Vendanges 2014 – J+16 – Tora ! Tora ! Tora !



Faut-il tout dire dans un journal de vendanges ? Non sans doute. Mais c’est le jeu. Où l’on accepte les règles de transparence, où l’on ne joue pas. Sans doute ferais je mieux de fermer ma plume, parfois. Parce que tout ce qui peut être mal interprété l’est, en général. Tant pis.

Samedi, on vendange. Clairement, c’est le bon moment. Les grenache de la Chique sont superbes. Pourquoi eux ont-ils tenu et pas les Carignan ? Nul ne peut me l’expliquer à ce moment là. Un grand tour, jeudi, nous a donné le moral. Ca valait le coup d’attendre. Mais quelle année étrange ! A certains endroits, il est tombé 100 mn., à d’autres sans doute 300 mn., et je n’ai sans doute jamais vu mes sols aussi mouillés. En descendant des pentes, on sent sous ses pieds le sol devenir de plus en plus collant, c’est assez passionnant.

J’arrache toujours des mauvaises herbes, qui m’indiquent à chaque fois l’importance de la pluie (pas les euphorbes…). On dirait un super héros : j’arrache des fenouils de l’année dernière et leur racine pivot de plus de 30 cm ! Ceux qui ont essayé apprécieront. Les fenouils et les inules visqueuses ont adoré le temps de l’année et envahissent tout. Il y a des champs entiers colonisés par les fenouil, d’autres envahis par les oulibardes, qui prospèrent ici comme jamais, grâce à l’eau de l’été et l’humidité de l’automne.

Le Mas Farine est magnifique, le Bac attendrait bien deux ou trois jours de plus. Chaque parcelle a un gout différent, une maturité différente, les grenaches sont à point et on peut vendanger. Il ne reste que nous dans les vignes ou presque. Mais mes amis les Gauby, chez qui je suis passé boire un café, n’ont fini que vendredi, ce qui est étonnant car souvent, sur les terroirs précoces de Calce, ils finissent deux semaines avant moi. Sur les haut-cantons, il reste sans doute aussi beaucoup de raisins. On fait les LLadonner de la Cresse, qui cette année encore, ne sont pas au niveau. ils n’aiment pas les années pluvieuses, décidément, et n’on pas atteint les maturités phénoliques qui me conviennent. Ca fera d’excellentes Sorcières, sans aucun doute, en vinification un peu plus courte, mais pas de Vieilles Vignes, c’est sûr. Il y a encore beaucoup de grains roses et les grappes commencent à montrer des traces de passerillage, avec le soleil de plomb de la semaine.

Un café avec Serge, vers 15 heures, le temps de monter voir nos Carignan les plus tardifs, en haut de la vallée nord, magnifiques il y a quatre jours – à part, si vous suivez, ce problème d’abeille ou de guêpes. Catastrophe : tout fout le camp ! Sur trois grappes sur 10 environ, les grains sont troués et pas question d’accuser les abeilles ! J’ai d’ailleurs regardé sur Internet et ces braves bêtes ne sont pas équipées pour faire des trous dans mes raisins. Alors quoi ? Je crains le pire, la mouche d’origine japonaise, la drosophilia Suzukii, n’y croyant qu’à moitié, car on m’aurait averti, bordel ! Je prends des photos en gros plan, faisant voler les insectes et attendant patiemment qu’ils se reposent, J’arrive à en photographier un. Retour à la maison, fébrile, mais je sais, inconsciemment, déjà ce qui m’attend… Recherche, photo, comparaison. Bingo. C’est l’attaque sur Pearl Harbour qui se répète. Mais là, Pearl Harbour, c’est moi.

Ca c’est sur internet.

Ca c’est chez moi, en train de pondre, la sal….

Je suis affolé et me ferme comme une huitre. Tout ça pour ça. Bon, je n’ai que deux parcelles de touchées (pour l’instant…) Mais pas des moindres. Conseil de guerre avec Serge et décision de mettre tout le monde sur le pont demain, dimanche. Par chance, j’ai 30 vendangeurs formés et 25 cueilleurs d’olives qui sont prêts à venir en renfort. Sur le Carignan, plutôt mûr, heureusement sans que je puisse expliquer pourquoi alors que d’autres ne le sont pas, une équipe va passer avant, débarrasser chaque grappe une par une des baies touchées. Elles seront vendangées par une autre équipe, dans la foulée. Sur le grenache touché, ça va être plus difficile car cette année, les grappes sont très gonflées, sans espace entre les grains pour libérer les grains abimés sans faire plus de mal que de bien.

