Vendanges 2016 – J moins 2 – Récurer, faire briller


La période d’avant vendanges me semble, en vieillissant, de plus en plus cruciale. Bientôt vingt ans que j’ai eu la folle idée de faire du vin et, en remontant le temps, je me disais, en écrivant ses lignes que l’importance de cette phase de préparation ne m’est apparue que peu à peu.

Bon, j’ai toujours aimé nettoyer. Le propre. Le rangé. Tel n’est pas le cas de tous les vignerons, loin s’en faut. Je me souviens avoir visité des caves d’une saleté repoussante, dans ma jeunesse. Les temps ont changé et ce  n’est plus le cas même si certains font de la résistance au rangement et à l’hygiène, alors que l’oenologie a démontré qu’une bonne hygiène de ce que l’on appelle le «matériel vinaire» permet d’éviter bien des problèmes, comme le fait de se désinfecter les mains a sauvé bien des vies dans le milieu médical.

Depuis plus d’une semaine, le nettoyage bat son plein. Murs, sol, cuves, tuyaux, pompes, tout est lavé une première fois, puis désinfecté avec des produits très doux. Les sols sont passés au kärcher, eau froide ou chaude, les recoins récurés, les portes, les robinets démontés, les joints vérifiés et souvent changés. Un seul joint infecté par les brettanomyces, par exemple, dans un tuyau, peut infecter toute une cave, peu à peu, insidieusement. Et il ne suffit pas de le faire ou le faire faire, il faut marquer clairement une procédure de nettoyage et vérifier qu’elle soit respectée.

V2016 Cuves Walden

 

Chaque entreprise doit, théoriquement, mettre en place une procédure interne de gestion des risques, ce qu’on appelle le HACCP. Les curieux iront voir ICI en détail le résumé de la chose, technique de gestion des risques mise en place au départ par la NASA. Obligatoire, elle n’est, avouons le, que peu respectée dans le monde du vin, sans que finalement l’administration ne le tatillonne vraiment. Tout simplement parce que les risques sont faibles dans le vin pour le consommateur, contrairement au monde de la viande, des glaces, du fromage où des plats cuisinés. Le vin est un milieu très stable, pratiquement impossible à rendre dangereux pour le buveur. Le HACCP, le fameux Hazard Analysis Critical Control Point permet surtout de rendre le vin meilleur, d’éviter de confondre un détergeant avec un bidon de soufre ou de laisser tomber dans la bouteille un morceau de quelque chose qui ne devrait pas s’y trouver, de l’insecte à la boucle d’oreille, du morceau de verre cassé au morceau de joint.

C’est le travail avec Carrefour qui nous a obligé à mettre en place une telle méthode, compliquée et lourde, je le croyais, pour une petite entreprise comme la nôtre. Pour que le Domaine de la Chique soit depuis sept ans un produit «Reflets de France», il fallait y passer et prouver qu’on l’avait fait et qu’on le fait toujours. J’ai râlé, bien sûr, tempêté, rouspété, puis consacré avec mes collaborateurs deux jours à dépatouiller tout ça. Je l’avoue, c’est une des choses les plus utiles que j’ai faite. Cela reste très léger et nous a permis de progresser dans de nombreux points, d’éviter, qui sait, des accidents stupides et traumatisants pour ceux qui en sont victimes que pour ceux qui en sont responsables, de faire de meilleurs vins, j’en suis persuadé et d’avoir l’esprit tranquille. Effet collatéral, la cave est belle et ceux qui aiment le propre, comme moi, échangent des regards satisfaits lorsqu’ils la visitent.

Un exemple de HACCP ? Trois procédures de nettoyage des cuves, toutes différentes, une avant vendange, une entre deux cuves, une après vendanges, qui permettent d’être certain qu’une cuve sera propre, ce qui n’est pas en fait le cas lorsque l’on reste dans l’oralité, la notion de «propre» ou de «nettoyé» étant fort variable d’un individu à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une éducation à l’autre, d’une volonté à l’autre. Disons que j’ai eu un jour un responsable de chai pour qui «nettoyé» consistait à cacher la crasse et non à s’en débarrasser. Le nettoyage après son départ fut édifiant et formateur. Son passage chez nous fut court, les conséquences lourdes. Il sévit toujours. C’est la vie.

P.S. : une des caves les plus repoussante de saleté, capharnaüm impossible à décrire, fut celle de François David, à Blangy le Château. Visitée une journée d’hiver, c’est un souvenir marquant de ma vie d’amateur, vu qu’on faisait ici le meilleur cidre que j’ai bu dans ma vie (on l’a longtemps servi aux Vapeurs, à Trouville). François vivait sa passion dans une démarche bien étrange où il se détruisait peu à peu en même temps qu’il produisait du cidre, chaque saison de brassage étant pour lui l’occasion de s’entailler le corps ou de se casser un os. Il lavait ses bouteilles une à une dans le ruisseau à moitié gelé qui bordait sa ferme, enfermant dans chaque bouteille une partie de lui et une partie d’autre chose, mêlant magie noire et magie blanche, soutirant ses moûts en les accompagnant de geste cabalistiques les jours où lunes et planètes étaient alignés selon un schéma connu de lui seul. Il alliait sacrifice de soi et passion pour la pomme au cœur d’un brouillard et d’une humidité permanents qui m’évoqua ce jour là la planète Dagobah et ses marécages. Je suis passé le voir cet été, j’ai appris qu’il ne brassait plus de cidre, sa folie l’ayant rattrapé. En repartant, je fermais les yeux et retrouvais pourtant instantanément en moi l’odeur, la texture et le goût de son cidre, cidre d’un autre temps, savoir faire ancestral disparu avec lui, peut-être aussi chassé par la science et l’hygiène. Respect, François, que ta fin de vie soit douce.

2 commentaires

  • Leo Saavedra
    04/09/2016 at 8:47 am

    Vous êtes un génie en faisant des portraits des personnes qui ont marqué votre vie! Je ne connais pas le cidre dont vos en parlez, ravi, mais même que j’aimerais de le goûter, je preférérais de savoir que ce bon homme a reçu des mots comme les votres pendant qu’il pouvait les comprendre/capter. Merci pour vos lignes!

    En concernant le nettoyage d’une cave, personnellement, j’ai vu ce geste de satisfaction à Terra Remota, quand les visiteurs regardent autour d’eux à cause de la propreté et ordre. Néanmois, l’hygiène en elle-même implique déjà respect pour le produit qu’on elabore, et respect pour les consommateurs. Et on ne peut plus ignorer que ça joue un papier dans le résultat final qu’on obtient. C´’est pour tout ce mélange de bonnes raisons qu’on devrait apliquer le HACCP.

  • Philippe
    05/03/2020 at 9:42 pm

    Personnages haut en couleur , son cidre était fabuleux , sans parler de son vinaigre de cidre qu’il fallait négocier de longues heures avant d’en avoir une petite bouteille un vrai nectar .
    On se faisait gronder si on ne rapportait pas les bouteilles vides ou si l’on lui apportait des bouteilles non homologuées par lui.Merveilleux souvenirs de ces rencontres .

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