Itinéraires


Sur le World Wine Web, les débats vont et viennent.

Ici les vins «nature», qui voudraient bien un cadre, déjà attaqué alors qu’il n’est même pas né, par les «demi-nature», les «vivants», les «bio sans soufre», les «sans-soufre» tout court, pas toujours bio, dont certains (ou les vilains !) sont si filtrés qu’il semblent botoxés, voire même flash-pasteurisés, excellente méthode pour éviter les intrants, soit dit au passage, donnant d’étonnants résultats gustatifs. Mais pas très nature, apparemment, du moins pas assez, puisque certains, désormais, déjà « nus », non contents de refuser toute chimie refusent aussi la physique, dont le froid, j’imagine. On est pas loin du concept si amusant des Dupéré-Barérra, le fameux NOWAT où l’on refuse l’énergie électrique. Au final, on fera du vin en plein air, dans des poteries, puis dans des cavités de roches naturelles, dans des aven calcaire en formation, sous des dais de peaux de bêtes, en frappant des silex pour cuire sa soupe de poireaux de vignes. On sera ainsi vraiment naturel… Sans moi.

Pendant ce temps, les «bio» tout simples, eux qui étaient si à la mode, à la pointe, sont désormais à la ramasse sur le plan commercial, du moins quand ils n’ont que ça comme argument. Déjà presque embourgeoisés par rapport à leurs membres les plus en pointe, plus connus ou partis plus tôt, leur marché saturé, les voilà réduits à pétitionner, par peur d’être amenés à des «déconversions économiques». Se convertir. Se déconvertir Peut-être le mot «convertir» était-il sans doute un peu fort, lorsque la motivation n’était que mercantile, non ? Voici venu le temps, bien étrange, de l’apostasie viticole. C’est le progrès, ça ?

Époque bizarre quoiqu’il en soit, désolé pour cette longue introduction, où le vigneron doit choisir et affirmer son «itinéraire technique», qu’il soit conventionnel, bio, bio-d, raisonné, raisonné extrême, terra-vitis ou autre label privé, durable, ou je ne sais quoi. Il faut un label. Des tables de la Loi. Une voie. Il faut choisir. Et, bien souvent commencer sans une dégustation. Bonjour, je suis le domaine Truc ou le Château Machin, en «ceci» ou en «cela». Ah bon, on commence par là ? Les convictions avant le produit ?

C’est grave, docteur, si on VEUT pas d’itinéraire ? D’un schéma «clés en mains» bien formaté ? D’un nouveau cahier des charges et de nouvelles procédures de contrôle, réalisées par les nouveaux maitres du monde, membres de l’Administration, qu’elle soit subie ou choisie (le comble de la perversion…) ? Ai-je encore simplement le droit de choisir, tout seul, comme un grand, ce qui me convient le mieux, quand cela me convient le mieux ?

Je pensais à ça ce matin, en faisant le tour de mes vignes. Le moment est grave, celui de démarrer le travail de la terre. Au même moment, chose sans doute assez incompréhensible pour beaucoup, je vais :

– labourer la grande majorité de mes vignes, en hiver, histoire de décompacter un peu les sols , butter légèrement le rang pour que l’intercep puisse avoir quelque chose à se mettre sous la dent puis les ouvrir à la douceur du printemps. Tiens, c’est enfin sec après ce printemps vraiment humide ici et, sous une tramontane à décorner les bœufs, Tomek décavaillonne un Carignan, le dernier greffé sur place à Vingrau;

Capture d’écran 2015-04-04 à 22.02.57– Sur quatre hectares, plus ou moins, Magalie et ses deux chevaux ont terminé le débardage en montagne et viennent humer l’air de Vingrau. La voici au travail, avec Ylang, en train de trébucher dans ces maudits cailloux, dans les vignes où le chevillard ne passe pas. Oh, ne vous méprennez pas, si je pouvais passer, je choisirais le tracteur, tant c’est dur, pénible. Les passionnés de traction animales sont rares (sur le terrain, parce que sur le papier, ils abondent..), qu’elle soit remerciée et surtout qu’elle ne casse rien, sur les roches mère affeurantes, qui brise les passe-partout. Elle monte après à la Préceptorie, puis au Soula, je crois.

Magalicdf– Pendant, ce temps, à la Chique, une rampe de désherbage, réglée au petit point, a désherbé une petite bande de de 20 cm au niveau du rang, je labourerai le reste, ce qu’on appelle l’inter-rang. C’est pas que je veux pas vous mettre de photo, mais bon, c’était une nuit, et j’ai pas eu le courage de me lever, pour une fois qu’il n’y avait pas de vent, la première nuit blanche de la saison pour l’équipe de vignes.

