Que va t’on faire de tous ces master ?


Grand Bordeaux Tasting ou Grand Tasting Bordeaux, je ne sais plus. Week-end studieux dans cette ville qui est vraiment magnifique et même plus : splendide ! Bon, la circulation est impossible, bien sûr, comme partout, mais bon, c’est ainsi. Déco de Noël, éclairage luxueux, se promener est un plaisir des yeux.

Bordeaux sait recevoir. Salon magnifique place de la Bourse, visite de châteaux et d’amis, après une belle journée à Paris, ce week-end, à l’approche de Noël, fut un bonheur. Je ne vous dirai pas, désolé, où nous sommes allés précisément et pas tout ce que nous avons bu, histoire de ne pas attiser les jalousies, mais sachez que cela fut un enchantement. Le genre de luxe qui n’a pas de prix, parce qu’on ne peut pas l’acheter, parce qu’on parle de valeur, de chaleur, d’émotion, d’amitiés et de respect. Et pas d’argent. Tout ce que j’aime et pourquoi je me bats.

Le grand Bordeaux, quand c’est grand, reste une forme de perfection artistique que l’on ne peut nier. Bon, quand c’est mauvais, c’est franchement mauvais, il faut le dire aussi. Le problème de tout cela, c’est la promesse de départ : à l’ouverture d’un Ausone 2007, elle est immense et plane, presque physique au dessus de nos têtes. Le vigneron, alors, quel qu’il soit, doit passer par le doute. Ou pas 😉 Et là, soudain, explose dans les verres un génie évident et la gorge se serre. Je ne sais ce que j’ai, depuis l’autre nuit, je me prends à écrire en alexandrins sauvages, et ne sais franchement où tout ça finira. Une sorte de Slam, en fait, à déclamer sur un beat de qualité. Bon, faudra vous habituer et attendre que ça me passe. Ou étais je ? Ah, oui, la promesse… Lorsqu’en revanche Château Margaux 2002, apparait à l’aveugle et en carafe et, que soudainement le vin ici déçoit, presque fatalement, on se dit que certains sur l’ouvrage se penchent mollement, un peu légers quand même, et qu’un bon coup de pied, dans les vignes se perd, au lieu de… A ce prix, cette image, quand même, de qui se moque t’on ? Et n’oublions pas une franche baffe, face à face, yeux dans les yeux, aux journalistes qui cautionnent ça. Passons.

Gros coup de cœur pour La Lagune 2010, où Caroline Frey officie, calme et sereine désormais, voire même gaie, respectant le terroir mais aussi ses envies de fruit, de simplicité, niant d’influencer – par ses autres vinifications en particulier chez Jaboulet bien sûr et bientôt en Bourgogne – des traditions bordelaises dures à dépoussiérer. Lorsqu’on y pense, une personne responsable (pas consultant. ce qui n’est pas pareil…) de l’avenir de terroirs, de cépages, de goûts aussi différents, voilà qui est une nouvelle expérience que le monde n’avait pas connu, ne serait ce qu’à cause des moyens de communication, limités, autrefois. Là, dans ce vin, riche mais pas trop, mûr mais pas trop, vif mais pas trop, au fruit précis et franc, délicat et mordant, soyeux et souriant, j’ai compris qu’elle allait bien, qu’elle était heureuse, qu’elle enlevait désormais le superflu dans ses vins pour n’y garder que l’essentiel. Dans sa vie aussi, sans doute, tout cela est intimement lié. Des vignerons à Bordeaux, oui, il y a en encore. Et pas des moindres. On la choisie volontiers pour faire les couvertures pour son côté décoratif, on ferait mieux de voir en elle la personnalité affirmée dans ses goûts et dans ces choix. Il m’en faut dans ma cave ! Je ne vois rien de plus simple et de plus efficace à vous dire, pour que vous compreniez que j’ai aimé ce vin. Et puis j’écrirai, voilà un thème gai, un billet un beau jour, sur l’étonnant reflets des vins et de ceux qui les font.

