Un nouveau départ


Je sais, je sais, ça fait un peu épisode de « Starwars ». Mais tous ceux qui font des blogs le savent, le titre, c’est le plus difficile…

Départ pour Singapour ce matin. Enfin hier. Enfin je ne sais pas. 12 heures de vol, c’est maintenant le matin pour vous, le soir pour moi.

Difficile cette fois ci de me décrocher de mes vignes. L’impression d’être une huître un peu cinglée qui veut se décrocher de son rocher pour aller voir le vaste monde. Deux semaines, enfin 13 jours sur place mais ça fait presque deux semaines, me voilà parti pour un Asian Tour un peu étrange, qui va me mener à Singapour, Jakarta, Singapour, Honk-Kong, Singapour et retour. 13 jours, 12 diners, master class, certains privés, chez de grands amateurs, d’autres presque banquets, où nous attendons 40, 60, voire 80 personnes.

Gaspard est rentré en 5ème, et nous voilà au cœur des « fourberies de Scapin ». En le regardant réciter sa scène il y a deux jours, je savourai la célèbre phrase « mais qu’allait-il faire à cette galère »… Oui, que viens je faire ici ? Vendre du vin ? J’en doute un peu, en tout ças pas plus que je n’en vends déjà, c’est à dire un peu puisque mon niveau de production va de « faible » à « pas grand chose ». Porter la bonne parole pour ma région, le Roussillon, dont je suis si fier. Sans doute. Je ne suis pas une locomotive, comme certains me voient (la masse, sans doute…) mais plutôt un « brise-glace » (pour la masse, c’est pas mal). Je ne tire rien, j’ouvre peut-être des voies, des chenaux, dans un monde du vin figé où les consciences et les caves sont difficiles à changer.

Lu dans l’avion un article sur un livre sur les habitudes, la difficulté d’en changer. Mon combat est digne de Don Quichotte et, mon saladier sur la tête et ma lance à la main, me voilà parti pour tenter de convaincre, illustrer par de bonnes bouteilles, j’espère, toute l’énergie et le potentiel de cette région en devenir. Enfin, ça, c’est le concept. On verra. Ensemble ? Oui, ensemble. Ceux qui me lisent régulièrement, il y en moins qu’on ne le croit, savent que certains de mes meilleurs billets furent écrits en voyage, la nuit, dans une ombre discrète, dans le bruit de la nuit. Ils le souhaitent, je le sais, en ce moment même, que je sois tellement jet lagué, comme au Japon, pour avoir chaque jour un billet d’humeur, de voyage, de tout, de rien, sans queue ni tête, comme on les aime, force du blog qui ne cherche rien si ce n’est à témoigner du passage fugace sur une terre d’un paysan du midi.

J’ai eu du mal à partir, je l’avoue. Vraiment. Sans doute est ce un des derniers voyages aussi longs que je fais. Bientôt mes adieux à la scène. En tout cas les premiers. Trop fatiguant, trop long, trop loin de mes enfants, de mes vignes. Dimanche, dernier tour au milieu de Génégals. Je viens encore d’acheter une vigne, mais bon, bien sûr, j’ai toutes les excuses pour me justifier. La place, l’état, bref, comme disait Nietzsche, « je dis que je veux une chose parce qu’elle a telle ou telle qualité; mais en fait, je lui trouve des qualités parce que je la veux…. ». En me promenant dans cette vigne, si vieille, si pitoyable, si maltraitée, en prenant conscience du boulot qui nous attendait, je m’en suis voulu. Et puis, marchant dans les vignes, je me suis mis à leur parler, comme je fais toujours quand je deviens leur nouveau maître… Là, ce fut « elles ». Et oui, les vignes ont un sexe. Rien à voir avec leur cépage, avec leur âge. A certains, je leur parle en garçons. A d’autres, en filles. Tant que je n’en ai pas la responsabilité, elles sont neutres. Et le premier jour, elle naissent, avec moi, et je découvre, émus, à qui je vais parler désormais.

