Schéma centré


Demi-véraison. Les raisins changent de couleur, passent du vert au blanc ou du vert au rouge, changent aussi d’état, passant de celui de feuille à celui de fruit. La nature est ainsi faite, immuable et nous sommes désormais à plus ou moins 45 jours des vendanges, à peine un peu plus d’un mois. La véraison terminée (elle peut être rapide ou lente, homogène ou pas, en fonction de paramètres climatiques, températures, ressources en eau, réserves d’énergie de la vigne), peu à peu, le sucre va augmenter, l’acidité diminuer, la maturité «technologique» arriver, puis pulpaire, puis phénolique. Le cycle se termine.

Panneau Tautavel

Longues promenades dans les vignes, au lever du jour. Il est temps de dessiner dans sa tête le «schéma centré» qui me guidera cette année. Je regrette bien que l’on ne m’ait pas appris cette méthode d’organisation des connaissances plus tôt. C’est Claudine qui l’a apprise à mes enfants, je me la suis appropriée, vite et fort, tant elle était naturelle chez moi. J’ai la flegme, je vous l’avoue, de vous expliquer ce que c’est si nous ne connaissez pas la technique, alors, voici un lien, ICI. Ce n’est pas particulièrement brillant, mais c’est efficace et on comprend comment l’on peut organiser les connaissances de façon non linaire, d’une façon bien plus proche de la réalité de la vie. A mi-chemin entre le cerveau gauche du vigneron, si important dans l’organisation, et son cerveau droit, sensible et créatif, qui va s’exprimer désormais. Enfin, les deux, en permanence, interagissent dans ce métier, avouons le.

Quel rapport avec le millésime 2016 ? Et bien à la véraison, je dessine chaque année désormais dans ma tête un schéma centré du millésime. Il n’est bien sûr pas figé, il va évoluer tout au long de la campagne, intégrant les conditions climatiques, bien sûr, mais aussi influencé par chaque journée de vendanges. Il est mobile et peut changer en un instant. Mais le cadre commence à se dessiner.

Les premiers éléments semblent clairs. Pas de catastrophes climatiques ici, pas de grêle, pas de gel, pas trop de vent et donc pas trop de casse. Une récolte moyenne à faible, en revanche, car le Grenache a coulé suite à deux jours de pousse trop rapide après des jours de froid. Une sortie moyenne, mais un printemps très sec, après un hiver très sec, la vigne fait des réserves, a de petits grains, qui, vu la sécheresse actuelle, ne grossiront plus. Tous ces évènements sont dessinés et vont m’influencer dans mes choix de vinificateur. La pression mildiou est énorme partout, on annonce un déficit de vin en France important (sans doute moins 10 %), la tension avec l’Espagne est forte, la prochaine campagne va être agressive, voire violente. La réputation du millésime est faite, elle ne sera pas extraordinaire et j’aurai beau m’égosiller sur le fait qu’en Roussillon, tout était parfait, on regardera Bordeaux, la Bourgogne, un peu le Rhône et les amateurs, même s’ils ne le reconnaissent pas, ne se souviendront que de l’hiver pluvieux, de l’été trop court, des plaies d’Égypte qui se sont abattues sur le vignoble Français.

D’un autre côté, dans mon schéma centré, au loin, en fond, il y a la situation mondiale, qui n’inspire pas à la légèreté et à boire du vin, les ventes du domaine, toujours bonnes, les marchés France et Export, l’augmentation de l’importance d’internet, une multitude d’informations qui influence plus ou moins le domaine ou m’influence moi. Car mon état d’esprit est aussi en filigrane, partout. Gai ou triste, heureux ou malheureux, optimiste ou pessimiste, en phase de développement ou de repli, assuré ou inquiet, le vigneron va transmettre ses sentiments à ses vins.

N’oublions pas la technique… Dans une des nombreuses nécrologies de Denis Dubourdieu (j’ai aimé celle ci et celle ci, je le connaissais peu, l’estimais beaucoup), j’ai adoré sa vision de la technique, cité par Axel Marchal, que je partage à mille pourcent : «l’intérêt de maîtriser une technique, c’est qu’elle permet d’exprimer un sentiment». J’ai la chance aujourd’hui, avec la nouvelle cave, d’avoir le matériel nécessaire et suffisant, juste ce qu’il faut de technique pour exprimer une vision personnelle, artistique du vin. Et la chance, immense, primordiale, d’avoir l’estime et la confiance de mes clients qui me suivent dans mon évolution de vigneron, si fidèlement et me donnent des moyens, qui seuls permettent de réaliser ses espérances.

Me voilà donc à dessiner, dans ma tête, à l’aide de mots, d’images, de sons et de couleurs, le millésime 2016. Je le vois gai, joyeux, solaire, frais, poétique, avec du rouge, du jaune, de l’orange, de la lumière et de la chaleur, de la fraîcheur et beaucoup de vie. J’y mets un peu de sombre, dans un coin, indiquant la faucheuse, qui apparait à l’horizon. Elle est loin mais elle est là. J’ai dépassé «le milieu du chemin de ma vie», je ne sais combien de millésimes il me reste à faire, n’en ayant qu’un et un seul à réaliser par an. Dix ? Quinze ? Sans doute. Vingt ? Je l’espère. Vingt-cinq ? J’en doute. J’ai envie de jouir de chacun d’eux, de les respecter autant que je les influence, d’en faire des millésimes paisibles, où l’on sente avant tout mon envie, mon désir, encore et toujours, de mettre des vins au monde, de donner un peu de sens à cette étrange vie…

En le nommant, en le dessinant, en le projetant, je donne déjà vie à ce millésime je l’accueille, je l’encourage; j’hésite encore pour son parrain, pour son totem, entre Charles Trenet et Salvator Dali. A moins que ce soit un millésime Brassens. Nous verrons bien. Mais vous voyez le genre…

Vivement les vendanges.

Un commentaire

  • Henri R
    05/08/2016 at 2:44 pm

    Oh Hervé, quel beau lapsus.
    Féminin, la flemme, le désir de ne rien faire et surtout pas d’expliquer.
    Masculin, le flegme , être capable de prendre sur soi les aléas, avec calme et humour.
    Alors la flegme, ce doit être un mix des deux !

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