Gentil salon, donc, bondé et animé, où une nouvelle race de consommateur apparait, en nombre stupéfiant : le Master…

« Bonjour, nous sommes étudiants en master (de com, de ventes, de gestion, de je ne sais quoi mais toujours dans le vin). Pouvons nous goûter ? Voulez vous venir nous faire un cours ? Pouvons nous passer à la propriété ? Avoir des échantillons pour les TP ? »

Euh… Ben oui, mais, vous ou votre classe, qu’allez vous faire pour moi ?

La réponse désarçonne. Comment ça ? Et bien vous me demandez, dans un esprit de bienveillance réciproque, de vous donner de mon temps, de mon vin, de mon attention. Et vous, qu’allez vous me donner ? Avez vous pris simplement le temps de regarder mon site ? D’écouter l’excellent émission de radio de Marie-Pierre Planchon qui résume si bien ce que je cherche à faire ? Savez vous qui je suis, surtout à quoi je rêve ? Que voulez vous savoir, que voulez vous goûter ? Voilà que l’envie de vers m’agite à nouveau, comme c’est affolant !

Non, bien sûr tous ces jeunes, charmants, polis, propres sur eux n’ont pas vraiment d’idées, de projets, de visions. Mais que diable vont il faire dans le monde du vin, dans les années qui viennent ? Travailler ? Certes. Mais où, comment, pourquoi, pourquoi faire surtout et pour produire quoi ? Certains trouveront, bien sûr, les meilleurs, les plus fins, les plus jolies aussi, une place sans doute et un petit bureau. Mais les autres ? La filière, atomisée, faites de 20 000 minuscules TPME et de bien peu de grosses, comment pourra t’eile absorber tant de «cadres» potentiels qui se voient commencer à travailler pour 2 000 euros net mensuel, salaire que bien peu de vignerons s’accordent à eux même ? En attendant, ce matin, certains CV sur Linkefin affolent : loin d’être un manche, je n’avais pas à 23 ans cette expérience et cette volonté. Quand ils seront aux manettes, la filière va bouger. Et dans le bon sens. Pensif, me voilà, pensif, à rimailler…

Mais tout cela m’inquiète, j’essai d’être gentil,

de donner de mon temps et puis de l’énergie.

Mais j’ai bien peur aussi, très vite et sans pitié,

tout ces jeunes, brillants et surtout passionnés,

sur des voix de garage risquent de végéter.

En attendant on goûte, on se presse, on sourit.

Notre vin de dessert est un baiser ardent,

que tous ici présents goutent en souriant.

S’il vous plait, vigneron, tendez le bras encore,

pour mon frère, mon ami, ma femme que j’adore.

Il leur faut tous goûter ces quelques larmes d’or

qui réjouissent le cœur, l’âme et puis bien sûr le corps.

Une goutte suffit de l’elixir de fées pour comprendre, soudain,

que la vie est bien courte, le plaisir bien fugace

et que boire un vin doux, reste un plaisir de roi

pour un prix ridicule, l’on peut ainsi saisir

l’aigre doux de la vie, tout son sel, sa folie

qui se résume ainsi avant que tout s’effondre

en deux mots bien sentis : Carpe Diem.

Faut que j’arrête d’écouter Grand Corps Malade : super album au fait, cadeau de Noël idéal.

Je vous en parle demain, de musique, si j’ai le temps. Mais je le prendrai, promis.

