Mariann, tiens bon !


Chère Mariann*,

On ne se connait pas et, sans doute, cette lettre ne te parviendra t-elle jamais. Ou si elle te parvient, tu penseras probablement « de quelle arrogance ce minuscule vigneron du Roussillon est il capable, pour oser ainsi m’apostropher ? ! ». Vois-tu, chère Mariann, « la seule chose qui puisse compenser l’immodestie, c’est la sincérité », comme l’écrivait un jour Michel Déon ;-). Et, si nous devenons ami un jour — on a vu des choses plus étranges;-), tu verras que la sincérité n’est pas la moindre de mes qualités (de mes défauts ???), une qualité qui m’a coûté cher, parfois, mais que j’assume et entretiens avec soin.

Bon, chère Mariann, je voulais t’écrire ce petit mot, depuis plusieurs jours, pour te parler des propositions de réformes que la commission européenne a adoptées, à la suite de ton travail, le 4 juillet dernier.

La première chose que je voulais te dire, Mariann, c’est : « Chapeau ! ».

Cela faisait longtemps que l’on avait pas vu un tel caillou dans la petite mare de la profession viticole. Je tenais à te le dire, même si je n’approuve pas aveuglément tout ce que tu proposes, que c’est drôlement courageux d’essayer le changement, la rupture, autre chose, quoi. Tu le sais, tous les « immobiles », tous les « arcboutés sur leurs certitudes », tous ceux qui, dans l’échec complet, incapables de vendre une bouteille de vin et n’en buvant souvent même pas, sont pourtant réélus à la tête de tant et tant de syndicats, groupement, comités et associations diverses, qu’ils ne dirigent parfois que pour des questions de pouvoir et d’ego, tous vont se lever et hurler haro sur tes propositions. Ne les écoutes pas, s’il te plait. De toutes façons, ils sont contre tout changement, quel qu’il soit, sauf ceux bien sûr qui, au final, permettent de ne rien changer… La plus grande force de l’univers, c’est l’inertie. Et vouloir lutter contre l’inertie, c’est pas rien. Alors, respect et admiration, si tu le veux bien.

La deuxième chose que je voulais te dire, c’est que je ne sais pas si ta réforme est une bonne ou une mauvaise chose, mais je suis certain en tout cas qu’elle va ouvrir de nouvelles voies, de nouvelles portes (Bruno A., si tu me lis, souvenirs, souvenirs ;-), de nouvelles possibilités. En pour ça, ne serait ce qu’en ça, elle est estimable et souhaitable. Car de toute façon, la culture de la vigne et l’élaboration du vin sont en ce moment sur une planche savonneuse, une épée dans le dos, et il serait peut-être temps de réagir, fan de pirates de Caraïbes ou non ;-)

Cependant, et bien que la réponse soit sans aucun doute « oui », je me demandais ce week-end si tu avais vraiment pensé aux conséquences de tes réformes, quand tu as décidé de proposer d’interdire, purement et simplement, la chaptalisation en Europe ainsi que toute aide financière aux moûts de raisins concentrés ? Sais-tu qu’en une seule ligne tu supprimes de fait les excédents provoqués par l’ajout du sucre de betterave au vin (précisions ICI) ? Que tu obliges une grande partie du vignoble européen septentrional à descendre ses rendements de 20 à 40 %, simplement parce que sinon, dans le Nord, certains rendements ne tiennent que parce que le sucre est là, abondant et pas cher ? Que tu contraries tous ceux qui comptaient sur les MCR pour continuer à produire beaucoup, dans le Sud, pas bon, pas cher, puis ensuite distiller avec prime pour faire de la place dans les caves ? Que tu donnes un bel avertissement à tous ceux qui pensaient se servir du sucre comme « clé de voûte » d’un système de production industriel, dont pas mal de projets pharaonniques dans les pays de l’Est, à la main d’œuvre si bon marché pour l’instant ? Ah, oui, j’oubliais de dire que tu proposais aussi d’arrêter de subventionner les distillations de crise ;-))). Mon Dieu, quelle femme !

