Les chinoiseries du nouvel an chinois


Allez comprendre pourquoi, ce n’est que dernièrement que j’ai découvert Tchouang Tseu. Et faire un billet sur lui n’était pas vraiment prévu pour le nouvel an Chinois, peu fêté à Vingrau comme on peut l’imaginer.

Toi pas connaître Tchouang Tseu ? Tse Tse, pas très grave, annoncent les experts en indiquant que ce n’est pas un livre à lire avant l’âge de trente ans. Moi, je l’aurai découvert à cinquante ans passés, ce qui me va bien. Je pense en fait que c’est l’âge parfait pour le découvrir. Jeune lecteur, garde Tchouang Tseu pour l’automne de ta vie, tu m’en remercieras. Le Zen Soto, en revanche, commence le plus tôt possible 😉

Je ne sais plus qui a dit « quand l’élève est prêt, le maître apparait ». Lao Tseu, sans doute. Ou Confucius. Qu’importe. Dans ce cas, j’ai vraiment eu cette impression en lisant Tchouang Tseu et surtout son introducteur, Jean-François Billeter sans lequel je serai sans doute passé à côté de lui. Je ne le connais pas. Il a toute ma reconnaissance. Je le mets dans ma liste de personnes à rencontrer un jour, autour d’une bouteille de Clos des Fées.

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Tchouang Tseu n’est pas d’un abord facile… On ne sait vraiment s’il a existé. Son œuvre a été tronquée. Ses commentateurs sont parfois plus célèbres que lui, y compris en Chine où l’on a bien d’autres chats à fouetter en ce moment que de dénouer les écrits des sages du passé, alors, comme en occident, on met tout dans un grand sac marqué « Taoïsme » et on en tire de bonnes citations qu’on appelle « sagesses chinoises », ou encore « zen », quand on en est réduit au degré zéro de la philosophie orientale au point qu’on ose tout et que c’est ainsi qu’on vous reconnait…

Dans quatre semaines, je serai en Chine, dans six, au Japon pour la première fois (dans cinq en Suisse, mais là, c’est juste pour indiquer mon planning 😉 et je me demande si je vais tenter de trouver les réponses à toutes ces questions que le Tao Chinois et le Zen Soto m’ont permis de me poser, ce qui est en fait l’essentiel, même si la réponse ne vous est jamais donnée.

Dans cette forme de sagesse, il y a je pense des similitudes stupéfiantes avec ma vie de vigneron. Oh, pas de tous les vignerons, sans doute, mais des vignerons qui se posent des questions devant un vin, un qu’ils ont fait, en particulier, qui peuvent se résumer à « pourquoi » ? Pourquoi tous ces efforts ? Pourquoi tant de questions ? Pourquoi, parfois, si peu de résultats ou au contraire tant de différences ? Comment garder mon âme dans un monde globalisé ou la sincérité se fait rare ? Je pourrais paraphraser bien des petites phrases de sagesse chinoise, voire écrire un livre fort amusant. Un exemple ? Aller, volontiers ; « rappelle toi que ton fils n’est pas ton fils mais le fils de son temps ». C’est bien vrai, évidement, mais ce qui pourrait donner « rappelle toi que ton vin n’est pas ton vin, mais le vin de ton temps », ce qui laissera alors le vigneron philosophe bien songeur et mériterai un billet à part entière…

Il y aurait bien des choses à dire de Tchouang Tseu, mais un passage ma particulièrement marqué, ces jours ci, me laissant dans une profonde contemplation tant il résumait l’idée que je me fais aujourd’hui de mon métier de vigneron et de mon rapport au terroir. Elle doit beaucoup à la remarquable traduction et des explications qui vont avec de Jean-François Billeter et sont tirés de « Leçons sur Tchouang-Tseu » aux Editions Allia dont je vous conseille vivement la lecture, que vous soyez vigneron ou pas. Un petit livre, précieux, à poser à côté de son lit.

Voici le passage qui m’a remué :

Confucius admirait les chutes de Lu-leang. L’eau tombait d’une hauteur de trois cents pieds et dévalait ensuite en écumant sur quarante lieues.Ni tortues ni crocodiles ne pouvaient se maintenir à cet endroit, mais Confucius aperçut un homme qui nageait là. Il crut que c’était un malheureux qui cherchait la mort et dit à ses disciples de longer la rive pour se porter à son secours. Mais quelques centaines de pas plus loin, l’homme sortit de l’eau  et, les cheveux épars, se mit à se promener sur la berge en chantant. 

Confucius le rattrapa et l’interrogea : « je vous ai pris pour un revenant mais, de près, vous m’avez l’air d’un vivant.

Dites-moi : avez-vous une méthode pour surnager ainsi ?

– Non, répondit l’homme, je n’en ai pas. Je suis parti du « donné », j’ai développé un « naturel » et j’ai atteint la « nécessité ». Je me laisse happer par les tourbillons et remonter par le courant ascendant, je suis les mouvements de l’eau sans agir, pour mon propre compte.  – Que voulez-vous dire par : partir du donné, développer un naturel, atteindre la nécessité ? » demanda Confucius. L’homme répondit : « Je suis né dans ces collines et je m’y suis senti chez moi : voilà le « donné ». J’ai grandi dans l’eau et je m’y suis peu à peu senti à l’aise : voilà le « naturel ». J’ignore pourquoi j’agis comme je le fais : voilà la « nécessité ».

Voilà qui résume merveilleusement ma vie de vigneron. J’ai hésité à écrire une explication tant cela me semble évident. Mais cela ne l’est peut-être pas pour vous. Alors…

Le donné, c’est mon terroir. Il faut que je m’y sente bien et que j’aime y vivre, en acceptant ses atouts et ses faiblesses. Sans ce préalable, rien n’est possible.

Le naturel, c’est toute la technique, les savoir-faire, les gestes locaux, loyaux et constants, que mon expérience m’a amené à apprendre en en comprenant la raison, puis à maitriser, en sachant accepter ce qu’il faut de nouveauté pour respecter le donné mais en sachant aussi en refuser certaines qui le déformerait. A un âge de la vie, ce natureldevient comme une évidence, un geste autant physique que mental, et l’on doit avoir plaisir à s’en contenter et à le répéter lorsqu’il est parfait, sans s’intéresser à tout ce qui pourrait le rendre plus « facile ». C’est la plus dure des phases car elle doit prendre en compte une part « céleste », « naturelle », qui est difficile à expliquer mais évidente à vivre et permet l’harmonie. Je ne suis pas certain d’être encore au top de la chose ni d’y arriver jamais.

Enfin vient la nécessité, celle de se contenter de laisser tout cela fonctionner ensemble, sans vouloir ni le contraindre, ni le forcer, ni l’accélérer, le laissant aller à son rythme, sans le qualifier de bon ou de mauvais, de grand ou de petit, en en acceptant les conséquences, bonnes ou mauvaises, la naissance d’un vin juste étant à ce prix.

Je me demande toujours si ce genre de considérations très personnelles a sa place sur ce blog.

Mais bon, c’est ainsi que coule la rivière, alors, laissons la couler.

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