– Enfin sur 6 ou 7 hectares, où je n’ai pas trouvé soit la solution technique, soit les hommes (qui veut encore piocher ? Même les terroristes ne sont plus condamnés aux travaux forcés…), soit l’argent, je vais désherber en totalité, à la machine à dos. Essentiellement parce que les vignes sont trop vieilles, trop biscornues, où que les parcelles ne sont pas accessibles ou trop petites et trop entourées de murs. Et que je ne peux me résigner à les arracher. Pour l’essentiel, curieusement, c’est là que je fais les grenache blancs.

Quatre itinéraires, à l’opposé les uns des autres. Mais à chaque fois, une réflexion, une progression, pour faire avant tout de meilleurs vins, le plus sain possible. Tiens, ça me fait penser qu’il faut que je fasse analyser les 2013 et que je publie les analyses, comme chaque année, au niveau des pesticides. J’ai peu d’inquiétude.

Bref, le labour, j’adore, comme tout bon paysan qui se respecte. Ouvrir la terre, juste un peu, sans tout bouger, bien sûr, c’est un truc primordial, ancestral. L’odeur, ah, l’odeur de la terre fraîchement labourée. La texture, différente sur chaque secteur, voir sur chaque parcelle. Les oiseaux qui se précipitent dans les sillons pour croquer vers et insectes. Même quand le ciel est gris, quelle joie.

On a failli être dans les clous cette année, mais avec les ponts de Mai, on va reperdre l’avance. Sacré métier.

Deux photos, parmi d’autres, dire que certains croient encore qu’il fait toujours beau ici…

Labour.Sarrat

Labour.cabernet

7 commentaires

  • Michel Smith
    07/04/2015 at 3:45 pm

    Pour de la culture – tu es aussi « viti-culteur » – c’est de la culture ! Sûr que la terre va respirer. C’est vrai qu’il y a aussi les tenants et les adeptes de la « non culture ». Pas facile effectivement de résumer en une ligne l’esprit d’un vignoble comme le tien. On pourrait dire que c’est de la viticulture « réfléchie »… 😉 . Un domaine qui essaie de faire le meilleur vin possible. Et qui y arrive souvent ! Bons labours, Hervé !

  • jean-baptiste
    07/04/2015 at 4:50 pm

    Bonjour Hervé,
    Au delà de l’itinéraire, il y a le profil du vin et là il pourrait y avoir de sérieux débats.
    Jean-Baptiste

    • Hervé Bizeul
      08/04/2015 at 7:22 am

      Comprend pas la question, Jean-Baptiste, si question il y a. Je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Je vois aussi beaucoup de jeunes confrères s’épuiser sur des vignes anciennes et pas adaptées, à maintenir des « principes ». Je n’ai jamais compris en quoi le fait de courir après un label européen qui autorise tout et n’importe quoi changerai le goût de mes vins. Le labour et l’arrêt des engrais chimique (je mets encore un peu d’ammonitrate sur les plantations la deuxième année (que je désherbe, d’ailleurs, m’évitant un travail couteux, laborieux et inutile), en revanche, oui…

  • Guillaume Gondinet
    07/04/2015 at 10:13 pm

    Hervé, la sagesse prouve que seul le pragmatisme est source de vérité; tout dogme a forcément un revers à un instant ou un autre.

    Pour revenir sur le labour: d’aucuns affirment que le labour est une hérésie, en retournant la matière organique de surface et rendant impossible la création d’humus par les champignons par la suite – quel est ton avis sur le sujet ?

    • Hervé Bizeul
      08/04/2015 at 7:24 am

      Sous « labour », comme sous « amour », il y a bien des pratiques… Là, on gratouille sur vingt centimètres, pour enlever l’herbe, une plaie ici où il n’y a pas d’eau, lancer la machine au printemps et décompacter des sols argileux durs comme de la pierre. Je ne vois pas comment lutter contre l’herbe autrement que comme ça ou désherbant. Après, on retourne pas les sols sur un mètre… Curieux de voir le gout du vin que vont faire le couple Bourguignon à Cahors et la rentabilité du projet…

  • Guillaume Gondinet
    08/04/2015 at 8:41 am

    Merci Hervé! Encore une preuve qu’il faut être pragmatique 🙂

  • Pascal
    11/04/2015 at 8:07 am

    Nous vivons à une époque qui aime normer, réglementer, catégoriser, classer, étiqueter, séparer, noter. La question sera alors si c’est bien ou pas bien, 18/20 c’est bien, 12 c’est moyen.

    De son côté, le consommateur, souvent trompé, surinformé sur certains plans mais sous éduqué, n’a plus de repères et va donc s’en remettre à des étiquette ou des notes plutôt qu’à un goût ou une réflexion qu’il a perdus.

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