4 commentaires

  • Naomi Marienneau
    15/12/2014 at 4:07 pm

    Mais si on a plein d’idées! Et c’est moins le salaire de cadre que la passion qui nous anime! Pour les « master » il nous reste encore quelques mois de scolarité où l’on insiste beaucoup sur la création d’un réseau, d’où sûrement cette impression de « Master demandeur ». Mais l’école finie, sans parler au nom de tous bien sûr, c’est bien la passion qui nous aidera à exercer un métier dans le vin et à mettre en place nos projets pour la filière. Venez faire un tour sur mon blog, je parlais des sorcières le mois dernier (un peu sérieux mais pas trop) : http://unepoulichedanslavigne.com/2014/11/19/ma-sorciere-bien-aimee-a-des-cheveux-de-soie/
    Amicalement,
    Naomi, Master pleine d’idées

  • Chloé LB
    15/12/2014 at 6:24 pm

    Avec des espaces :

    Crise de l’emploi ou crise de pessimisme ?

    Après ce beau récit à la plume habile et poétique, je me dis que vraiment, plutôt que de rester à ma table à servir du vin, j’aurais dû prendre le temps d’aller au Clos des fées pour pouvoir vous rencontrer. Vous étiez inaccessibles (trop sollicités) à Paris et invités d’honneur au Bordeaux tasting. J’aurais dû m’éclipser deux minutes, jubilant de faire attendre mes amis masters pour rencontrer un vigneron entier. J’ai eu ce plaisir au Grand tasting, en m’invitant aux tables du Chêne Bleu en Ventoux ou encore au Clos du Papillon dans la Loire. Encore une fois dans le monde du vin, c’est une belle claque à recevoir pour tous les étudiants que nous sommes, un exemple de charmantes philosophies et de savoir-faire sans pareil. Alors oui, j’aurais aimé venir jusqu’au clos des fées, agrandissant ainsi la liste de mes collègues Masters.

    Pour ce qui est de l’expression « voie de garage » que vous utilisez, en toute sincérité (et aussi parce que j’ai envie d’y croire), je ne pense pas. On disait pareil des psychologues et pourtant l’humain n’a jamais été si triste et pessimiste qu’à ce jour. Si nos fabriques à plaisir se mettent à voir noir elles aussi, où s’arrêtera le défaitisme ambiant ? J’aime croire qu’au contraire, le monde est gorgé d’opportunités et de vignerons passionnés prêts à voir les choses différemment.

    Ce que nous vous proposons ? Une vue globale, pêchue et mise à jour. Des têtes bien faîtes aussi, et des esprits passionnés. Et, toute arrogante et insolente que notre génération puisse être, nous avons de hautes ambitions, mais à la hauteur du potentiel de notre filière. Des emplois ça il y en a, mais ailleurs… Aux US ou dans ce que nous aimons appeler : le nouveau monde. Ce que nous partageons tous, c’est de l’amour et des idées pour nos produits, mais nos attentes et nos qualités sont variées. Parce qu’on ne fait pas qu’enfiler des perles dans nos jolies écoles.

    Alors soyons optimistes et espérons qu’à l’avenir, l’un des premiers pôles de recettes du pays (Vin = deuxième poste excédentaire dans la balance commerciale de la France) comprenne enfin où est l’enjeu. Qu’un leadership ça se garde en s’en donnant les moyens et pas en faisant comme on l’a toujours fait. Parce que le plus gros risque dans l’histoire, ce n’est pas le chômage (Zéro chômage en Australie), c’est l’immobilisme de nos vignobles et nos façons d’envisager l’avenir.

    Des idées, nous en avons plein ! La question maintenant c’est : est-ce que les vignerons sont prêts à les entendre ?

    Long message, certes, mais il en faut parfois.
    Au plaisir de vous rencontrer sur un prochain salon,
    Chloé Le Bouffo, Master Vin au Bordeaux International Wine Institute

  • Vincent ML
    15/12/2014 at 6:43 pm

    Cher Hervé, vous voilà reparti … c’est un bonheur de vous retrouver.

  • Greg
    16/12/2014 at 2:53 pm

    Peut être que tous les étudiants vins ne travailleront pas dans ce domaine mais en attendant ils deviendront les futurs ambassadeurs et consommateurs des bons et vrais vins

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