Le temps du «Mangibats»


«Tous les ans, vers le 15 juin, vient le temps du Mangibats. Tu le connais, toi, ce mot là ? En Catalan, c’est, comment dire, le prélèvement, le tribut que prend le vent, chaque année, à la même époque, le prix qu’il faut payer pour tous les bienfaits qu’il nous a apportés tout au long de année. Grâce à lui, peu ou pas de mildiou, rarement de botrytis, une bonne floraison, souvent. Alors, quatre ou cinq jours en juin, quand il se lève, violent, rageur, il faut faire le dos rond, s’enfermer, et ne penser à rien, accepter pendant que la tramontane arrache les jeunes sarments poussés trop vite, ceux que l’on a pu encore attacher ou mettre dans les fils. Et encore, dans les fils, parfois, elle les cisaille, tu le sais bien. »

J’aime parler avec les vieux de mon village. Je dis les vieux mais je pense les sages. Ils possèdent un savoir faire, une expérience que je n’aurai sans doute jamais, faites d’observations et de gestes, indéfiniment répétés. Là, c’est «la Bourrille», un vigneron bourru, qui ne m’a pas parlé souvent et, déjeunant par hasard à côté de moi, l’autre jour, me raconte ce dicton, cette tradition, ces mots jamais écrits et, que d’ailleurs, personne ici ne semble savoir écrire. Tradition orale à l’état pur, jamais sans doute fixée sur le papier. Nul n’est donc certain du mot précis, voir même du sens précis, mélange d’ethnologie et d’art populaire. Ce tribut, je le paye chaque année. Mais y mettre un mot dessus, en faire un rite, lui donne plus de force et une autre valeur.

L’idée d’incarner le vent en un démon qui viendrait grignoter mes raisins une fois l’an me plait bien. Viendra-t’il cette année ? Sera-t’il affamé ou bienveillant ? Il faudra le nourrir, bien sûr, mais à quel niveau ? Déjà, la fleur sur le grenache ne s’est pas bien passée dans la plaine – on va voir sur Vingrau le résultat des courses, sans doute en fin de semaine prochaine – sur les oliviers aussi, envahis depuis quelques jours par la teigne, ravageur que l’on disait disparu en Occitanie, ce drôle de mot qui va désormais parait il définir la région ou je vis.

Le vent, on y pense tout le temps ici, depuis la taille. Favoriser le bourgeon qui pointe au nord-ouest, laisser une tête de plus du côté le plus fragile, prendre en compte le diamètre du sarment pour juger de la capacité de souche à porter une tête de plus ou de moins, tailler en gobelet est un art qui se perd. Le sens du vent, dans l’acception climatique du mot, doit conditionner le travail, peu le savent aujourd’hui. En l’ignorant, on perd une tête, puis un bras, puis, rapidement, vingt, trente pour cent de rendement et l’on en vient à accuser la vigne, trop vieille. Pourtant, avec un peu d’amour, on aurait pu la sauver du «Mangibats» et de la mort.

Merci, Louis, te voilà immortalisé sur ce blog où, toute ma vie, je regretterai de ne pas avoir pris le temps de parler de tous ceux de ta génération, qui savaient tant, qui m’ont tant donné.

En attendant, l’histoire, telle que je l’ai comprise, est belle et, désormais, au Clos des Fées, on racontera aux enfants, au début de l’été, la venue prochaine du terrifiant mangibat

P.S. : SOS catalan. L’histoire est véritable, l’orthographe mystérieuse. Y a t’il un Catalan dans la salle ? Je cherche vainement l’orthographe possible de mangibats, un rattachement à un ou plusieurs mots ? N’y aurait il pas aussi un sens sur le résultat de la fleur, justement, sur la coulure ? Qu’il me soit pardonné de mal l’écrire, j’espère que l’on me viendra en aide, tant pour le sens que pour l’orthographe.

 

 

2 commentaires

  • Rafa
    26/06/2016 at 6:26 pm

    Je lis votre blog au gré de vos humeurs. Hier soir, à la fraîche, deux de vos premiers vins nous accompagnaient, un Modeste 2014 à la régalade et un Sorcières rouge 2011 pour le repas. Ils étaient bien bons. Je ne suis pas spécialiste de catalan et je n’ai jamais vu écrit ce « mangibat » que vous semblez écrire à la française (« menjar » = manger en catalan), mais je sais qu’un « embat » est un coup de vent en Catalogne. Et peut-être votre Louis a-t-il fait un mot-valise du genre « menj’embat » en associant « menjar » et « embat »… Vous devriez vérifier. Adéu.
    P.S. Pendant que j’y suis, Hervé, n’écrivez plus « Y a-t-il » et « Viendra-t-il » en mettant des apostrophes. Pardonnez-moi, ce n’est plus de l’orthographe mais de la grammaire. A vous lire encore. A vous boire, aussi !

  • Christophe Libaud
    27/06/2016 at 9:54 am

    Bonjour « gibat », Bonjour « bossu », la double bosse du B est la piste qui me semble bonne à suivre. Eh oui, « avoir la gibe » « vèndra gibous », avoir la bosse, devenir bossu ou faire le bossu, donc faire le dos rond et laisser passer la tramontane cette sorcière qui descend de la montagne et te prend l’obole pour prix de ses bonnes grâces.
    La langue voyage et se réinvente dans le sens qui nous vient à l’instant, en usage, avec patience surtout. Il faut les goûter ces mots-là. Ils créent l’espace et en attestent les fondements.
    Le goût des mots participent à la belle épiphanie des verres partagés et des histoires qui les accompagnent.

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