivent jamais de vin en dehors de la buvette de la cave coop et ne sont JAMAIS confrontés au marché ? Le matin même, deux jeunes du Priorat sont venus goûter au domaine, ultra-fiers de leur Carignan-Grenache qui s’arrache à l’exportation… « Vérité au-delà des Pyrénées, erreur en deçà », voilà une phrase célèbre que je n’aurais jamais imaginé pouvoir placer si à propos… En avant donc pour 2 000 nouveaux hectares de plantation copieusement subventionnées de Syrah en clone B ou C donc hyperproductive, sur 110 ou, pire, sur SO4. Quels vins ferons nous dans dix ans avec ces vignes ? Personne ne le sait, tout le monde s’en fout, du matériel végétal, car d’autres questions sont plus urgentes : « l’état s’engagera t’il ? ». Sous entendu, aurons nous plus d’aides, de subventions, d’exonérations…

De bonnes choses quand même dans ce futur « nouveau décret virtuel », comme le « rendement agronomique » qui fait son apparition à 9300 kg/ha et qui permettra enfin un vrai contrôle parcellaire. Positif aussi l’autorisation (enfin !) du Grenache Gris dans le Côtes du Roussillon Blanc, AOC qui devient plus « libérale » tout en faisant rentrer… le muscat dans ses cépages autorisés (Sic.). J’y rajoute une vraie réforme du label, positive à mon sens, car sans doute plus efficace et responsabilisant le négoce. En attendant, le label ne sera valable qu’un an, et les vins devront être représentés chaque année s’il n’ont pas été embouteillés ou vendus. Saluons enfin l’entrée dans les mœurs de « l’engagement parcellaire » qui permettra d’arrêter de se moquer du monde (comment contrôler une parcelle en zone mixte si l’on ne sait pas à quel vin elle est destinée ?)


Bon, de toute façon, on ne vote pas. Ici, ce n’est pas « un homme, une voix » mais bien « plus je produit d’hectolitres, plus j’ai de droits de votes ». Les coopératives représentant 65 % de l’appellation, il n’y a que deux ou trois vignerons indépendants présent qui osent à peine prendre la parole. Le vote traîne un peu parce qu’on vérifie les pouvoirs, une voix rocailleuse s’élève : « On ne va quand même pas se laisser emmerder par une cave particulière ! ». C’est vrai, il est tard, les jeux sont faits de toute façon ; et puis c’est l’heure de l’apéritif… Circulez, y a plus rien à voir. Dans la voiture, en rentrant, des sentiments contradictoires m’assaillent : « dégoût », « désespoir », « révolte », « résignation ». Dans la soirée stabilisation sur « mélancolie ».

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