Vendanges 2014 – J+18 – Blitzkrieg


Ne nous leurrons pas et gardons les yeux grands ouverts et l’esprit clair, lucide sur la situation… On ne peut pas gagner devant cet insecte. Mais on peut le prendre de vitesse. Alors faisons le. Haut les cœurs.

Lundi, après une journée de décuvage où on en profite pour rentrer les derniers Mouvèdre pour Walden et passer toutes les parcelles du Clos des Fées en revue, là où le raisin est encore sur pied. Il faut bien se rendre à l’évidence : une partie de l’une d’entre elles ne sera pas vendangée, et va être abandonnée à son sort, le cœur déchiré. Cela va dégager du temps à l’équipe pour sauver une autre, plus importante, qui, elle, peut l’être. C’est un Grenache un peu chargé pourtant trié, effeuillé, tout comme il faut, qui donne chaque année des vins magnifiques. Mais trier à ce moment là de l’épidémie ne servirait à rien : touchée avant les autres parce qu’un peu plus dans un creux, un poil plus humide, un poil je ne sais quoi, les bestioles l’ont pris avant les autres comme terrain de jeu. Ou plutôt de guerre car c’est bien d’une guerre entre elles et nous qu’il s’agit. Comment sont elles arrivées là ? Depuis combien d’années au fait, attendant une année propice ? Comment s’est elle transportée ici, à 20 km de la moindre culture fruitière, au milieu de 1000 ha de garrigues ? Beaucoup d’interrogations de notre côté et, toujours, de la part des techniciens, un intérêt très relatif : A bon ? Tu crois ? Vraiment ? Faut voir. J’arrête là. Après tout, nier un problème est une parfaite façon de le résoudre. « Je dois assister à un colloque, bientôt, sur le sujet, j’en saurai plus ». Va dans la vigne avec une loupe, glandeur, tu la verras toi même, la bestiole… Je laisse tomber.

Vous voulez voir l’étendue du problème ? Deux Grenache. Le même jour. Sur deux parcelles, l’une à peine attaquée, l’autre condamnée. Vous allez comprendre, un petit dessin vaut mieux que tous les écrits du monde… Là c’est beau, mûr, parfait, on le vendange. On voit les feuilles encore vertes, la plante encore capable de mûrir tranquillement.

Là, quelques jours plus tard, seulement. Toute la grappe est attaquée, les baies sont percées. La pourriture acide est installée, les baies fermentent. Certains savent peut-être vinifier ça, pas moi. Heureusement, la nature est cette année généreuse et je ferai une bonne récolte, en quantité ET en qualité, c’est maintenant certain.

Ailleurs, c’est une toute autre histoire. Nous avons déterminé les deux principaux Schwerpunk (pas à dire, l’Allemand, pour certaines choses, y’a pas mieux…), une offensive mardi, une mercredi. Le mardi, les grenache, en triant quelques parcelles touchées, mais c’est assez rapide car il n’y qu’un ou deux grains abîmés. Cela ne peut se faire qu’à la vigne. Chaque grappe est cueillie, examinée, les grains mous et spongieux ou secs sont enlevés du bout du sécateur. Certaines sont jetées, mais très peu. Heureusement heureusement mon Dieu que nous avions tout préparé lors des deux premiers passages. Sinon, nous aurions tout perdu. Étonnant, pas UNE trace de botrytis, malgré le climat toujours chaud et humide, sans Tramontane.

A la cave, on est à fond. Fin du Faune avec un Merlot superbe, bien mieux que je ne le pensais sur pied, sans doute en train de voir peu à peu tout en noir. Clairement, les cépages aquitains résistent bien mieux aux années humides que nos cépages locaux. On devrait faire 2 500 flacons de Faune si tout va bien, au moins ça, comme les blancs, c’est parfait. Les jus sont d’un aromatique particulièrement précis.

Journée Grenache, chaque parcelle trouvant sa cuve, presque naturellement, tel un grand jeu de Lego, l’habituel puzzle de l’encuvage. «Pourquoi, me demande Tchao, celle là avec celui là et cet autre pas » ? Je ne sais pas Tchao. Désolé. Tu vois les pigeons, que je t’ai préparés Dimanche ? Et bien j’ai posé les filets dans ma sauteuse, bien chaude, beurre et huile, puis j’ai fait autre chose pendant qu’ils cuisaient, sans les regarder. Puis je les ai retournés. Et voilà, un peu de repos, ils étaient parfaits. J’ai «senti» leur cuisson – que je voulais saignante –, en intégrant le temps de repos qui remettrait le sang vers l’extérieur; je ne connais ni la théorie (à part le principe de Maillard, qui me fait régler la bonne t° du feu), ni la vitesse d’avancement du feu, ni la t° à atteindre à cœur, ni les règles de conductivité du pigeon. C’est du pur ressenti, de l’émotionnel, cette forme d’intelligence que l’on commence à peine à respecter alors qu’elle régit toutes nos vies en fait. Je le sens comme ça, avec mon ventre, avec mon cerveau aussi qui a intégré tous les vins que j’ai bus, tous les vins que j’ai faits. Difficile à expliquer, encore plus cette année…

Journée épuisante, pour tout le monde. Mais on est en train de gagner, mon moral remonte. Ca se sera joué à peu de chose…

3 commentaires

  • Laurent
    09/10/2014 at 7:16 pm

    Je vois que les mêmes problèmes se posent a peu de kilomètres près.j’ai jeté depuis 3 jours des dizaines voire des centaines de kilos de raisins. Tout y passe et il ne me restait que des côteaux exposés plein nord sur des sols relativement pauvres. En 2/3 jours tout est parti en vrille, j’ai rentré des grenaches et mouvèdres avec 70% de pertes nettes mais ce qui est rentrè et bien trié devrait etre de bonne facture.

  • Agnès C
    10/10/2014 at 12:08 pm

    Cher monsieur Bizeul, je ne me lasse pas de vous lire, de suivre cette aventure mi-policière mi-viticole. Votre blog est un comme un roman, on a envie de savoir où vous en êtes vous et votre équipe tous les matins quand arrive le billet sur la b@l. Vous m’énervez parfois, vous me faîtes sourire voire rire, vous instruisez , mais surtout ce journal de bord est une sorte d’immersion très réjouissante. Et vous savez quoi? Ca donne envie de voir le résultat de ces nuits, de ces journées, de ces coups de poker, de ces baisses de moral ou des ballades dans les vignes nez au vent. Je ne désespère pas de faire un jour connaissance d’abord avec vos vins …vous, vous me faîtes peur, je vous imagine ogre chimérique ou dézinglé (ne le prenez pas mal).
    Bref, j’aime bien vous lire.
    Merci

  • Michel Smith
    11/10/2014 at 7:48 pm

    La stratégie, l’observation, le feeling… Tu vas passer de Cap Horn, Hervé ! 😉

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