En avril, la nature dictera sa loi


Nous voilà en Mai.

Déjà…

Tout avance, La végétation, les mises en bouteilles, les plantations, les traitements, tant de choses.

Sauf ce blog…

Toujours aussi mystérieux pour moi de comprendre pourquoi à certains moments j’ai un besoin vital d’écrire, pourquoi, à d’autres, cela m’est presque impossible. Certes, l’impression d’avoir déjà tout écrit ou presque, la peur de la répétition me rend la tâche vaine, alors que personne, je pense, ne relit jamais ce blog depuis son origine, où, même, ne se sert de l’outil de recherche pour consulter ce que j’écrivais en mai il y a trois, cinq, sept ou dix ans… L’excuse ne tient pas : très vite, en faisant le tour de mon quotidien, loin d’être répétitif, je me dis que le projet du départ est toujours aussi évident : raconter quelques années de la vie d’un vigneron, à la charnière de deux siècles, au milieu d’un changement de civilisation comme la vigne en a connu lors de l’invention du sécateur,  l’arrivée du tracteur, l’invasion du mildiou ou de l’oidium, de la diffusion du désherbant : la vigne semble d’une grande stabilité mais en réalité, elle ne l’est pas. La révolution en marche, celle que j’ai la chance – ou la malchance – de vivre (le temps le dira), c’est bien sûr celle de la mondialisation et d’internet. Que ne donnerais je pas pour lire le « blog » d’un vigneron en 1850 ou en 1960… Que de changements, en simplement vingt ans… En buvant un verre avec un client de la première heure, il y a deux jours, à Montréal, qui me remémorait mon premier voyage au Québec, il y a quatorze ans, où nous présentions les 2001 et racontions nos premières années, si folkloriques, je regrettais qu’à l’époque les blogs n’aient pas existé, les appareils photos numériques non plus, tant l’histoire de notre première année aurait été amusante à relire…

Bon, arrête de ressasser le passé, Bizeul, raconte nous un peu ce qui se passe en ce beau printemps 2017, ca nous changera des élections… Je vais essayer, en quelques billets, de faire de mon mieux…

Le gel, d’abord, bien sûr. Winter’s coming, les marcheurs blancs n’ont pas franchi le mur, mais le gel a été brutal et tout aussi sans pitié… Combien d’hectares gelés ? A quel pourcentage ? Sans doute encore trop tôt pour le dire mais presque toutes les régions sont touchées, entre 10 et 100 % des parcelles, entre 10 et 100 % de dégâts… Dans de nombreuses régions, les vendanges sont faites, à l’exception de bien rares parcelles miraculées… 20 000 ha touchés dans l’Aude et dans l’Hérault. Le Bordelais est dévasté, la Loire aussi, l’Alsace a perdu 1 000 hectares, on ne fera que bien peu de Cognac cette année, Chablis a subi une deuxième année terrifiante et je ne sais pas comment ceux qui avaient déjà tout perdu l’année dernière vont pouvoir s’en sortir….

Les vignes du Clos des Fées sont passées près, très près, sans doute à un degré de la catastrophe, les oliviers, en pleine fleur avec trois semaines d’avance, sans doute encore plus. Mes voisins de l’Aude et de l’Hérault ont perdu, dit-on, 20 000 hectares, Pic Saint Loup est gravement touché après la grêle terrible de l’été dernier… Ici, quelques sarments, dans le Pinot noir, j’ai un peu honte de mettre cette photo ici, je l’avoue, mais mes enfants sauront, un jour, que c’est LA parcelle à protéger en premier, la plus sensible, si le gel est dans l’avenir annoncé…

gel-pinot

Pourtant, l’attitude de TOUS mes confrères est admirable. Aurais-je eu, moi, ce courage insensé qui fait que, quand je les appelle ou les croise, aucun ne se plaint ? Aucun, je dis bien aucun, ne se lamente… Tous sèchent leur larmes, qu’ils ont réservé à leurs vignes où à leur famille, se retroussent les manches, pensent déjà à la reconstruction, à préparer la vigne pour l’année suivante, cachant profondément en eux cet énorme traumatisme. Se font-ils aider, sur le plan psychologique ? Je l’espère. Je leur conseille.

Parfois, leur entreprise est en danger de mort. Certains peut-être devront vendre des parcelles ou, qui sait, tout… Beaucoup d’entre eux doivent licencier, très vite, arrêter l’hémorragie financière ou au minimum mettre en chômage technique saisonniers et permanents, en attendant la fin de ces damnées « saints de glace », et c’est sans doute pour eux la chose la plus dure à faire. Jeunes ou moins jeunes installés depuis peu n’ont pratiquement pas de stock. D’autres, prévoyants, verront fondre en quelques mois un stock de précaution qu’ils ont parfois mis dix ou quinze ans à constituer. Comment payer les échéances des crédits ? Comment ventiler entre les clients les vins qui restent, comment décider qui aura du vin et qui n’en aura pas, arbitrer entre la France et l’Export, entre les particuliers et les professionnels ? Comment refaire, ensuite, dans deux ans, une clientèle qui, sur un marché mondial globalisé, n’érige pas la fidélité commerciale en qualité première?

Je ne sais pas où ils trouvent la force, le courage. Mais je sais que ce sont des hommes et des femmes qui, comme les a décrits Kipling dans ce vers légendaire, « peuvent voir détruit l’ouvrage d’une vie, et sans dire un seul mot se mettre à rebâtir ». Je leur dédis, à tous, ce billet d’humeur triste et je vous encourage, oh lecteurs, à leur envoyer de petits mails de soutien. Même s’ils ne vous répondent pas, je sais que cela leur fera du bien en cette période noire.

4 commentaires

  • Jean Luc
    05/05/2017 at 12:28 pm

    Fils et petit fils de vignerons dans le Gard j’ai connu ces situations votre billet me touche énormément

  • Francis
    06/05/2017 at 6:16 am

    Je ne suis pas vigneron, et pas consommateur, je suis simple lecteur fidèle.
    Pourquoi? Parce que je sais ce que sont les fins de mois qui arrivent le 15…
    Je ne peux aider, mais je veux soutenir.
    Merci de transmettre…

  • William
    07/05/2017 at 8:16 pm

    La Noblesse et le Mythe du vin ne viennent que du Vigneron inlassable transmetteur bon an mal an 🙂
    Homme et travailleur exemplaire irremplaçable malgré toutes ces vaines tentatives mondialisatrice …

  • Claire
    09/05/2017 at 7:45 pm

    Compassion justifiée…quand on écrit si bien…il faut continuer…et…même prendre le temps d écrire les efforts incenses des 20 dernières années…afin que ceux qui critiquent sans connaître le dur labeur de la vigne, le dur labeur des vendanges, le dur labeur des vinifications et toute la gestion d une entreprise…sur ceux ci réfléchissent avant de parler…cela vaut la peine de continuer les efforts…Claire P…en ce moment en Conseil Vins Bourges

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