Vendanges 2015 – Jour J +13 – Si vous avez passé la journée dans une cave


«Si vous avez passé la journée dans une grotte».

C’est comme ça que commence, certains jours, le résumé de la journée envoyé par mail à ses abonnés du site Time to Sign Off. C’est sur l’excellent blog «Bon Vivant» que j’ai entendu parler pour la première fois de ce site qui vous envoie, chaque soir, un résumé très succinct, en trois ou quatre points, de l’actualité de la journée, à l’heure où l’on devrait tous déconnecter et enfermer TOUS les écrans dans une armoire blindée avec minuteur interdisant des les récupérer avant le lendemain.

Sauf que moi, voilà, je passe vraiment la journée dans une cave. Ainsi va la vie du vigneron qui, après avoir arpenté les grands espaces pour voir son raisin (j’ai toujours la même impossibilité à comprendre comment certains œnologues, et non des moindres, peuvent vinifier des raisins qu’ils n’ont jamais vu…) doit ensuite se réfugier dans son terrier pour mettre au monde ses petits.

Cette période me fait chaque année penser aux très beaux livres pour enfants de Kazuo Iwamura. Dans un monde idéal, la famille souris vie au grès des saisons, des fêtes, des évènements de la nature, toujours bienveillante. Les grands parents sont respectés, les enfants sont aidés à grandir, chaque personnalité s’exprime et l’on met en valeur, en commun, les fruits de la terre en transmettant valeurs et savoir-faire. Un esprit simple n’y voit qu’une histoire de souris. Un esprit inspiré y voit, à chaque lecture, une ode à la civilisation telle qu’elle devrait être.

D’autres, plus intelligents que moi, trouvent même des mots pour expliquer un ressenti profond, (formidable décodage de l’espace, du temps et de la philosophie de vie de la famille souris…) d’où je tire ces quelques mots de Tesurô Watsuji qui ressent, comme moi, l’importance de la solidarité familiale et du lien avec la nature, exprimés dans cette série de livre, et base de l’humanité :

« En nous plaçant du point de vue de la double nature individuelle et sociale de l’humain […] [nous considérons que] la subjectivité de la chair s’établit sur la base de la structure spatio-temporelle de l’existence humaine. De la sorte, ce qui est la chair du sujet n’est pas une chair isolée. S’isolant tout en s’unissant, s’individualisant au sein de l’union et en ce sens possédant une structure mouvante, ainsi est la chair du sujet. Or du moment où, dans cette structure mouvante, se déploient toutes sortes de solidarités, elle devient quelque chose d’historique et de médial. C’est que le milieu aussi est la chair de l’humain »

En résumé, l’homme seul, n’est rien. Comment nier que le vin participe à ce rapprochement des êtres et que sans doute, cet usage là, conscient ou pas chez le vigneron, justifie en grande partie tous les efforts et les peines qui lui sont consacrés… Non, je ne fais pas du vin que pour gagner ma vie, ne le saviez-vous pas ? Pour rapprocher les hommes, aussi.

Si vous ne connaissez pas les merveilleux dessins de cet auteur japonais que rencontrer un jour m’emplirait de joie et d’émotion, vous trouverez bien un enfant ou un petit enfant qui vous servira de prétexte à un moment de paix et de joie. Achetez ces livres et lisez les à un enfant. 

Capture d’écran 2015-09-25 à 08.37.06

Mon garage me manque un peu. Il y avait pendant ces quelques jours de fin de vendange une ambiance particulière, rythmée par les klaxons des équipes de vendangeurs d’autres domaines ou de coopérateurs qui chaque jour finissaient, étonnés de nous voir encore au travail. Mes voisins, qui passaient en allant chercher le pain et me glissaient un mot gentil. Le lavoir, bien sûr, et les feuilles dorées de mon platane. Quelques touristes, voyant la porte ouverte, qui passaient voir le «Hobbit de Vingrau» autour de ses chaudrons. L’ambiance est différente, bien sûr, dans la nouvelle cave, mais les vins tellement éblouissants que l’on ne peut regretter, qu’il ne faut regretter, rien.

