Simple question d’équilibre



Bon, ce matin, honnêtement, j’en ai marre…Mal dormi, lassé de cet air conditionné glacé partout, même en hiver. Un peu barbouillé, si vous voulez tout savoir, et pas à cause du diner de la veille mais d’un truc mangé dans l’avion. Tu-ne-mangeras-plus-les-plateaux-repas-de-l’avion, je m’oblige à copier 20 fois cette promesse pour arrêter de bouffer ces saloperies et de profaner le temple que devrait être mon corps…

Matinée boring. Bon, il y a bien ce petit déjeuner sympa avec Cédric, ex-sommelier qui importe un peu de Clos des Fées ici depuis quelques années au milieu de bons domaines artisanaux français, qui me confirme plein d’informations. La saturation d’importateurs, plus de 4 000 désormais (sic), dont une bonne partie créés pour remettre sur le marché des stocks de vins, et surtout de Bordeaux, achetés pour « investissement » et non, bien sûr, pour le plaisir d’avoir une bonne cave ou pour les générations futures. Pour boire ? Du vin ? Quelle drôle d’idée. On dit qu’il y plus de stocks de grands crus à H.K. qu’à Bordeaux. J’y crois volontiers.

Les loyers augmentent. 10 000 euros mensuels pour un bureau de 40 m2, faut en vendre du vin pour payer ça. Les logements aussi, bien sûr, et il faut compter une heure de transport pour espérer acheter un appartement quand on a un job normal. Et dans les classes moyennes, les enfants ne se désirent pas, ils se « budgettent ». Il y a plein de nouvelles tours, enfin j’ai l’impression, toujours plus hautes, sans doute des banques, parce qu’ici, un banquier c’est aussi commun qu’un vigneron à Vingrau. Les Warehouse sont chères, tout augmente sans cesse. Sauf les marges, bien sûr, vu la concurrence. Alors faut se bouger. De toute façon, ici, si tu ne te bouges pas, on se bouge pas pour toi. Je ne sais pas si c’est bien ou mal, pas de mendiants, ici, mais plein de petits boulots. Quand le travail est à moindre coût, il est clair que l’emploi se crée. Tiens, rien qu’au petit déjeuner, il y a une dizaine de commis que l’on dirait sortis de leur rizière la veille, regard de paysan un peu perdu oblige, tant ils sont maladroits. Mais ils bossent, ont des conseils et des critiques, progresseront et certains « s’élèveront » socialement. J’arrête là, ce n’est pas un blog polémique. Mais je suis pensif sur cette incroyable appétence des chinois à faire de l’argent. Si la composition de l’assemblage est la question préférée des français et le nombre de points des Américains, ici, la question très posée reste : et vous allez grandir, bien sûr, faire plus ? Ben non, ça va bien comme ça. Je préfère prendre du temps pour flâner dans mes bois. J’ai l’impression, alors, d’être un peu un mec dérangé pour eux… Chacun ses priorités. Au sujet des « Parker points » et des américains, il m’est arrivé un truc très bizarre l’autre soir, à Jakarta, un peu tard, ou dansant le « real disco » comme seuls de rares personnes de ma génération savent le faire, ceux qui ont dansé sur Amy Steward, par exemple (il faut voir me voir faire ça pour le croire, je vous assure, toute cette masse sautillante…), une charmante jeune fille, m’ayant apparement reconnu on ne sait comment, me chuchotait à l’oreille « one hundred, one hundred » croyant sans doute que j’étais Parkerisé… J’eu beau lui dire que je n’avais jamais dépassé les ninety-five, j’ai l’impression qu’il y avait comme une incompréhension entre nous…

Anyway, on ragote sur H.K., sur ces nouvelles « écoles de maintien » qui font fureur en Mainland, près de H.K. me dit Cédric, histoire de donner quelques manières à des chinois de Chine continentale, récemment enrichis, ou de leur en enlever d’autres, comme la manie de cracher par terre à tout bout de champ… La colonie d’expatriés français a quadruplé en cinq ans, et grâce à Hollande, on exporte nos meilleurs jeunes, dont nous avons financé la formation fort bonne, en les offrant à des entreprises étrangères  pour une bouchée de pain. Il faut désormais se méfier quand on dit une connerie dans la rue, il y’a toujours un français pas loin, c’est pas encore Londres, mais on en prend le chemin. On parle surtout boulot, commandes, nouveautés (les sorcières rosé et les sorcières blanc 2014 sont en bouteilles, je lui raconte Modeste 2014 qui arrive…). On dit qu’on va se revoir, mais le marché pour moi est ici très étroit, je le sais et je ne peux pas courir le monde pour vendre mon vin en porte à porte non plus. Let we see, Cédric et merci pour ta passion.

On court dans la ville, on attend des vins, on les ré-emballe, on en déballe d’autres, on les ré-envoie vers d’autres destinations, c’est ça aussi le job, bouger des bouteilles, pas simplement se la péter en Bentley. J’en profite pour trainer dans Central où comme toujours, cette ville me fait penser à Blade Runner. J’aime ce melting-pot insensé qu’est Central, mais je ne pourrais pas y vivre, je pense. Tiens, une photo de chinoiseries on dira, le nouvel an chinois n’est pas loin, le 19 février je crois, et tout va s’arrêter à cette période. C’est décoratif. Ca met du rouge dans ce blog plutôt dépressif ce matin.

