Tranquille, dans mon marécage…


Tel Shreck, tranquille, dans mon marécage, déjà passablement énervé par le passage des DAA aux DAE, soit la dématérialisation totale des papiers de douane destinés à l’export, je n’avais franchement pas envie, je l’avoue, de recevoir une nouvelle représentante de notre chère administration française, j’ai nommé la chargée du ressencement agricole.

Elle n’y est pour rien, je le sais. Elle est même, sans doute, embauchée juste pour l’occasion, en CDD, pour quelques semaines, pour faire un travail précaire, ingrat d’où elle retirera un maigre salaire et aucune reconnaissance. Mais voilà, c’et plus fort que moi, aujourd’hui, j’avais déjà ma dose d’administration, de papiers, de formulaires, de déclarations de TVA, de récolte, de production, de n° pacage, de n° CVI, de code Insee, de TVA intra-communautaire, de bordereaux de charges trimestrielles dont j’ai oublié les noms mais dont les montants me donnent envie de courir, de papiers pour arracher, pour planter, pour, pour, pour… Alors, c’est tombé sur elle et, je m’en veux, mais j’ai vraiment été… glacial.

Pendant deux heures, elle a tapoté devant moi, sur l’écran tactile de son PC, chaque opération étant séparée par des minutes entières pendant lequel le-dit PC moulinait je ne sais quelles données ou statistiques, me demandant des informations que j’ai déjà donné des dizaines de fois à des dizaines d’administrations différentes qui, toujours, ne communiquent pas entres elle. Superficie ? Je la donne déjà chaque année, en signalant le moindre changement aux Douanes, à l’INAO, au Syndicat de Cru, à la MSA, à l’Europe. Mais le ministère de l’Agriculture, il peut pas leur demander, hein… Il faut payer quelqu’un pour, encore, venir me voir trois heures, alors que mon métier n’est pas là. Qui me les payent, ces trois heures perdues, pour rien ? « On va vérifier votre n° INSEE. Votre n° CVI. Votre n°… ». Je l’avoue, j’ai envie de la jeter dehors, de ne pas répondre à toutes ces questions stupides qui s’enchainent, dont certaines viennent du monde de l’élevage parfois, ou des grandes cultures. Les « avez vous utilisé des herbicides ? » cette année, où je réponds oui, sans qu’on me demande sur combien d’hectares, deux ou trente, est suivi quelques minutes après par un « êtes vous en bio ? ». Grandiose.

Devant la lenteur du programme, je prends mon mac et commence à surfer, d’un air distrait, sur Internet. Nous voilà face à face. Je sais, c’est infect. Mais je vais pas en plus faire le joli cœur. Tiens, un autre viticulteur qui arrête. Ca me soulève le cœur. Pourquoi autant, je n’en sais rien ? Parce qu’elle le dit et l’assume alors que tant se cachent pour mourir ? Mais je me dis qu’il y a du avoir une goutte d’eau, un simple truc, minuscule, qui a dû provoqué la décision, faire pencher la balance. Un client qui manque, peut-être, ou un qui ne paye pas. Une blessure, une lassitude du travail physiquement trop dur. Ou un papier, un de plus, une contrainte, celle de trop, qui rend, tout d’un coup, ce métier insupportable alors qu’on l’aime tant, que c’est notre vie.

« Qui prendra la suite de l’exploitation ? Le successeur est il trouvé ? Sera t’elle vendue ? Va t’elle disparaitre ? ». J’ai comme un blanc. Si ca continue comme ça, si les contraintes continuent, sans aucun doute disparaitre. Parce personne ne veut plus, ne peut plus supporter tout ce fatras de normes, de règles, de principes de précaution, d’impôts, de taxes, de papiers, de dématérialisation, de contrôles dignes de la Gestapo, d’amende, de peur, de risques, de formations obligatoires, de ce carcan qui ne fait qu’augmenter et serrer, de plus en plus fort, jusqu’à vous tuer ou vous faire quitter le métier . Et qu’au final, plus personne ne choisira ce métier.

Les questionnaires sont finis. Nous nous quittons, sans un mot, ou juste alors un au revoir du bout des lèvres. Désolé. Mais ce jour là, c’était au dessus de mes forces.

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