Les journées sont donc désormais essentiellement consacrées à regarder du jus de raisin se transformer en vin, dans une atmosphère, faite d’inox et de pompes, mais où l’odeur est divine, celle du mout de raisin en fermentation. Tiens je vous offre une minute dix sept de bonheur. Pour l’odeur, il faudra attendre un nouveau saut technologique, qui arrivera bien un jour…

Sait-on déjà si le vin sera grand, à ce stade ? Rien de moins sûr, pour être honnête. Certains semblent le savoir, moi pas. On sait désormais qu’il sera bon, très bon même, voire un peu plus quand on goûte le fruit et la fraîcheur des moûts, la force du potentiel tannique en train de s’extraire, à son rythme. Et la couleur, la couleur, mes aïeux… Ce millésime fera t’il pour autant partie de ceux qui feront la légende du domaine, dans des décennies ? Disons que jusque là, tout va bien. Mais bon, c’est aussi ce que se dit l’optimiste qui tombe d’un gratte ciel, au niveau du 32ème étage, hein…

Enfin, ça a quand même drôlement bonne mine, je dois le dire…

3 commentaires

  • PRADE
    27/09/2015 at 1:25 pm

    Bonjour Hervé,

    pourrions nous avoir des photos plus « générales » de cette nouvelle cave? intérieur et extérieur? merci!

    • Hervé Bizeul
      28/09/2015 at 10:47 am

      Un jour, j’aurai le temps, c’est sûr. Ce n’est qu’un bâtiment industriel avec des cuves dedans, en même temps, ce n’est pas trop photogénique. Passez donc le voir 😉

  • Christophe Libaud
    28/09/2015 at 10:14 am

    « Je ne suis rien
    Jamais je ne serai rien.
    Je ne puis vouloir être rien.
    Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.

    Fenêtres de ma chambre,
    de ma chambre dans la fourmilière humaine unité ignorée
    (et si l’on savait ce qu’elle est, que saurait-on de plus ?),
    vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
    sur une rue inaccessible à toutes les pensées,
    réelle, impossiblement réelle, précise, inconnaissablement précise,
    avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres,
    avec la mort qui parsème les murs de moisissure et de cheveux blancs les humains,
    avec le destin qui conduit la guimbarde de tout sur la route de rien.

    Je suis aujourd’hui vaincu, comme si je connaissais la vérité;
    lucide aujourd’hui, comme si j « étais à l’article de la mort,
    n’ayant plus d’autre fraternité avec les choses
    que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue
    se muant en une file de wagons, avec un départ au sifflet venu du fond de ma tête,
    un ébranlement de mes nerfs et un grincement de mes os qui démarrent. »
    Alvaro de Campos (« fils » hétéronyme de Fernando Pessoa) – Bureau de tabac

    Sinon, en provenance du Japon itou : les merveilleux albums de Katsumi Komagata

    Et puis pour divaguer :
    « Il y a longtemps que je pense que celui qui n’aurait que des idées claires serait assurément un sot. Les notions les plus précieuses, ajoute-t-il, que recèle l’intelligence humaine, sont tout au fond de la scène et dans un demi-jour, et c’est autour de ces idées confuses, dont la liaison nous échappe, que tournent les idées claires pour s’étendre, et se développer, et s’élever. Si nous étions coupés de cette arrière scène, les sciences exactes, elles-mêmes y perdraient cette grandeur qu’elles tirent de leurs rapports secrets avec d’autres vérités infinies que nous soupçonnons. »

    Les Grecs avaient compris la mystérieuse puissance de ce dessous de choses. Ce sont eux qui nous ont légué un des plus beaux mots de notre langue, le mot enthousiasme. —Εν Θεος. — Un Dieu intérieur.

    Extrait du Discours de réception de Louis Pasteur le 27 avril 1882, élu au fauteuil d’Emile Littré

    PS : pour paraphraser ce même Pasteur, sans doute préparez-vous à vos vins une vie glorieuse…

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