Vendanges 2014 – J+17 – Retraite stratégique


Tout est calé pour la journée de dimanche. La nuit est compliquée, l’angoisse m’a réveillé je ne sais combien de fois, la fatigue, lourde, m’a rendormi aussitôt. Ces évènements se passent entre 5 h et 8h30 et…: c’est la pluie…

La pluie, il n’en a pas été question sur la météo… Ou alors si vaguement que je l’ai pas vue. Elle sort d’où ? Comme si ce n’était pas assez compliqué comme ça, faut que la météo s’en mêle. Deux à trois heures d’une pluie drue, soutenue, ma poitrine est serrée, mes épaules dures comme un cable d’acier. Pas de «massage-chair» à l’horizon, il faudra faire avec. La météo – faut il la croire ? – me dit que ça va se lever. Au bord des vignes, tout le monde attend dans les voitures et les fourgons. Deux équipes, une qui vendange une parcelle, une autre, ailleurs, trie pour préparer la vendange de l’équipe qui viendra après avoir fait… Bon, je crois que je perds mon temps à tenter de vous expliquer cette guerre de mouvement qui va durer toute la journée. L’essentiel, vous l’avez compris, il faut aller plus vite que la bestiole ne pond, ce qui n’est pas gagné vu qu’elle pond beaucoup et très vite.

Le jour se lève, le temps aussi, la tramontanette, pas plus de 20 km/h, aussi et le ciel, du coup se découvre aussi. Le moral remonte aussi, on va peut-être y arriver. Vive les «aussi». Manque plus que ? Que ? Félicie… Je sais, c’est la fatigue, pardon. On dirait du Denisot… Entendu à la télé au petit journal : le plus dur pour une poule ? Passer du coq à l’âne ;-). Si fatigué, si angoissé qu’un rien me fait rire. Enfin, un rien, comme tu y vas, dirait la poule…

On commence à encuver le raisin cueilli la veille, bien frais. Frais, c’est aussi le temps de ce matin, 8° et ça va simplifier grandement le tri. La situation s’est encore dégradée dans la nuit, la Suzukii étant décidément une arme de destruction massive. Serge et 12 personnes mettent les mains dans les grappes, avançant souche par souche, sarment par sarment, le dos courbé, les reins cassés. Dire qu’on avait déjà tout trié, effeuillé et que sans ça on aurait eu du caviar de chez caviar… C’est plus de 50 % de la récolte qui va finir à terre sur cette parcelle. Et en plus, ce ver démoniaque doit être enterré si on veut le tuer ou le ralentir. On est pas rendu… Bon, je sais, les conditions météo de l’année sont ici exceptionnelles; pas vraiment mauvaises, mais tout est comme à l’envers. Si c’était comme ça chaque année, je changerai de métier. Je plains les régions ou les cultures qui vont vivre ça chaque année… J’ai beau en parler autour de moi, tout le monde a l’air de s’en moquer, tout le monde étant content de finir les vendanges. «Tu es sûr ? Ah bon ? Oui, ça lâchait un peu, à la fin, on s’est dit que ou que…» Après tout, chacun son combat, hein. J’ai prévenu mes amis des hauts cantons, peut-être là bas ne sont il pas touchés, après tout…

Je cours de vigne en cave, coordonne et pilote les équipes pour tenter de ne jamais arrêter encuvage et tri sur le tapis ensuite. Un camion arrive, un autre part, ce raisin ici, cet autre là. Froid, densité, réglage de l’égrappoir, on avance peu à peu, mètre par mètre, tout le monde est à fond, motivé. Les feuilles de paye – généreuses grâce au contrat vendange et les heures supplémentaires, payées rapidement 50 % de plus – sont tombées il y’a quelques jours et on mis un coup de fouet positif au moral de tout le monde. Comme disait Coluche, c’est pas tant du travail que veulent les chômeurs, mais du pognon. Celui là, ils ne l’ont pas volé, croyez moi et le contrat vendange permet vraiment de motiver les troupes. Bien sûr, les socialistes veulent l’enlever l’année prochaine. Bon, autre chose à penser. Pauses courtes, déjeuner rapide, on aura rentré pas loin, je pense, de six hectares, une performance avec les «transferts» entre les «spéciales»,, dont un Cabernet-Franc proche de la perfection. Au remontage, le jus est d’un aromatique divin. Nous qui pensions remplir une petite cuve chaque jour avant la fin de la semaine, c’est raté et nous voilà à… 20 heures encore en train d’encuver.

