Anne, ma sœur Anne…


Ne vois tu rien venir ? Je ne vois que le soleil qui brilloit et la terre qui poudroit, privée d’eau depuis des mois…

Ainsi donc a commencé la longue attente du vigneron qui attend que ses raisins mûrissent…

Une grande année en perspective, c’est certain. Quel goût aura t’il, ce super 2008 ? Trop tôt pour le dire ;-). Pas d’impatience, s’il vous plait ;-). Journées très chaudes, en tout cas, plus proches d’un plein mois d’Août que d’un mois de Septembre. Et toujours cinq mois sans une goutte d’eau, avec pourtant une bonne dizaine de journées de ciel noir et menaçant cet été. Rageant.

En faisant le tour des vignes, je me demandais quelle région peut aujourd’hui en France, aligner comme le fait le Roussillon autant de millésime super bons : 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 et maintenant 2008. On fait une petite compet avec qui vous voulez, quand vous voulez ;-). Dommage que personne n’en parle…

Les commentaires sur mon billet précédent fusent. Intéressant. En particulier l’éclaircissement de Michel Bettane sur la minéralité. Comme le disait à Claudine un client cet après midi : « et bien, il y a du beau monde, en ce moment, sur le blog de votre mari 😉 ». En lisant le débat naissant, toujours d’actualité sur la « minéralité », j’ai eu envie, ce soir, de ressortir un billet d’Avril 2005. Ce qu’il y a de bien, dans un blog, c’est que cela permet un peu de dater les choses et de les retrouver par la suite d’un petit clic.

Dans ce billet, je faisais la synthèse de ce qu’un groupe de dégustateurs, dont moi, sur le forum La Passion du Vin, mettait derrière ce terme. En résumé, personne ne comprend la même chose, et donc, sous le terme minéralité, on a :

  • une acidité plus marquée, voir agressive, mais considérée par certains comme une qualité primordiale et par d’autres comme un défaut rédhibitoire
  • un ou plusieurs arômes, clairement définis mais finalement assez rares (silex frotté, ardoise, graphite)
  • un « goût » : « salin » est majoritairement cité, d’autres citant des minéraux identifiables par des géologues pro ou en herbe qui « sucent » parfois des cailloux et en mémorisent le goût. Pourquoi pas. Le calcaire semble dominant, mais il peut s’agir apparemment aussi d’un « cocktail » de minéraux que l’on ne peut définir mais dont on ressent la présence. Pour certains, ce serait la marque d’un terroir. Pour d’autres, plutôt la conséquence de techniques culturales. Mais on ne sait pas lesquelles, le labour semblant la technique la plus souvent citée.
  • une « texture » (épaisseur, dureté, malléabilité, sensation de « matière » plus importante et non lié aux tannins, etc.)
  • une « forme » (aiguëe, tranchant, cristallin, etc.)
  • une allégorie (« eau sortant du rocher », sensation de vin « pur », « naturel »)
  • une… arabesque latérale : je ne sais pas quoi dire, donc, j’emploie à tort et à travers notre le mot minéral…

La définition qu’en fait Michel Bettane est intéressante. Elle a le mérite d’être clairement définie et, quand on y pense, il serait salutaire que chaque critique mette en préambule de leurs ouvrages ce que cache pour eux ce terme. Au moins, on serait fixé, à défaut d’être d’accord avec certains d’entres eux.

C’est celui qui le dit qui l’est et donc, bien sûr, je trouve normal de vous dire ce que, pour moi, recouvre le mot minéralité que je n’emploie, au passage, presque jamais. Manquerait plus que je la ferme sur le sujet après tous ces préliminaires ;-)

C’est assez drôle, car cela me permet de faire « d’un minéral deux coups ;-), et de « répondre » à Patrick Essa, qui, sur un forum québécois, pense qu’on ne peut apprendre d’un journaliste ou que, tout au moins, celui ci ne possède aucune légitimité pour influencer un vigneron. Peut-être. Tout dépend en tout cas du vigneron et du journaliste. Ou de leur Ego respectif ;-). Mais un simple conseil, un doigt tendu dans une direction, une information, une bouteille laissée d’une dégustation précédente, un coup de pied au cul verbal, une phrase prononcée en toute légèreté, « l’air de rien », et pourtant emplie d’une lueur brillante pour qui saura la décoder (souvent la femme du vigneron, qui, sur l’oreiller, glissera « il voulait dire quoi, le journaiiste, tout à l’heure, quand… ;-), oui, tout cela peut bien sûr influencer un vigneron. Le réveiller, modifier la direction qu’il suivait ou pensait suivre. Des années plus tard, même si bien sur le critique n’est pour « rien » dans l’élaboration d’un vin proprement dit, parce qu’il n’a ni attelé le tracteur, ni sué, ni souffert, n’en est il pourtant pas quelque part l’instigateur ? Bien des vigneron se croient « père » d’une cuvée, ils ne sont en vérité que père putatif, la graine ayant été plantée par un autre, dans un passé parfois lointain, qu’il soit critique, vigneron, sommelier ou simple bouteille… (message privé : Michel, Denis, première vendange de Cabernet-Franc cette année. Les raisins sont GIGANTESQUES. MERCI ;-))))

Et donc, l’exemple qui suit est pour moi caractéristique car il montre comment un journaliste a changé ma vision de la minéralité et m’a permis de prendre conscience de quelque chose que je ressentais, vers lequel je tendais, mais que je ne pouvais expliquer simplement.