Ce jour là, ce fut « mes pauvres », mes « cocottes », mes « belles ». Et puis d’autres choses plus intimes que je vais garder pour moi, que leur ai dites en frôlant leurs sarments, en caressant leurs bras. Certaines ne pourront pas être sauvées, c’est trop tard, mais nous allons faire le maximum pour les autres. Choix difficile de décider qui va mourrir et qui va être sauvé… Cela m’a surpris, je m’attendais à des messieurs, d’un âge certain. Ainsi va la folie douce du vigneron. Enfin la mienne. Parler aux vignes. Tout fort, en plus… Mais nous voilà donc liés, jusqu’à leur mort ou à la mienne, alors, me sachant partir bientôt, j’ai marché, longuement dans les vignes, dimanche, cherchant à mémoriser l’air pur, le soleil, le silence si particulier du matin, vers 19 heures, la douceur du sol, son toucher aussi, me connectant de tout mon être à mon terroir qui me manque déjà.

Singapour, à nous deux.

 

5 commentaires

  • Pierre LIGER
    21/01/2015 at 7:01 am

    Bienvenue à Singapour … où nous vivons depuis 1 an. Ravi de vous recevoir dans cette ville-état, mais quel dommage de ne pas avoir le détail de votre programme !!! Secret-défense ?

    Fidèle lecteur de vos blogs, celui me relie à la France … et nous fais prendre conscience chaque jour les excellentes choses qui s’y passent, que y sont créées …

    Et nous pouvons être fièrs de vos vins, qui quant à eux me relie aux Pyrénées Orientales dans lesquelles nous allons skier dans 3 semaines … et dans lequelles je me rends depuis xx années (0<xx<100).

    Et oui, Singapore-Paris-Perpignan-Font-Romeu, c'est pas la porte à côté. Mais le plaisir de déguster un de vos crus, les pieds devant la cheminée après une belle journée de descentes ….. ça n'a pas de prix.

    Bienvenue à Singapour !
    Bienvenue en ASIE !

    Amicalement, Pierre.

  • dupere barrera
    21/01/2015 at 8:16 am

    Très beau texte et j’adore cette dernière phrase : « le silence particulier du matin, vers 19 heures… »

    • Hervé Bizeul
      21/01/2015 at 9:53 am

      Bon, je corrige pas, sinon ton commentaire tomberai à l’eau… tout le monde avait compris 9 heures, j’espère… Avant, trop de bruits d’animaux. Là, tout le monde se planque et quand il n’y a pas de vent, c’est vraiment particulier…

  • Christophe DELORME
    21/01/2015 at 1:39 pm

    Bonjour Hervé,
    Très beau texte, très sensible, qui illustre parfaitement le déracinement du vigneron loin de sa terre.
    Cela me touche car je m’y reconnais
    Il y a quelques années, après un périple de 20 jours aux USA, d’avion en avion et de ville en ville, j’y ai perdu, non pas mon latin, mais mon Anglais, lorsque je suis revenu, j’étais incapable de parler Anglais durant des mois, trop de stress, trop de fatigue, trop…d’Anglais…
    Je me reconnais aussi lorsque tu parles à tes vignes; en 2003, alors qu’elles étaient en train de crever de secheresse, je me suis surpris à leur dire, » attendez mes chéries j’arrive »,et je leur apportait un peu d’eau, souche après souche, avec un modeste tuyau branché sur une cuve de 2000 litres…les moyens du bord, dérisoires face à une telle canicule, mais j’ai eu l’impression qu’elles m’ont remercié en me donnant, malgré tout, un grand vin cette année là.
    Comme quoi on ne nait pas vigneron, on le devient, et c’est dans ce combat dérisoire face à la nature que l’on comprend que c’est là, au milieu de ses vignes que l’on chouchoute comme ses enfants, que l’on se sent vivre
    Alors,… j’ai arrêté de voyager (d’autres le font pour moi), je reste là, à les regarder pousser, et je ne leur en veut pas de m’avoir empêché de voir ma fille grandir, car je connais chacune de mes souches et je les aime toutes.
    à bientôt Hervé, au détour d’un salon, nos chemins se croiseront sûrement bientôt
    Continue ce combat, pour que les vrais vignerons soient reconnus(ceux qui ont des racines qui poussent au bout des jambes à force de marcher dans leur terre)
    Christophe Delorme

  • Jo le Taxi qui rève de parler à ses vignes plutôt qu'à ses clients anonymes et pressés dans cette routine sans âme
    22/01/2015 at 12:22 pm

    Merde, c’est beau ce que vous dites
    (+C. Delorme).

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