Bien faire les choses


En arrivant à Vingrau, il y a un peu plus de quinze ans maintenant, j’ai beaucoup parlé avec les vieux vignerons du village. ils m’ont beaucoup appris et apporté, beaucoup se sont éteints depuis ce temps là mais leur souvenir et leurs bienfaits sont en moi. Ceux qui me lisent depuis longtemps savent que j’aime dire que ma philosophie à la vigne, celle que j’essaie d’appliquer, c’est ce que j’appelle la règle des 3V, les Vieux du Village de Vingrau. Pas de croyances mystiques, pas d’idées reçues, de l’observation, de la mobilité, du genre «action/réaction» si vous voyez ce que je veux dire. Pas de grands principes gravés dans le marbre non plus, mais du bon sens, pratique et sain. Et une règle d’or : une bonne vigne voit son maître tous les jours…

Au début, je me demandais pourquoi ils plantaient si peu et si rarement. Le vigneron «de souche», à Vingrau, était individualiste dans l’âme, patron dans ses vignes, seul à assumer ses choix, les risques et les difficultés, seul à en recevoir aussi les mérites, les simples, à la grande époque où la «coopé» fonctionnait, ceux d’une abondante récolte et d’un fort degré. De quoi vivre de son labeur, en somme, libre.

J’ai planté, souvent, parfois beaucoup et maintenant, je peux dire «je sais». Je sais que malgré plus de moyens, plus de mains, plus de matériel et bien, si je veux BIEN planter, bien droit, avec de belles tournières, des vignes qui seront bien enracinées, bien formées, bien nées, et bien je ne dois guère faire plus d’un hectare, voire moins. Bref je sais qu’ils avaient raison.

Bien reposer et préparer les sols, bien raisonner l’amendement, bien aplanir, bien enlever les cailloux, bien tracer en respectant chez nous pentes et devers, préparer les bons plans chez le bon pépiniériste, bien tracer en prenant le le temps de réfléchir voire de recommencer, planter nous même, dans le sens de la Tramontane, bien droit et bien aligné, avoir le temps d’implanter les tuteurs, le palissage, quand il faut le faire. Tout cela prend du temps et de l’amour et il vaut mieux donner beaucoup d’amour à une petite parcelle que la même dose à une grande : la vigne le ressent mieux, plus fort et pour plus longtemps.

Je réfléchissais à cela samedi, en donnant un coup de main à l’arrosage d’un petit bout de grenache blanc planté sur un coteau noir d’Espira. Cinq personnes plus un chauffeur. Deux jours. Décavaillonner à la pioche le tour de chaque jeune pied, enlever l’herbe. Ca ne se voit pas, mais il y a 100 km/h de tramontane…

Espira1

Faire une belle coupe en terre, mettre cinq litres d’eau. Et refermer, ensuite, butter, pour que le vent ne gâche pas le fête, sèche les crevasses faites par l’eau avant que les racines ne les occupent, tuant ainsi le jeune plant.

Espira3

Bien sûr, l’eau n’est pas sur place, il faut aller la chercher à 5 km… A chaque remplissage, on intervertit les piocheurs et les arroseurs. Faut varier les plaisirs. Façon de parler.

Espira2

Ce n’est que le début, bien sûr, il reste encore au moins 100 jours de travail/homme, uniquement cette année, pour arriver à bien faire les choses, dans les règles de l’art, sans excès.

Mais cette vigne, alors, me survivra sans doute, voire survivra à mes fils. Alors….

 

Un commentaire

  • Christophe Libaud
    09/06/2015 at 9:26 am

    Merci beaucoup pour cette belle illustration du « festina lente » dont vous pouvez trouver un tout aussi bel écho dans les propos de Peter Bernhard Kühn, interviewé dans l’émission Square Idée diffusée sur Arte dimanche 7 juin dernier.
    La stratégie de la modestie est une ambition éclairante.

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