Asia Tour 2015 – Day 6 – Jusqu’au dernier moment, tu travailleras


Denier jour au Japon. Et il n’y aura eu aucune place pour les loisirs, ce qui ne me gêne pas, ni pour la flânerie, ce qui, en revanche, oui, me manque. Partir, demain, pour Kyoto, par exemple. Prendre un livre, trouver un temple. Regarder les feuilles tomber. En ce moment, Kyoto doit être sublime. Ou alors partir, dans le Nord, comme me l’a proposé Miho, pour un diner dans un restaurant perdu dans la nature ou le chef cuisine local. Un jour. J’espère.

Levé tôt, écriture. Vous raconter tout ça ne me pèse pas, c’est un plaisir d’écrire. Mais cela demande une discipline sans faille. Si l’on ne note pas, dans la journée, les rendez-vous, les lieux, les gens s’emmêlent, les émotions s’échappent, les analyses aussi sur les choses et sur les mets et, une vague suivant l’autre, il ne reste plus rien sur le sable de la plage de ma mémoire défaillante. «Brumes sur Mémoire», vous vous souvenez ? Écrire est avant pour moi une formidable façon de se souvenir et de transmettre, aujourd’hui demain, après ma mort, qui sait ? J’ai souvent cité, lors de ce voyage, allez savoir pourquoi, le bon docteur Parcé. Je l’ai toujours appelé comme ça, André, depuis l’époque où jeune sommelier, il m’avait invité à passer à Banyuls. Il avait un talent hors pair pour repérer les talents, même en herbe. Il voyageait, avec sa grosse voie rocaileuse, faisant la promotion du Banyuls dans des lieux improbables, où, des années après sa disparation, ses vins figurent encore. On va me souhaiter la même chose, si vous le voulez bien, le départ me rend un peu mélancolique.

Aujourd’hui, on n’ira pas vers les autres, ce sont les autres qui viendront à nous. Je quitte l’hôtel, valise faite et la dépose au restaurant qui nous reçoit ce soir, Dominique Bouchet. J’y revendrai. Vers 10h30, un taxi me conduira à Haneda, où, si tout va bien, mon vol à 0h30 sera à l’heure et marquera la fin  de ce périple d’à peine une semaine qui me donne l’impression d’être parti un mois. On arrive chez Toriya, restaurant de brochettes/bar à vin, qui nous reçoit genitment et où, il y a deux ans, un autre voyage avait commencé. La boucle se boucle.

C’est… difficile. Mise en place de la salle, ouverture, vérification des nez. Entre 13 et 17h, les clients passent déguster, l’un après l’autre, les vins du Domaine et quelques autres. Je suis franchement épuisé, décalé, vidé et, il faut le dire, j’ai du mal, à certains moment, à donner l’impulsion, à allumer mon œil, à faire passer ma passion, pourtant toujours intacte. Beaucoup de clients sont des Japonais «pur jus», ne parlent pas un mot d’Anglais, ont une connaissance du vin limité, il faut bien le reconnaître, même si l’envie est là. Je regarde l’équpie du restaurant faire les brochettes, avec une attention et un sens du détail halllucinant.

Brochette

L’endroit est central mais n’est pas très sexy dans la journée. On ne peut pas toujours être dans des palaces, hein, quand même. Et puis ce n’est pas la foule, avouons le, je ne suis pas le seul à faire déguster ce jour là à Tokyo, vous l’imaginez bien, mais il y a beaucoup de bienveilance, tant lors de nouvelles rencontres que de clients que j’ai plaisir à revoir. Avec certains, c’est clairement du non-verbal total, c’est touchant et ça fait du bien de recevoir autant d’admiration et de sollicitude. Je signe quelques bouteilles. Fais quelques photos, bien sûr. Mais bon, je ne peux pas toujours mettre des selfis sur ce blog, hein.

Au bord du décrochage, je file prendre l’air 30 minutes dans Ginza. Le building Chanel, connecté, s’allume, c’est magnifique. Les rues sont pleines de Chinois, qui viennent faire leur shopping ici, pour acheter détaxé et surtout…. du vrai, tant, en Chine continentale, le faux est un problème, et pas que pour le vin… Je me demande si je tiendrais le coup, ce soir, d’autant qu’il y a une heure de battement entre le tasting et le début du repas, sans aucun endroit ou se poser. Et si… Oui bien sûr, et si il y avait un foot massage dans le coin ? Lily nous trouve ça d’un coup d’Iphone et nous voilà partis dans un immeuble pourri des faubourgs de Ginza pour 45 mn de foot massage. Disons le tout de suite, c’est le pire masssage du pied de ma vie (je suis diplomé de reflexologie plantaire par une école Suisse, je le rappelle à ceux qui arrivent sur ce blog aujourd’hui…) mais, mais, dormir 35 minutes en se faisant tripoter les orteils nous sauve la vie, à Yves et moi. A la sortie, nous marchons, nous courrons, nous volons vers le restaurant de Dominique Bouchet où un dernier événement nous attend.

Mon Dieu que c’est beau… Si j’arrive un jour au bout de mes rêves, au bout du projet, j’aimerai recevoir quelques clients dans une ambiance telle que celle là. L’architecte est Japonais d’origine, associé à une designer Belge. Quel cocktail étonnant mais quelle réussite. C’est d’une beauté intemporelle, d’un calme absolu, c’est merveilleux.

