Vendanges 2017 – Day 4 – Maturités


A force d’avaler les kilomètres, je commence à me faire une idée de la situation. Avoir 140 parcelles dans un rayon de 40 km autour de Vingrau est un concept franchement débile. Mais voilà, je l’ai (je l’ai même choisi et construit…) et je dois l’assumer. En fait, je suis bien heureux de cette situation, qui me fait traverser les haut-cantons dans toute leur beauté. Et qui me donne une «palette de couleur» unique pour «peindre». J’adore, mais vraiment j’adore Soulages, mais je ne suis pas prêt à me mettre au «noir», ce qui reviendrait dans mon cas à avoir une seule grosse parcelle d’un seul cépage autour d’une seule maison. Beurk. Vous savez qu’il renonce au noir, au fait ? J’ai cru au Gorafi, un moment, mais à 96 ans, ça parait vrais. C’est ICI. Vendangerais-je encore à 96 ans ? Put… 40 ans de plus à supporter ce blog ! Et mes lecteurs morts avant moi. Quel destin !

La maturité avance. Comment on le sais ? De deux manières : on peut demander à son stagiaire ou à son contrôleur qualité d’aller faire un prélèvement et de le porter au labo tous les trois jours pour mesurer les maturités alcooliques, pulpaires, phénoliques ou peut-être d’ailleurs d’autres paramètres dont j’ignore tout. Mais bon, sur autant de parcelles et sur autant de cépages, au delà du fait que je n’en ai nulle envie, ce serait compliqué. Reste les bonnes vieilles méthodes, les empiriques. Elles ont fait leur preuves, certaines utilisées par les vignerons depuis le moyen-âge, en tout cas ceux qui cherchaient à faire des bons vins, à base de raisins mûrs…

On regarde d’abord les pépins : La couleur indique l’avancement du cycle de reproduction : ils doivent être marrons, bien aoûtés. On peut les croquer. Sous les molaires, on doit avoir des goûts de noisettes grillées, agréables, plus aucun goûts végétaux.
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Sur un autre grain, on fait sauter toute la pulpe, puis on gratte avec l’ongle la peau, en la raclant bien, pour voir si les anthocyanes se libèrent facilement. Ce sont elles qui vont décider de la couleur du vin final. En général, chez nous, pas de problème… Là, on y est pas, c’est clair.

 

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Ensuite, on machouille la peau, et seulement la peau, entre les molaires, en la broyant soigneusement. Puis on se penche sur un beau caillou et on crachote le résultat : on a une idée bien suffisante du potentiel d’extractibilité des tanins et aussi de la couleur. Je reconnais, ça manque un peu de chic, mais c’est très efficace.

 

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Bon, bien sûr, tout cela oblige à se fier à ses sens, à son cerveau, à son expérience, à sa culture, à sa mémoire. Pas à celle d’un autre, voire au diktat d’une machine calibrée. La pauvre. Bien sûr, cela oblige aussi à prendre ses propres décisions, à assumer ses vins, loin de tout laboratoire, œnologue, en dehors des normes, des avis, des modes (le «Nature» recule, le « Végan» avance, la mode se démode) en suivant son propre chemin, en creusant son propre sillon. Vous seriez étonnés du peu de vignerons qui choisissent cet itinéraire. Bon, j’en conviens, il n’a rien de simple et, certains jours, on se sent très seul.

Mais dans ce métier, le doute est permanent. Ca fait partie du charme. Ou de la douleur. A chacun de voir.

Étranges maturités, cette année… En fonction des terroirs, des sols, des expositions, des périodes de taille, des cépages – bien sûr mais surtout de leurs clones – tout change.

Globalement, j’ai comme l’impression que les vignes qui ont fleuri avant le gel ont comme qui dirait accéléré (se dépêchant, ayant frôlé la mort ?), celles qui ont fleuri après la période de froid, ont comme ralenti (ralantissant, ayant frôlé la mort ?) Impression suggestive ? Vérité scientifique ? Sensation pure, Peu importe.

L’éternelle question, celle dont je n’aurai jamais la réponse, resurgit : la nature me parle t’elle ? Si oui, quel langage emploie t’elle ? Que veux t’elle me dire ? Puis je espérer le comprendre un jour ? Non, bien sûr. C’est très bien comme ça.

De toute façon, arrêtons les questions, il faut couper…

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