A Vinexpo, il y a trois ans, je déjeune sur le pousse avec un journaliste d’une revue professionnelle, avec lequel j’avais échangé quelques mails auparavant et dont la vision, extrêmement nouvelle et créatrice, m’interpelait. J’y voyais des pistes, d’une part pour améliorer mes vins (oui, oui, c’est encore possible ;-))), d’autre part pour comprendre pourquoi ils changeaient au fur et à mesure que mes méthodes culturales s’amélioraient et gagnaient en précision.

Lors de ce déjeuner, alors que nous parlions de la déferlante du mot chez les amateurs comme chez les pro, il me dit : « la minéralité, c’est simple. Je vais te l’expliquer ». Septique au début, au fur et à mesure que son explication avançait, mes oreilles et mes yeux s’écarquillaient (et pour les oreilles, c’est pas facile ;-) tandis qu’en moi explosait un grand « mais c’est bien sûr ! » silencieux, mais provoquant un séisme digne d’une bombe à neutron…

« La minéralité, me dit-il, entre deux huîitres, c’est la teneur en minéraux. Point. Pour le ressentir, fait donc une expérience. Prend deux eaux dites « minérales », une très minéralisée, comme de l’Evian ou de la Contrex. Et une très peu minéralisée, au contraire, comme Mont Roucous, la plus facile à trouver dans le commerce (j’aime bien la Mont Roucous…).  Tu les mets dans deux verres. Dans les deux, tu mets 10 % d’alcool pur. Puis, deux autres verres, avec un sucre dans chacun d’entre eux. Puis tu peux essayer, avec l’aide de ton œnologue (c’est plus dur pour un particulier, sauf les pharmaciens), avec des tanins de pépins puis, enfin, avec de l »acide tartrique. Tu goûtes à chaque fois les deux, et là, tu vas tomber à la renverse : dans l’eau fortement minéralisée, tout semble plus équilibré, le sucre se fait discret, l’alcool se sent beaucoup moins, les tanins sont moins asséchants, moins  secs, l’acidité moins brûlante. Dans l’eau sans minéraux, bon courage : tout semble plus  difficile, plus écœurant, plus brûlant, plus piquant » Ahhhh. Je crois me rappeler que, ce jour là, d’émotion, je n’en finis pas mon andouillette… Bon, écoutez sur Vinexpo, quand on est plus journaliste ou gros acheteur, on mange ce qu’on trouve et on est bien content ;-)

J’ai bien sûr fait l’expérience.

Et, croyez-moi, je sais désormais ce qu’est une eau minéralisée et, par projection, un vin minéral. Dans un vin minéral, l’équilibre est confondant, quelque soit le pourcentage d’alcool ou de tanins. On en boit avec plaisir, uniquement par instinct. Il grise moins et est bien plus digeste. Il parait « naturel ». Et cette « clé » explique bien des choses au dégustateur qui  sait l’utiliser et qui comprendra désormais pourquoi une bouteille l’attire tant, presque « physiquement », et l’autre pas du tout… Et surtout, oui, Michel, oui, Patrick, les vins issus de terroir calcaire sont souvent  les plus chargés en minéraux, bien que ce ne soit pas les seuls (mais pas de calcaire actif, j’ai l’impression, ce qui est plus rare…)

Que faire au fait, lorsqu’on est vigneron, pour obtenir ces  résultats ? Bonne question, je vous remercie de me l’avoir posée. Décidément, ce soir, c’est fête. On dévoile tout. On cache rien ;-) D’abord avoir un terroir qui le permet (aie, désolé). Ensuite, favoriser l’enracinement (des vieilles vignes, cqfd), en labourant bien sûr, mais pas trop, pas n’importe quand et pas avec n’importe quoi. Évidemment, arrêter les engrais chimiques afin de diminuer les pH et redonner au vin ses lettres de noblesse de milieu acide, ce que l’on a un peu trop oublié depuis deux décennies. Enfin, accepter et rechercher les petits rendements naturels, sans vendanges vertes. Si pareil quantité minéraux, si moins eau, % minéraux dans vin plus grand. Facile calcul. Toi compris ? ;-)))

David prèche pour un « indice de minéralité ». Dans le vide, j’en ai peur, car il remet en cause tout un système qui inclue la recherche et l’enseignement bien avant la viticulture proprement dite. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter un troisième forum, dégustateurs.com, où David Lefebvre explique plus en détail sa vision de la chose, qui me semble essentielle pour comprendre la recherche de certains vignerons en ce début de troisième millénaire. Si vous avez la curiosité de faire l’expérience avec les eaux ou la prochaine fois que vous goûterez un vin « minéral », pensez à lui. Moi, en tous cas, je dis : merci David.

Et j’encourage tous les journalistes qui ont des trucs d’enfer comme ça à me le dire, à me les réveler pour me faire progresser ;-).

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