Vendanges 2014 – J+7 – Doutes


« Sans fouler de traces, on ne saurait parvenir jusque dans la pièce »

Confucius.

Enfin je crois. On lui fait dire tant de choses, à ce brave Confucius… Faut que je demande à mon stagiaire chinois. Je vous ai dit que j’avais un stagiaire chinois ? Non ? Voilà, c’est fait. Si je manque d’inspiration, je vous en parlerai. Hier, je lui ai enlevé ses bottes, le pauvre, il tenait plus debout. Il vient d’un grand cru. Il va dans un grand cru. Cette année, il fait une vendange dans un petit cru. Allez savoir pourquoi. Pour l’instant, je pense qu’il pense qu’il est tombé chez les fous. Je sais pas s’il va tenir tant c’est différent ici. Un côté « préhistorique ». Je vais lui faire faire un t-shirt Nietzsche, genre « tout ce qui ne tue pas rend plus fort ». Non deux, j’en enverrai un au Président, parce qu’en ce moment, ca illustre bien ce qui lui arrive… Tiens le coup, François…

En train de remonter tranquilement ma toujours seule cuve en fermentation, de bon matin, je pensais à cette phrase, citée en exergue, aperçue je ne sais où cet été. Et à d’autres choses plus futiles, je vous rassure, hein, je pense souvent à des conneries, comme tout le monde. Mais j’ai ni envie ni besoin de m’en vanter dans ce blog ;-).

J’ai bien aimé cette phrase, elle m’a fait méditer sur mon parcours. J’ai lu aussi un truc de Marc Aurèle. Si je le déforme un peu, je devrais pouvoir le placer dans le blog avant la fin des vendanges. Parce que citer Marc-Aurèle, dans un blog, avouez que c’est «trop stylé» comme disent les jeunes qui sentent que vous « feelez des good vibes » sur ce blog…

Suis-je influencé par d’autres ? Vins, c’est sûr. Vignerons, je ne pense pas, en tous cas sur le plan technique. Tout simplement parce que je n’ai jamais travaillé dans un autre domaine avant de me lancer. Je me demande souvent si cela aurait changé le goût de mon vin. Si j’avais travaillé chez Coche-Dury, Trévallon et Zind-Humbrecht, mon vin ressemblerait il à la Grange des Pères ? Mystère. Je le saurai jamais. Serait il meilleur ? Peut-être. Mais moins «moi». Alors… Ou pas, qui sait, au final.

Certains vins, en revanche, m’ont marqué. Ils sont en moi. Je ferme les yeux, je me souviens de leur goût, de leur texture, de leur effet sur moi. Et les hommes derrière les vignerons, aussi, bien sûr. On ne sort pas indemne d’une visite de chai avec un Marcel Guigal; d’un tour des vignes avec un Alain Brumont; d’un dégustation de blanc avec un Jean-Marie Guffens; d’un échange avec un Sylvain Pitiot (et le coup de poing d’un Clos de Tart 2005 dont je ne me suis jamais remis). Bien des vignerons et des vins sont en moi. Quelque part. Pardon pour ceux que je ne cite pas. Il y en a de plus humbles, de plus simples, de moins célèbres et de moins stars. Ils ont pour moi la même importance. Ils ont forgé mon goût.

Ce qui est compliqué, dans le métier de vigneron, c’est d’intégrer ces influences sans les copier servilement. A un moment, je crois que je vigneron ne doit plus goûter. Il doit boire, ce que je fais, toujours avec le même plaisir et la même curiosité, mais c’est en lui qu’il doit trouver les réponses. Et avant les questions. Il doit se nettoyer, intégrer ses influences, les compiler, si l’on peut dire, dans une culture propre, puis les oublier afin de faire jaillir de lui sa propre voie, sans se soucier du fait qu’elle soit meilleure ou moins bonne qu’une autre. Là est le seul moyen de faire naitre des vins en accord avec leur époque et leurs terroirs.

Bon, on annonce la pluie, deux ou trois jours. Mais ce n’est pas sûr. On a choisi, on va faire partie de ceux qui auront vendangé en 2014 «après la pluie». J’adore cette album de Daniel Mille. Vous connaissez pas ? Courrez l’acheter sur Itunes… C’est ICI. Beau, triste et gai, juste tango ce qu’il faut. Avec de la trompette à la Chet Baker. Ah, Chet.

La plaine a fini ou presque. Ici, plus de la moitié des vignes est vendangée. Dans un village proche, on me dit qu’on décuve. Je dois être fou. Je ne trouve rien de mûr, pourtant. Et je ne vendange pas, ce qui me donne le temps de philosopher et d’écrire un peu, dans ma cuisine, devant mon café. On verra bien.

Demain, quand même, un peu de Syrah, au cas où il pleuvrait car mieux vaux deux jours trop tôt que deux jours trop tard comme disait, parait il, Henri Jayer. Une année particulière, c’est certain.

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