HK Day 2 - Chinese

Dans la vitrine d’une pharmacie locale, un peu de pub pour un médicament dont je me demande bien les effets et comment ça s’administre. En poudre ? J’espère, parce qu’autrement… Bon, je fais le tour du pavé de maisons, puis la tournée clients commence. Deux ou trois potentiels à voir, dans cette ville qui monte et qui descend et dont les sens uniques sont un cauchemar. Je vous épargne le reste, je suis crevé et je me dis que la fin du voyage va être très, très, mais alors très longue…

HK Day 2 - Lezard

Une heure de sieste, j’en avais besoin, direction la cuisine privée qui nous accueille ce soir. En traversant la ville alors qu’il fait bientôt nuit, les immenses pub pour toutes les marques de luxe françaises sont impressionnantes. On ne dira jamais assez combien on doit à M. Pinault et M. Arnaud d’avoir saisi avant les autres le fabuleux potentiel du luxe à la Française. On est partout. On est une référence. On est un exemple. Grace à leur esprit d’entreprise et quoi que l’on pense du Bling-Bling, on leur doit une véritable « présence » en Asie du Sud-Est où, il faudrait être idiot pour ne pas le voir, le centre du monde s’est déplacé. Merci les gars, ça retombe aussi sur le vin, qui participe, lui aussi au prestige de la France. Sur ce, c’est pas demain qu’un vigneron va être invité dans un voyage présidentiel. Mais bon, on a dit que ce n’était pas politique… En même temps, au bout d’un moment, on en peut plus de toutes ces enseignes de luxe, de toute cette pollution visuelle. Vivement le retour dans la garrigue désertique et minérale de Vingrau.

Deuxième étage d’un immeuble quelconque dans Central, nous sommes chez UMAMI, une cuisine privée tenue par un chef Canadien. C’est une cuisine collaborative, on peut y faire plein de trucs amusants. C’est ICI pour en savoir plus. Il est déjà au travail. Ca sent bon. On ouvre les bouteilles. Je vais bien, tout va bien.

HK Day 2 - Chef

La table est vraiment sympa, non ? Nous serons seize, de la H.K. Wine society, qui compte une centaine de membres dont les plus courageux ont suivi Magalie, à qui nous devons cette belle rencontre, et payent pour diner et déguster une grande partie de ma gamme. J’aime cette idée de payer sa dégustation, ça donne de la liberté à la critique. Bien sûr, je n’ai pas vendu les vins au prix normal, mais je les ai vendus et ça, ça change tout, croyez moi, pour la valeur des futurs jugements.

HK Day 2 - Table vide

Aie, voilà qui est très scolaire… Une dégustation très scolaire, très linéaire, avec un ranking, une hiérarchisation à la fin. Je déteste ça, désormais, tant je pense qu’un vin se juge à table sur sa capacité à donner plaisirs et sensations, mais bon, je suis là, c’est trop tard. A Rome, fais comme…

HK Day 2 - Tastinf Et bien finalement, tout s’est bien passé ! Rarement vu autant de particuliers passionnés avec un tel niveau en dégustation. Le ranking final est intéressant car il y dix vins rouges et on doit obligatoirement donner une des dix notes à chacun des vins. il faut donc s’engager, donner en particulier un premier et un dernier. Les deux Clos des Fées, 2011 et 2008 (superbes) prennent les deux premières places, devant les deux Petite Sibérie. Amusant de voir que certains vins sont consensuels (notés souvent en deux ou troisième places) et gagnent donc grâce à la moyenne, alors que d’autres mélangent des premières et des dernières places. Comme quoi, le bon goût, c’est le sien, celui des autres n’a pas vraiment d’importance.

Chacun commente un vin, avec brio, c’est bon de boire avec des buveurs de bon niveau. On parle de tout et de rien, les questions sont pertinentes, les réponses souvent désarçonnantes car je parle plus d’émotion, de sensation, d’instinct et de plaisir que de technique et de chimie. Apparement, c’est pas courant. Je pense que la dégustation est vraiment réussie et que surtout, quelques personnes qui étaient là par hasard repartent surprises et séduites. Pas simple à réussir car, croyez moi, des tasting haut de gamme ici, il y en a tous les jours ou presque.

Nourriture légère, créative mais autour d’un produit, comme j’aime, avec un très beau canard,un peu froid peut-être mais avec un pruneau réhydraté qui fait un sacré accord. A retenir. On termine toutes les bouteilles, ce qui prouve que tout s’est bien passé. On s’échange des cartes, on se promet de revenir pour une verticale de Clos des Fées. Le Clos des Fées a de nouveaux amis… Et puis j’ai moi aussi appris plein de choses… Je fais des vins « plush », me dit une des dégustatrices. Euh, plush ? On m’explique : a rich fabric of silk, cotton, wool, or a combination of these, with a long, soft nap. En fait on peut traduire par pelucheux, je pense, mais dans un sens aussi très sensuel, si j’ai tout compris à un autre sens du mot qu’on m’a parfaitement mimé… Une autre, Béatrice, me parle de « black sexy witches », une part sombre qu’elle ressent aussi, sous la rondeur… On en reparlera, Béatrice, on est ami sur Linkedin désormais. On parle Wine Mapping, oxygénation lente ou rapide, et j’apprends que « Audouzer » un vin, en référence à François Audouze, le pape Français du vin ancien, est désormais entré dans le vocabulaire US. Je ferai un billet là dessus, c’est intéressant, mais pas ce soir…

Il est super tard, mais on a des bouteilles à récupérer pour un transfert entre H.K et Singapour, demain, et nous voilà vers minuit dans Standley Street ou une femme hors d’âge ramasse des cartons pour survivre. Ma journée fut bonne, au final, bien que je sois crevé, il est temps de redistribuer un peu de joie sous forme monétaire…

Je commence à rabâcher, non ?

HK Day 2 - Clocharde

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