Vendanges 2016 – Jour J – Se mettre en bouche


Cela devait être une tranquille première journée de vendanges.

Disons que ce fut ça et autre chose.

Week end de chaleur intense, plus de 36°, il était difficile de rester dehors ce week-end, surtout dimanche après midi où une sorte de scirocco brûlant rendait l’atmosphère irrespirable. Grand tour des vignes avec Serge et Fako, notre ami et œnologue qui rentrait de Grèce où les vendanges sont terminées, étonnement précoces cette année. Toujours intéressant d’avoir un œil extérieur sur les choses, tant, parfois, l’angoisse ou l’affectif peuvent déformer le jugement de la personne la plus sensée.

Je tenterai de vous faire un point demain, poser sur le papier des mots m’aide, au final, à réfléchir calmement, car il me faut maintenant décider comment aborder ce millésime et je serai seul à le faire.

En attendant, de bon matin, avec déjà 27° à 7 heures, il fait chaud à la Chique où Syrah et Grenache sont au programme, histoire de se mettre en condition. Le soleil se lève, les dos se courbent car la terre est basse surtout quand les vignes sont en gobelet.

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Rien de doux dans les vendanges, je vous assure. Il fait déjà chaud, on sait que cela va être pire. Les dos ne sont pas encore habitués, sauf pour nos permanents, à la courbure et à la douleur, on va en ch…, on le sait et, je vous assure, personne n’aime ça. Je pense que tout amateur de vin qui se respecte devrait avoir fait deux ou trois jours de vraies vendanges manuelles dans sa vie pour comprendre combien faire du vin est ingrat, de la taille à la pioche, des vendanges au travail de cave, combien tout cela reste physique. On comprend aussi, rapidement, combien le mental est important.

Bon, arrêtons de philosopher, l’équipe s’ébranle, va accélérer doucement, les uns aidés par les autres, au début en tout cas, tentant de tenir le rythme, sachant qu’en début de vendange, certains avancent… quatre fois plus vite que les autres. On s’aligne, pour les porteurs, on a démarré.

Mi journée, la chaleur est intenable. Pause toutes les heures pour s’hydrater, il faut surveiller d’autant plus son alimentation mais chacun fait ses choix et les notions de diététiques ne sont pas à l’évidence partagés par tous. Les sportifs sont des recrues précieuses, certains ont des outres à eau sur le dos, mangent des fruits frais et secs, ont une gamelle où un féculent les aidera à tenir. D’autres n’ont rien prévu ou presque, restent à la baguette-pâté, n’ont rien d’autre, même pas un biscuit pour la pause. On partage. Parfois. Mais pas toujours.

A la cave, on regarde le résultat. Pour faire court, ce sera moins soixante pour cent sur cette parcelle de Grenache où, pourtant, on voyait un peu de raisin. Qu’est ce que cela va être là où on en voit pas ? Je préfère ne pas y penser… Les grains sont minuscules, on transporte plus de rafles que de grains. Quand on pense qu’il y a les pépins et la peau, je me demande où va être le jus. Première saignée pour débourbage des moûts : dix hectolitres, péniblement, soit trois fois moins qu’une année normale. On calcule dans sa tête, et c’est vite fait, on sera sur cette parcelle à 15 hl/ha, si tout va bien. Espérons que l’on rattrapera ailleurs, sur les Cinsault, par exemple, qui n’ont pas souffert du vent. Finir à moins 30 % serait un exploit, mais je crains moins 50 %, comme Lionel et Gérard Gauby chez qui je passe boire un coup de blanc. On se raconte des histoires de vigneron, on se remonte le moral.

Il faut dire que la journée a été dure. Un vendangeur se sent mal, il couvait quelque chose depuis le week-end mais est venu travailler quand même. Il tombe dans les pommes, on appelle les pompiers qui trouvent la parcelle par miracle. Vive le GPS. On pense à l’hélicoptère, vu l’urgence, ce sera le transport à l’hopital où l’on diagnostique un infarctus. Pendant toute l’intervention des pompiers, l’ambiance est lourde, l’inquiétude palpable, d’autant que le ciel devient noir de cendres et qu’un immense nuage de fumée semble venir de Vingrau. Ouf (désolé…), c’est Tuchan où 250 hectares vont partir en fumée entre Paziols, Tuchan et Padern. Je pense à mes amis vignerons du coin, en coopé ou en cave particulière, qui risquent de voir une nouvelle plaie s’abattre sur eux dans un contexte déjà très difficile. Même si les vignes ne brûlent pas, ce sont d’excellents coupes feu, les raisins absorbent la fumée qui risque d’aromatiser le futur vin, et pas en bien.  Heureusement que nous avions vendangé le pinot noir, proche de Paziol, vendredi…

20h30, j’arrive chez moi, le vendangeur est en réanimation mais vivant, le ciel est rougeâtre, l’ambiance Mad Max, l’odeur de brûlé a pénétré partout, pas de fixe ni de portable, les réseaux sont morts, je suis épuisé. Une tomate et un bout de fromage, une longue douche, je m’écroule, espérant que demain se passe mieux.

Romantique, les vendanges ? Pas vraiment. Et le blog non plus, en tout cas aujourd’hui. Sacrée mise en bouche…

5 commentaires

  • jean-luc Javaux
    06/09/2016 at 7:44 pm

    Hervé, de tout coeur avec toi et ton équipe.
    Même si cela te fait une belle jambe, j’ai bu un beau Clos des Fées vieilles vignes ce midi…
    Bourage pour la suite et bonne m…
    jlj

  • jean-luc Javaux
    06/09/2016 at 7:45 pm

    Lire courage, bien entendu…

    • Hervé Bizeul
      07/09/2016 at 6:50 am

      Trop drôle, je le laisse, merci pour l’éclat de rire, j’en ai besoin !

  • Frédo Broutet
    07/09/2016 at 6:33 am

    Au milieu de ce tableau de désolation, où la grande faucheuse rôde dans les fumées noires, reléguant Mad Max et Blade Runner au rang de contes de fées, quand les forces du Mal pourraient tout emporter dans leur vortex, j’admire la force qu’il faut pour se poser, rassembler ses idées et les partager par écrit.
    Bravo pour cet effort (peut-être est-il thérapeutique ?), et bon rétablissement au vendangeur.
    Sacrée mise en bouche, oui, tout droit sortie de la cantine de Fort-Boyard… Bon courage pour la suite, certainement plus paisible.
    FBR

  • Bertrand DIEBOLD
    11/09/2016 at 6:08 am

    « Je pense que tout amateur de vin qui se respecte devrait avoir fait deux ou trois jours de vraies vendanges manuelles dans sa vie pour comprendre combien faire du vin est ingrat, de la taille à la pioche, des vendanges au travail de cave, combien tout cela reste physique ».
    J’ai toujours eu envie de faire une semaine de vendanges, pourquoi pas en 2017 au clos des Fées, uniquement si la rémunération est en saucisson chalossais !!!
    Cordialement

    Bertrand

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