Rompre le silence


«Pourquoi n’écris tu pas, en ce moment ? »

Quelle question étrange. Pour les mêmes raisons que j’écris, sans doute, parfois. Pour le plaisir. Plaisir d’écrire, plaisir de se taire. Envie, désir ou, comme ce soir pulsion, forte, comme une obligation. Triste obligation. Jean Meyer est mort, hier, vers 15 heures.

Son épouse m’a appelé, en fin de journée. A sa voix, immédiatement, j’ai compris. Elle n’était pas triste. Jean n’était pas triste, lui non plus, lui qui était malade depuis si longtemps et pourtant toujours si calme, conscient, pas résigné ni mû par un espoir illogique. Il parlait de sa maladie, un cancer des os, très calmement. Racontait son combat. Non, combat n’est pas le mot, c’était le récit d’une vie «avec». Un optimisme modéré. Humain. Si humain.

Bref, il y a deux semaines, son sternum s’est effondré. Comme ça, d’un coup, trop fragile. Ca arrive, quand on a un cancer des os. Et c’est alors qu’on sait que le bout du chemin est là. Que fait-on dans ce cas quand on est Jean Meyer ? On demande à son épouse de lui apporter une bouteille de Sélection de Grains Nobles, celle qu’on a le mieux réussi, celle d’une vie. 82, je crois. Pardon si j’ai mangé le millésime, mais quand vous m’avez raconté ça, hier, Madame, j’étais en train de pleurer et de rire en même temps et du coup, j’ai peut être mangé le millésime… « Vous comprenez , Hervé, il voulait la boire avec les médecins, qui l’avaient tant aidé». Je comprends. Faire la fête, une fois encore, chanter le vin d’Alsace, le soleil, le plaisir, la chaleur. Expliquer. Partager. Témoigner. «Je lui ai dit, la bouteille est trop grande, qu’est ce que tu vas faire ?». Ah, les Alsaciens… Alors il a appelé ses meilleurs amis, qui, bien sûr, sont tous venus. Qui pouvait en douter ? Et autour de ce lit, ce lit de mort, ils ont célébré la vie, le ferment et la levure, les saisons qui reviennent, le temps qui passe, la vigne et le mystère de la vie. Et celui de la mort, comment faire autrement. Mais toujours en riant, j’en suis sûr. J’aurais bien aimé voir ça, cher Jean. Et rire avec toi.

Et puis voilà, c’est fini. Il est parti. «Je vous appelle, monsieur Bizeul, parce qu’il vous aimait beaucoup. Il aimait beaucoup vos vins, aussi». Il aimait aussi mes olives, qu’il achetait chaque année et faisait goûter autour de lui. Pourquoi ? Mystère. On ne se connaissait pas tant que ça. Nous n’étions pas «intimes». Le Roussillon, l’Alsace, c’est loin. On s’était rencontré par hasard, en Suisse, sur une dégustation un peu guindée, en 2009 je crois, à Zurich, je crois aussi, mais ce soir, je ne sais plus bien. On avait gouté nos vins, parlé, encore parlé et on ne s’était plus perdu de vue. Son Pinot-Auxerrois, son « H », planté au milieu du Hengst sans avoir le droit de porter le nom de son lieu de naissance car son cépage n’a pas droit à l’AOP Alsace Grand Cru, est un vin qui m’avait marqué, très jeune, et n’a pas cessé de le faire, ensuite. C’est Didier Bureau qui me l’avait fait découvrir au  Clos Longchamps. Quelle époque. Lointaine. J’ai toujours aimé ces vins qui sont grands parce que justement ils n’essaient pas de l’être. Je lui avais dit. Il avait souri. Il m’avait parlé de sa maladie. Je n’aime pas parler de maladie. L’hyper-sensible que je suis ne sait pas maitriser son empathie. Avec lui, rien de tel. Nous en parlions souvent. Il forçait l’admiration par l’acceptation de son état, sans jamais renoncer. Il croyait aux forces de l’esprit, sans doute, et à d’autres forces plus invisibles. Il fut l’un de ceux, rares, qui me donnent envie de biodynamie, qui, pensait-il, apportait quelque chose au vins du domaine Jossmeyer. Peut-être. Sans doute. Maintenant, il sait, si Steiner avait raison ou tort, quand il voyait des anges partout et des âmes revenant sur terre. Triste je suis, ce soir, alors, bien sûr, c’est ce que je lui souhaite : que les âmes progressent lors de leur passage sur terre et que certaines, ayant fait le bien, choisissent même, comme le pensent certains, leur prochaine incarnation. Alors, bien sûr, je repense à son regard profond et je me dis qu’il va faire le bon choix, pour la prochaine vie et que ces futurs parents auront bien de la chance de voir une si belle âme arriver dans un nouveau corps. Ou peut-être a t’il rejoint la grande soupe quantique». Va savoir. Dans les deux cas, je vais mettre au frais, demain, une bouteille du Domaine Jossmeyer, puis la boire entre gens bien et célébrer sa mémoire.