Je suis furieux de ne pas avoir été averti. Ni par l’ICV, qui a dû voir ce genre de dégats depuis des jours. Ni par la chambre d’agriculture, qui ne fait pas le job car la mouche est arrivée dans le département sur les cerises en 2011 comme me l’apprend une simple recherche internet. Ni par les conseillers des sociétés qui me vendent les phytos. Je cherche sur internet ce qu’est cette immonde saloperie et je frémis. Un doc Suisse me semble le plus complet et le plus lucide, je vous le met en lien ICI. Pourquoi sommes nous incapables de faire ça ? L’INRA, il fait quoi ? On sait gérer la mouche de l’olive, on aurait pu mettre des pièges biologiques, apprendre, voire tenter un traitement, pourquoi pas à l’argile, ça marche sur les olives ? Clairement, c’est la climatologie de l’année qui est en cause : hiver doux, été particulièrement humide, automne très chaud et humide et pas une journée de Tramontane en septembre, du jamais vu ici. La Tramontane, croyez moi, je ne râlerai plus jamais contre elle : c’est clairement un élément essentiel de notre terroir, une amie dans l’ombre qui vous fait du bien sans qu’on en soit vraiment conscient.

Soirée fébrile ou l’abattement gagne. Je mange la moitié d’une croustade aux pommes. Je me plains juste après d’en avoir trop mangé. Je marche d’un bout à l’autre de la pièce, ce qui déplait à mon fils qui déteste les Zombies. Je regarde Ophélie Winter qui danse avec une star, à moins que ce soit le contraire : je suis au plus bas, vivant dans ma chair l’attaque de mes vignes. J’ai des démangeaisons, des bouffées de chaleur, des excroissances me poussent. Putain d’empathie. Le stress monte. J’ai envie d’acheter des trucs débiles sur internet pour me rassurer. Je regarde un poêle, des trucs débiles sur vente privée mais les tasses à café double parois sont épuisées et les radiateurs chauffe-serviettes sont trop larges. Rien ne va bien, décidément.

Nuit de bébé : réveillé toutes les deux heures, terriblement angoissé.

Dimanche. Cinq heures du matin. Il commence à pleuvoir. Ca commence à faire beaucoup.

8 commentaires

  • Nicolas
    06/10/2014 at 10:02 am

    Courage Hervé, courage http://blogreignac.blogspot.fr/2012/07/my-suzukii-is-not-fantastic.html
    Cette année elel est en Suisse, Alsace, Vallée du Rhône, Aquitaine et donc aussi sud est

  • Vincent ML
    06/10/2014 at 2:26 pm

    Merci pour cette transparence Hervé et bon courage!

  • Clément
    06/10/2014 at 4:00 pm

    bon courage et bonne chance pour la suite de ces vendanges atypiques.

  • charlesp
    06/10/2014 at 6:52 pm

    Salut Hervé, corrige la « inule ». Bon courage ++

  • stef
    06/10/2014 at 7:27 pm

    On pense bien à toi, Hervé !
    Drôle de vie que la nôtre, nous en sommes réduits à nous battre contre des petits empêcheurs de dormir en rond. C’est gros comme un grain de sable et cela grippe la machine !
    Mais tu es un Colosse dont les pieds ne sont pas en argile et du courage tu en as.
    Je t’embrasse,
    stef

  • M.
    07/10/2014 at 10:07 am

    La petite mouche sur la photo, ne peut pas être en train de pondre, c’est un mâle! Chez Suzukii, les mâles ont des tâches noires sur les ailes, les femelles sont juste un peu plus girondes que leurs consoeurs européennes.
    Grosses attaques en Alsace, où je travaille. Pièges de la chambre d’agriculture qui sous-estime quand même énormément l’impact de ces petites mouches capables de perforer les baies. Plus un seul muscat d’Alsace vaillant, étant rouges comme des cerises. Bon courage.

  • RODOLPHE
    08/10/2014 at 3:41 pm

    Déjà en 2009, certains techniciens avaient évoqué la présence de la suzukii sur les pêchers de la vallée de la Têt.

  • producteur breizh
    19/11/2019 at 11:57 pm

    La vie est trop courte pour la gaspiller à poursuivre un amour impossible.

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