21h30 heures, on commence le nettoyage, après une pause pizza toute chaude. Faut toujours avoir quelques pizzas au congel pendant les vendanges. C’est pas grand chose mais ça redonne le moral à tout le monde. Tchao fait les remontages d’homogénéisation, on force un peu le SO2 à l’encuvage sur la cuve triée, ce qui ne nous est pas habituel, mais sur cette cuve, on est un peu en terrain inconnu et cela va purifier un peu le milieu. On a eu beau trier à fond, il doit bien rester un chouia de pourriture acide. Parait qu’on peut en avoir 10 % sans soucis. On en est loin, mais bon, on est pas habitué. Une heure de nettoyage, mais on est cinq, tout le monde est resté, le rythme est là, toujours soutenu malgré la fatigue et l’horaire. On décide le lendemain de décuver pour être un peu plus à l’aise les premières cuves de Syrah, sèches et vraiment très bonnes. Dans ma tête, les scénarios pour les journées suivantes se réduisent à trois mots : vendanger, trier, courir.

Le raisin rentré est magnifique, sans doute pas avec les maturités phénoliques des millésimes précédents, mais disons qu’on est à un bon 16/20, et le meilleur reste à rentrer, mardi et mercredi. On devrait faire de bons vins. A quel coût ? Mieux vaut, à ce stade, ne pas le savoir.

3 commentaires

  • Pascal Durand
    07/10/2014 at 9:30 pm

    Ne pas paniquer avec la pourriture acide. J’ai souvent été confronté avec ce type de vendanges sur Gamay, cépage sensible au botrytis qui dérive en vinaigre avec l’aide de nos drosophiles et des températures douces. Les principes sont « assez simples » : – Tri soigné, ce que vous faite je n’en doute pas!
    – Inerter la vendange le plus tôt possible, cela stoppe les bactéries acétiques qui ont besoin d’oxygène pour se multiplier.
    – Démarrer rapidement la fermentation alcoolique.

    Après ça tout se passera bien, même sans trop augmenter le SO2. La fermentation alcoolique va « digérer » toute ces bactéries et vous n’aurez pas de volatile plus élevée en fin de FA.

  • chatloup
    08/10/2014 at 11:07 am

    Moins de maturité phénolique que des années précédentes (d’ailleurs d’après quels critères? ce ne serait-t-il pas surtout une histoire de concentration ?) mais plus que les voisins qui ont vendangés bien plutôt et aussi sans doute plus qu’une gigantesque majorité de cuvées « concurrentes » (de France) dont le vigneron n’aura pas été aussi patient (peut-être pour de bonnes raisons d’ailleurs, contraint et forcé, mais bon en amont et dans une certaine mesure, il est possible de repousser ce moment).
    Aussi est-ce que les équilibres des vins ne seront t’ils pas meilleurs que dans des années plus sèches, ventés et chaudes? Perso, je pense que cette maturation relativement lente permet un meilleur murissement qualitatif du fruit et cela donne de meilleurs vins.
    16/20? Vu ce que je comprends à travers votre blog (et si la note concerne bien l’ensemble de votre vendange et pas seulement la parcelle parasité par suzkii), je vous trouve légèrement sévère. Perso je ne doute pas que vos cuves abriteront de très très grand 2014. Faut dire que d’après mes goûts 2013 et 2014 sont/seront en vignoble méridionales (en France au moins) des millésimes bien meilleurs (qualitativement, la quantité c’est une autre histoire…) que des 2010-09-12, etc. à condition que sur l’ensemble de l’itinéraire de production (cela prend donc en compte la qualité du lieu de plantation et le matériel végétale… entre autre) il y ait eu une certaine rigueur…

  • Michel Smith
    11/10/2014 at 8:01 pm

    C’est vraiment l’année du vendangeur, je veux dire de cette capacité qu’il a à comprendre le tri, à laisser tomber les grappes inutiles. Du moins c’est mon impression. On perd en rendements, mais on gagne considérablement en qualité. Hervé, ce sera un très bon millésime pour toi et ta troupe !

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