Vendanges 2015 – jour J + 11 – Moi, Moche et Méchant


Bon, désolé, mais ce matin, je vais faire court… Après une belle journée de vendanges manuelles, nous voilà à tenter de ramasser à la nuit tombante l’une des deux parcelles que nous faisons à la machine.

Ca mûrit, vite et bien, on est trente cinq à vendanger, impossible de perdre deux jours pour couper à la main une vigne assez productive, qui est justement, par son fruit et sa fraîcheur encore vivace – importante, chaque année, dans l’assemblage des Sorcières. Je sais, la machine à vendanger, le diable, la drogue, tout ça dans le même sac. J’ai déjà tout dit sur le sujet, l’année dernière, je pense, et je l’emploie avec parcimonie, à regrets, même, mais avec en plus l’annulation du contrat vendange et une floppée de lois diverses et variées qui nous perturbe, impossible d’embaucher 10 personnes de plus pour deux jours (il faut faire travailler tout le monde pareil, question de justice sociale et d’égalité, etc). Bon, la nuit, la machine, elle est d’accord, parce qu’elle est toujours d’accord, ce qui reste, avouons le, sa principale qualité. De toute façon, ces personnes là, n’y croyons pas trop, je cherche dix cueilleurs pour les olives depuis dix jours, sans succès…

Bon, faut que je vous dise, pas de photos. C’est pas mal, mais l’année est belle, les peaux fines, les pulpes très mûres et, quoi qu’on vous dise, cela aurait été mieux à la main. Mais plus tard, peut-être trop tard. On l’a fait, c’est l’essentiel et, honnêtement, vu la qualité des raisins, je pense qu’on va être surpris par le résultat. Mais je fais ça à contrecœur. D’après Sud Ouest, de toute façon, je suis dans l’arrière garde car 80 % des vignes sont désormais vendangées à la machine en France. Si on enlève ceux qui peuvent pas genre Côte Rôtie, ceux qui ont pas le droit à cause de l’AOC, genre Champagne, ceux qui refusent encore la machine par choix, on se sent faire partie des derniers grognards, le jour de Waterloo. Ben tiens, la morne plaine va me faire la liaison, c’est impec…

On termine entre 1h30 et 3h du matin selon les postes. Le lendemain, tout le monde semble avoir fait une nuit en boîte de nuit, entre vaseux et branquignols.

Alors moi, bien sûr, vu qu’en plus rien ne va comme je le voudrais, je deviens très, mais très délicat à approcher. Au téléphone, les problèmes pleuvent, matériels en retards ou non conformes, artisans qui devaient finir et n’arrivent pas. Deux crevaisons, bien sûr. Une pompe en rade. Dans la cave, ça ne se fait pas comme je l’ai demandé au niveau hygiène et du coup, les noms d’oiseaux pleuvent pendant un cours instant. Je crois que je leur fais peur, en fait. Une raclette à la main, je montre encore et toujours comment avancer, vite, bien, en économisant énergie et eau. L’EDF me harcèle au téléphone pour mon nouveau contrat pro, le marché étant libéralisé. J’essaie d’être pédagogue mais, au final, difficile de rester serein, à l’écoute, comme avec une charmante dame qui m’appelle de la part de l’Association de la Sommellerie Mondiale, pour me faire payer une dégustation où un meilleur sommelier du monde viendrait, peut-être me serrer la main. 600 euros pour serrer la main de Paolo Basso au milieu de quelques vignerons désespérés, je vais peut-être m’en passer. Ne voit-elle pas qu’elle parle à une cocotte minute et que ma soupape est en train de siffler ? Tenter de vendre de la pub au vigneron en pleine vendanges, ça c’est fin… J’arrive à garder mon calme, ma politesse naturelle fait le reste… Yes, je ne l’ai pas insultée. Elle croit même qu’elle m’a vendu son bousin, toute fière d’avoir trouvé un pigeon prêt à payer pour avoir sa photo dans Sommelier INTERNATIONAL, s’il vous plait…

Gru, sors de ce corps, ça va mal finir. Faut dire que tout est là pour m’excéder aujourd’hui. Je décide d’arrêter le café au septième. Voilà, la transformation est terminée. Sauf que j’ai pas d’écharpe…Grou

Bon, je ne suis pas fier de moi mais la pression devient vraiment très forte. Certes, tout ce que nous avons rentré est au delà des qualificatifs. Mais beaucoup de raisins encore sur pied, des équipes fatiguées mais qui se donnent à fond, un véritable casse-tête au niveau cuverie qui va nous obliger à couper le potentiel de certaines cuves en fermentation, tout cela macère dans ma tête dans un tourbillon sombre.

Grimaçant, sale, dépenaillé, je rentre à la nuit tombée à la maison. Par miracle, mon pote Jean-Luc m’a déposé un plat de sèches à la Sétoise que je savoure comme si je n’avais jamais rien mangé de meilleur. Douche, remise du dos droit par quelques minutes à plat sur le sol puis au lit, demain, ça ira mieux.

En m’endormant, je ne peux m’empêcher de penser aux images que j’ai vues sur FR3 sur les vendanges en Champagne où il pleut (enfin, moi j’appelle ça de la pluie, eux font comme si c’était normal…) depuis trois semaines, les vendangeurs sont en ciré, perdent leurs bottes ventousées dans la boue et où, pourtant, on parle d’excellent millésime en perspective autour du vendangeoir. Au moins, aujourd’hui, il a fait beau.

Faut que j’arrête de vous raconter ça, certains lecteurs s’inquiètent. Je vais bien, ne vous en faites pas.

 

Un commentaire

  • Nicolas
    24/09/2015 at 6:36 am

    Bon courage et merci de nous faire partager ça.

Laisser un commentaire

ABONNEMENT

Recevez les billets du blog dès leur publication. Et rien d'autre.

Archives