Vendanges 2016 – Jour J plus 6 – Sans négliger les rouges…


Voici le temps du nœud gordien. Ah, ce fameux nœud, il arrive chaque année. Continuer les Sorcières qui pressent ? Ce serait bien. Il nous reste aussi des Cinsault, à la Chique et les Carignan, qui avancent bien, gagneraient à être rapidement vendangés, pour sauvegarder le fruit mais aussi, ne nous mentons pas, préserver les volumes. Car si la chaleur étourdissante provoque chaque jour la montée des teneurs en sucre, elle provoque aussi une importante concentration des baies par évaporation.  Ou tenter de récolter les plus belles parcelles du Domaine, au jour idéal, ni trop tôt, ni trop tard. Le jours idéal, en fait, c’est deux jours trop tôt. Mais comment faire ? Regarder le ciel, y espérer des réponses de Dieu aujourd’hui disparues ? A voir les ciels cette année, on comprend que les hommes, aient pensé que toute cette beauté ne pouvait naitre que de l’intention d’un être suprême.

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Ne nous égarons pas. Où en étais-je ? Ah, oui, soyons clairs, je ne suis ni beau comme Crésus, ni décidé comme Alexandre le grand, deux acteurs de la légende du fameux nœud antique, tranché à l’épée par un rusé car impossible à démêler, ce que tout le monde tentait de faire sans succès. Mon nœud gordien ne décide que de la qualité de nos vins et non de la conquête d’un royaume, le symbole est sans doute un peu pompeux mais, il n’empêche, je dois trancher car aucune solution ne se dessine : toutes demanderaient un temps que la météo ne nous donne pas. Sauf qu’une bonne pluie est annoncée et que cela va peut-être changer toute la donne… Je commence un tableau excel, avec toutes les parcelles qui nous restent à vendanger, superficie en exergue, cuves disponibles en regard. L’équation est simple, nous ne pouvons honnêtement vendanger plus de quatre hectares par jour, à la main, et il faut que je choisisse entre les parcelles, sachant pertinement que je ne pourrai vendanger que bien peu d’entre elle au moment «idéal». En revanche, si je décide sciement d’en sacrifier une ou deux, peut-être vais-je retomber sur mes jambes. Demain encore du blanc, mais après…

Conseil de guerre avec l’équipe, une, deux, trois, quatre stratégies sont librement évoquées mais, encore une fois, c’est à moi de trancher. L’équation est complexe et la seule qualité du vin final n’est pas le seul paramètre en prendre en compte… Le domaine a besoin de Modeste, de Sorcières, de Vieilles Vignes, les 2015 sont magnifiques, le millésime était généreux. C’est la gamme toute entière qu’il faut maintenir, pour chaque client, chaque pays, un vin est essentiel et on ne peut le laisser tomber. Quels moyens techniques et financiers puis-je encore engager pour accélérer ? Sommes nous capables de suivre, en cave, l’accueil de la vendange et de respecter les stratégies de vinifications décidées ?

Après une longue, très longue cogitation, je décide : ce sera cette année un choix non pas par cépage, comme nous le faisons d’habitude, mais par terroir, quitte à travailler grains mêlés dans la cuve, ça nous a toujours réussi d’ailleurs…. En priorité, les Syrah destinées au Clos des Fées et, s’il reste des grenache, voire des Carignan autour, nous les vendangerons. Puis les Vieilles Vignes, dans la même configuration. Enfin sacrifice des Cinsaut de la Chique, qui attendront. Je sais que les Cinsault très mûrs, ça peut-être très bon. Je positive immédiatement la décision en me disant que l’on va apprendre quelque chose. En attendant, nous ramasserons quelques vignes épuisées, en train de défeuiller sur le bord des parcelles, là où elles sont en concurrence avec les arbres et dont la maturité des raisins est définitivement bloquée. J’en reparlerai. Heureusement que la pluie arrive…

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En écrivant la chose, je me rends compte combien l’idée d’avoir une vision positive de la vie est essentielle lorsque l’on fait ce métier. Dans un livre sur l’Attention, que j’aime beaucoup, Rosette Poletti raconte l’histoire d’un lama dont ses condisciples se moquent parce qu’il voit en toute chose, dans tout évènement, son côté positif. Un jour, lui lançant un défi, ils mettent sur le chemin du monastère un renard mort, en décomposition et se cachent dans les buissons, gloussant déjà à l’idée de la réaction horifiée du bonze. Celui-ci s’arrête, pousse des grands cris pour appeler les autres moines et s’écrit : « regardez comme ce renard avait de belles dents ! ». Rester positif, voir en toute épreuve que la nature vous donne un apprentissage potentiel, voilà qui est une des qualités primordiales que se doit d’avoir le vigneron. Surtout cette année.

Étonnant, en commençant ce billet, je n’aurais jamais imaginé qu’il finirait comme ça. Peut-être un blog sert-il, comme me le faisait remarquer un lecteur, à exorciser certaines angoisses. J’en parlerais volontiers à mon psy. Si j’en avais un.

Un commentaire

  • Christophe Libaud
    16/09/2016 at 4:22 pm

    Bravo et merci pour ces partages du choix, du renoncement qui annoncent l’excellence espérée et l’imperfection choisie pour mieux satisfaire ici comme ailleurs les plaisirs partagés.
    L’émotion est belle dans le regard au ciel, l’expression juste dans la décision, heureux présages de maturité.

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