Bon, tu mets aussi un grand coup de pied dans le système de l’Appellation d’Origine Controlée « à la française », qui a inspiré toutes les autres en Europe (ça pourrait se discuter…), que tu simplifies beaucoup. Je le regrette un peu, mais, honnêtement, personne n’y comprend rien, au niveau du consommateur pas fanatique de vin. Alors, après tout… ; tu permets à ceux qui sont en grande difficulté de partir avec les honneurs et un pécule, sans doute insuffisant, mais c’est mieux que de perdre de l’argent chaque année en se crevant la paillasse, comme c’est le cas aujourd’hui dans bien des régions ; tu mets de l’argent pour la « promotion » et la « vente » au lieu de toujours la donner à ceux qui veulent produire plus sans jamais se soucier de « où va la production »; tu veux permettre à ceux qui vendent de prendre leurs responsabilités, d’investir en plantant librement (au risque de se planter ;-) et donc de se développer (p…., tu es vraiment gonflée !) au lieu de les en empêcher (le système actuel…), soit disant pour de ne pas concurrencer ceux… qui ne vendent pas (ça fait sourire, mais c’est la vérité); tu augmentes les subventions orientées « projet », « actions », « développement rural », « culture », « formation » et « environnement » au lieu de bêtement subventionner des matériels dont personne ne se sert (si tu voyais les « soldes » de cuveries aussi rutilantes que subventionnées dans certaines caves coopératives par ici, en ce moment, tu n’en croirais pas tes yeux…) ou des plantations dont on ne sait à quoi elles sont destinées; tu donnes une vrai autonomie à chaque état pour subventionner des projets dynamiques et, enfin, après avoir conforté l’interdiction de mélange entre les vins européens et les vins d’ailleurs, tu autorises la mention du millésime et du cépage sur… les vins de table. Super, je vais pouvoir le mettre sur mon futur « Tempranillo » ! Mariann, excuse moi d’être vulgaire, mais ta réforme, c’est du brutal ! ;-))))

Bon, bien sûr, ici, au cœur du vignoble, tes mesures, les viticulteurs les ont même pas lues, personne ne les connait et pourtant deux réactions priment : où on s’en fout ou en est contre. Pas de débat au niveau des comités interprofessionnels (même pas un mail d’information, je te rassure…), des syndicats d’appellation (calme plat, et de toutes façons, ils vivent leurs derniers jours dans l’indifférence générale), pas plus au niveau de nos belles ODG toutes neuves où l’on vote toujours à l’hectolitre vinifié et où je ne suis pas le bienvenu, mon avis, qui ne sera pas écouté, ne faisant que rallonger des réunions de type soviétique, où le vote est déjà joué avant même le début des débats.

En dix jours, en revanche, je crois que pratiquement toutes les organisations interprofessionnelles ont refusé énergiquement tes propositions, les ont critiquées, moquées (rayer le mot inutile…), toutes pour des raisons différentes, mais finalement motivées par la même attente : ne changeons rien, quelque chose finira bien par ce produire quand même. Ce qui n’est pas faux, remarque, même si au niveau du vigneron, le problème est qu’il faut continuer à nourrir sa famille en attendant…

Chère Mariann, du haut de ce minuscule blog, je voulais saluer ton courage et ta détermination. Vois tu, je doute que tes réformes aboutissent, encore que dans la vie, le pire n’est jamais certain ;-) Mais néanmoins, elles auront eu le mérite d’exister et de proposer une réelle alternative à la situation actuelle, à un moment donné. Je te souhaite bon courage dans la période de négociation qui démarre. Je te souhaite d’être forte, constructive, convaincante et surtout d’être en bonne santé, parce que tu as quelques longues heures de réunion devant toi ;-)

Saches au moins qu’il y en a un qui est avec toi et qui le dit. C’est pas beaucoup, je sais, mais ça fait toujours plaisir. Enfin je crois. Et si tu passes au Clos des Fées, arrête toi, s’il te plait. Je mets quelques bouteilles pour toi de coté. Cadeau. Ah, non, tiens, je vais te les envoyer. Fais moi juste passer ton adresse à Bruxelles. Un verre de grand vin du sud, non chaptalisé, ça aidera peut-être aux négociations ;-)

Mariann Fischer Boel est commissaire européen chargée de l’Agriculture. Elle a un blog, ambiance champêtre, ICI.

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