Je te dédie mes vœux de cette année, cher Jean. Nous nous connaissions trop peu, je ne me sens pas légitime pour parler davantage de toi, mais sache que, perdu dans mes pensées, ce soir, au fond de mon lit, ton départ me fait souhaiter à ceux qui lisent ce blog, de passer en 2016 plus de TEMPS avec ceux qu’ils aiment, ceux qui les charment ou simplement les attirent, famille, amis, amour, anciens ou nouveaux, afin de vivre CHAQUE moment intensément, tisser des liens forts, profiter de la vie comme je crois tu l’as fait. En ton nom, je vais, si tu le permets, leur souhaiter à tous une année 2016 intense et humaine. Et regretter de n’avoir pas pris le temps de passer plus de temps ensemble.

A son épouse, à Isabelle, Céline et Christophe, pardon de cet hommage maladroit dont vous ne retiendrez, je l’espère, que la sincérité. Pensées.

8 commentaires

  • Eric Bedouin
    05/01/2016 at 6:09 am

    Putain, vous m’avez fait chialer Monsieur Bizeul…. Quel hommage !!!
    Pour la peine, on ouvrira un Riesling Hengst ce soir, avec rien de spécial, juste pour le plaisir de le partager avec lui. Merci.

  • Pierre Frendo
    05/01/2016 at 6:58 am

    Nous pensons être immortels et nous ne profitons pas suffisamment des plaisirs simples de la vie. Un moment avec des personnes que nous aimons, une vue magnifique, la saveur d’un plat ou d’un vin réussi. Pour cette nouvelle année, profiter un peu plus de la vie et être en paix avec soi.
    Meilleurs vœux,
    Pierre

  • Arnaud Seigneurgens
    05/01/2016 at 9:18 am

    Magnifique hommage !! Je ne connaissais pas Jean Meyer, pas assez ses vins mais si j’en ai bu avec plaisir quelques uns.. En tous cas cela donne envie d’ouvrir des bouteilles de ce grand vigneron, et en cela l’hommage est réussi, j’en suis certain..

  • jean-luc javaux
    05/01/2016 at 9:21 am

    Merci Monsieur Bizeul pour cet hommage émouvant, empreint de beaux sentiments, d’humanité , d’amour.
    Essayons, c’est vrai, de jouir de ce que la vie , la famille et les amis peuvent nous apporter de grand, de beau tant qu’il en est temps et surtout rendons-le, donnons-le, partageons-le …
    Pensées pour la famille de Monsieur Meyer dans ces moments difficiles.

  • arelate
    05/01/2016 at 9:22 am

    Cher Hervé, j’ai lu avec émotion ce bel hommage et il m’a donné envie pour cette année de relativiser certaines choses. La vie passe si vite qu’il faut effectivement savoir saisir tous ces moments de bonheur fugaces et partager avec ceux qui nous sont chers.
    Meilleurs vœux.

  • Marie-Louise banyols
    05/01/2016 at 5:24 pm

    Merci Hervé pour ce bel hommage,, je ressens la même chose que toi en pensant à la disparition de Thierry Servant. . Je n’arrète pas de dire autor de moi, profitez, aimez-vous, la vie vaut la peine. Mais, je sais trop hélas, que le quotidien reprend le dessus très rapidement.
    Je te souhaite le meilleur pour cette année qui débute.

    • Michel Smith
      06/01/2016 at 10:47 am

      Jean Meyer, un seigneur de plus dans cette lignée de grands personnages de la viticulture alsacienne. J’ai toujours aimé la délicatesse de ses vins, leur « touché ». Merci, Hervé, de ce texte émouvant.

  • Pierre Lalande
    06/01/2016 at 12:39 pm

    Magnifique hommage. Toute ma sympathie et une excellente année à toi et tes proches.

Laisser un commentaire

ABONNEMENT

Recevez les billets du blog dès leur publication. Et rien d'autre.

Archives