Comprendre, enfin, « l’esprit » du vin…


Sud de la Chine, très tard le soir ou plutôt très tôt le matin, novembre 2010.

– « Tu vois, Hervé, autour de nous, dans cette région si particulière de Wenzhou, certains jours, il se boit ici plusieurs milliers de bouteilles de Carruades de Lafite »

La traduction rapide de l’ami Nestor est suivie chez moi d’un grand blanc… Je calcule dans ma tête, je remets cela en situation et en rapport avec les volumes produits, pour ce que j’en sais par le château, (300 000 bts, sans doute un tiers, disons, de second vin ?) j’ai beau multiplier et diviser dans tous les sens, ça colle pas. Il en manque, et pas qu’un peu.

– « euh, c’est pas possible. Ce sont des faux».

Traduction, silence, on trinque.

– « bien sûr que ce sont des faux.»

Traduction, silence.

– « où sont-il fabriqués ?

– Hong-kong, Macao puis, en contrebande pour échapper aux taxes ils entrent en Chine Populaire et arrivent ici. Comme des fourmis, chaque travailleur qui passe la frontière, chaque jour, entre H.K. et Shenzen, en prend une et la redonne après. C’est très organisé. Ca fonctionne très bien. Pas que sur Lafite, sur la plupart des grands vins.»

Traduction, silence, on trinque. Je réfléchis intensément à ma prochaine question. Dois je la poser ?

– « Mais ceux qui en boivent, ils le savent ? »

Traduction, silence.

– « Bien sûr qu’ils le savent. Et alors ? L’essentiel est qu’ils aient payé cher »

Silence. Réflexion. Incrédulité. Comment accepte-t’on de payer 300 euros pour une bouteille de faux Lafite, en toute connaissance de cause ?

Illumination.

Ce n’est pas du Lafite, que l’on boit ici, mais « l’esprit » du Lafite ou des Carruades, « l’essence » du Lafite en l’occurrence le prix. On partage un concept. On scelle une alliance, on conclut une entraide, on verse une commission, souvent occulte, et pour donner de l’importance au pacte, à l’accord, au contrat, au biz, on sacrifie une somme d’argent importante, le plus importante possible, en buvant, donc en détruisant, de la valeur, de l’argent. On montre ainsi, aussi, bien sûr, son pouvoir et ses moyens financiers, mélange savant de Narcisse et d’Ego. Peu importe alors que ce soit du vrai ou du faux Lafite, pourvu que le vin soit plutôt bon (voire, dans certains millésimes, meilleur sans doute que les vrais, j’aurai l’occasion de le vérifier) et ne rende pas malade, parce q’on en boit beaucoup, plusieurs bouteilles par personne. Seul compte le prix, le symbole.

Je prends une grande leçon. Cela parait pourtant incroyable. Mais c’est ainsi. Au final, on estime que 9 bouteilles sur 10 circulant ou bues en Chine de Lafite sont des faux. Et je pense que je suis au dessous de la vérité…

Dans l’avion, je réfléchis longuement à cette anecdote que je pense véridique. N’est ce pas, finalement, la même chose dans les autres secteurs du luxe ? Quelle différence entre un vrai et un faux t-shirt Dolce et Gabana ? Un polo Ralph Lauren à 130 euros ou son frère, de même qualité, qui m’est proposé à 5 euros sur le marché d’Ho-chi-min-City, 3 jours plus tard ? Est-on bien sûr que certains objets, en particulier les montres, ont un prix corrélé avec leur mode de fabrication ?

Oui, certains vins sont bien aujourd’hui des objets de luxe et obéissent donc aux mêmes règles.

Dois je m’en réjouir ? Au final, je dois vieillir, cela m’indiffère. Tant mieux pour ceux qui les boivent, s’ils y trouvent leur compte, tant mieux pour les premiers crus bordelais qui font rentrer des devises et paient de l’impôt, je crois qu’on en a bien besoin…

Et ce n’est que le début : prochaine cible, Pavillon Rouge de Château Margaux…

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