La salle est géniale, on a reproduit des panneaux de menuiserie en… feutre. Ils peuvent coulisser afin de moduler le restaurant qui possède ainsi plusieurs ambiances et formats.

Bouchet1

Au plancher, deux sortes de bois sont parfaitement posés et se répondent dans un camaieu de couleurs chaudes et douces. Les matières sont perceptibles.Bouchet4

Le béton apparent du bulding a été totalement intégré, les format des panneaux d’habillage ou de rangement répondent par leur formes et leurs matières aux béton banché.

Bouchet2

Sur les tables, l’essentiel, avec une ligne d’assiettes spécialement créée pour le restaurant par un artiste inspiré par Degas. Rien de trop, c’est bien là le plus difficile.

Bouchet3Romain nous reçoit. Avec Hugo et Ranim, hier soir, il fait partie ce ces jeunes français quei partent au  bout du monde.. Leur maitrise, leur réussite, si jeune, entre 25 et 30 ans à peine, c’est tout à fait bluffant. Leur métissage, aussi. Parlant trois, voire quatre, voire cing langues, ils regroupent le meilleur de plusieurs cultures, en conservant une French Touch innimitable. Merci, les amis, on va se revoir, c’est sûr, tant des carrières éblouissantes vous attendent. Un moment de nostalgie me traverse quand Romain me dit qu’il est d’Aix-en-Provence, ou j’ai commencé ma vie active, comme garçon de café, sur le Cours Mirabeau.  Le monde a tellement changé. Et si. J’aime ma vie, aucun regrets.

Le diner commence. Les clients du restaurants sont encore d’un autre niveau et il faut expérer que les vins vont être à la hauteur. Ce sera le cas, honnêtement.

Sur l’enrée, le blanc est à la hauteur. Le homard est parfaitement rôti, la sauce épaisse et goûteuse est renforcée en goût par une duxelle de cèpe. Le tout est confit, presque compoté , le chef et Romain ont eu l’idée géniale de rajouter une pointe d’anis qui fait la liaison parfaitement avec le vin.

RavioleLe Clos des Fées 2005 est impérial. Notre bouteille (heureusement que c’est la nôtre) a un tout petit, mais alors tout petit goût de bouchon. Ces déviances dues au bouchon, ça devient pénible, vraiment. On la boira, avec plaisir. Le mariage sur le Chevreuil d’Hokaido est un grand mariage de texture, celle de la viande étant tout simplement hallucinante de qualité. Romain nous révèle que les Chevreuil ne sont pas chassés au fusil mais pris au piège et rapidement… étouffé. Je sais, certains vont frémir, mais ils sont au moins considérés, jusqu’au dernier moment, et tués dans l’honneur. Pas mieux que de leur courir après à courre et de les tuer d’épuisement. Oublions ça, la petite Sibérie arrive.
Chevreuil HokkaidoC’est la première fois que nous servirons la petite Sibérie au Japon. Un grand moment puisque c’est aussi le premier diner vigneron que fait le restaurant de Dominique Bouchet depuis son ouverture. Le vin est… comme à son habitude. Pas la peine de faire une auto-promotion débile, il suffit de le gouter pour comprendre qu’il n’y a pas lieu à polémique. La queue de bœuf, là, est un mariage aromatique, la purée aux truffes passe très bien. Je ne mangerai pas dans l’avion ce soir, c’est clair.
Capture d’écran 2015-11-09 à 14.59.13Dernière passage aux tables, Lily a fait je pense merveilleusement passer la passion qui m’anime et la sincérité de ma démarche. Il n’en faut pas plus. Merci Lily, de ton engagement et ton affection.

10h 30, le lendemain, dans le Paris/Perpignan, je termine ces lignes. Je viens de demander à l’hôtesse un « Green Tea », machinalement. Hélas, le voyage est fini, retour à la vie normale, le travail ne manque pas, mes vignes, mes cuves, mes vins, mon « pack de guerriers » qui a gardé la maison pendant mon absence aussi.

Je suis comme Ulysse, heureux. Le Japon me rend meilleur. 

 

5 commentaires

  • Julien
    11/11/2015 at 12:02 pm

    Bonjour Hervé,
    Un grand merci pour le récit de ce périple japonais, passionnant comme toujours. Quelle richesse culinaire ! Cela donne vraiment envie de découvrir ce pays qui a l’air si singulier et si beau.

  • David
    11/11/2015 at 12:34 pm

    Magnifique récit comme toujours ! On a l’impression d’y être.

  • Olivier
    11/11/2015 at 5:21 pm

    Merci de nous avoir partagé un petit bout de Japon et votre passion pour les bonnes choses de la vie

  • Serres
    11/11/2015 at 5:50 pm

    Quel beau voyage, et quel beau récit . Bravo Ca donne envie!!

  • Laurent
    12/11/2015 at 3:39 pm

    Bonjour Hervé,

    Merci pour ce récit en pièces raccordées, je repars au Japon chaque fois que je lis votre blog de voyage.

    Salutations enneigées.

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