Vendanges 2017 – Jour 17 – Ronger son frein


Stop. Voilà, j’ai donné le signal du stop, samedi, après avoir vendangé les derniers raisins destinés aux Sorcières (supers Mourvèdre de Case de Pène).

Dans le doute.

Comme toujours.

Si tu ne doutes pas, tu n’es pas vigneron. En même temps, si tu ne les surmontes pas, tes pu…. de doutes, tu ne peux pas être un vigneron heureux.

Donc, on arrête. Il reste juste un peu de Grenache, le meilleur Carignan, le plus beau de la Vallée Nord, là haut, à 600 mètres, a pôle nord d’ci. La météo est idéale, je n’aurai pas osé la demandé et, à  moins qu’on ne m’ouvre mes clôtures ou qu’on me vole les batteries, mes raisins sont tranquille-pépère. Ne riez pas, cela arrive chaque année. Je le vois. Mais je ne veux pas consacrer le moindre temps de cerveau disponible à me poser la question de qui fait cela. Mais, bien sûr, c’est encore arrivé cette année. C’est la vie. Mais la vie de parano n’est pas une vie. Alors, je respire et je passe à autre chose.

On annonce même, enfin, un peu de pluie. Enfin, de la pluie… Si on peut dire. Parce qu’ailleurs, ce genre de pluie, on ne le note même pas : 1 mn par ici, 4 par là, de quoi laver les feuilles et assouplir le sol, le préparant pour le labour léger d’octobre auquel nous pensons déjà, bien sûr. On la prend, cette eau, et on sourit. Surtout pour les olives. Ah, si on pouvait gagner encore un calibre sur les picholines, on pourrait peut-être réparer les banquettes. Déjà dans l’année prochaine. C’est fait comme ça, un vigneron.

Ai-je raison d’arrêter ? Ai-je tort ? A vrai dire, je n’en sais rien et, en vérité, je ne le saurai jamais non plus. C’est ce qui est bien, dans ce métier : Il n’y a qu’un raisin, qu’une année, dans un terroir unique et qu’une seule date pour les vendanges. Tu le prends ? OK. Tu le laisses ? OK aussi. Dans les deux cas, tu auras du vin que tu auras et tu ne pourras jamais savoir le vin que tu aurais eu, si… Pas de regrets. Pas de remords. Au fil des années, ce genre de choix te formate un peu, te change, te «forge» même, te modèle. Moi, il m’élève. Dans la vie du domaine, bien sûr. Mais dans ma vie tout court, aussi, où je ne suis pas de ceux qui se retournent en se disant «ah, mon Dieu, si j’avais pris à droite au lieu de prendre à gauche, ma vie serait ceci, ou ne serait pas cela, dire que j’aurai pu être ceci…». Ma vie est ce qu’elle est. Je l’accepte et je l’aime. Ou je retrousse mes manches et je la change. Pour ce genre de leçon, la vigne est le maître idéal…

D’ailleurs, c’est pour cela que ce blog a eu comme un trou. Merci Jean, de m’avoir relancé, j’aurai pu, aussi, m’arrêter. Regarder les feuilles de mon platane tomber, celle de mes vignes rougir,  remettre, comme chaque année à cette époque, un peu de Sade, dont je ne me lasserai jamais, comme on ne se lasse jamais de l’automne qui pourrait bien être ma saison préférée.

Quand il fait froid, que le gris envahit la ville ou la campagne, quand le vent se lève et la pluie cherche à percer le verre de ta fenêtre, Sade ajoute quelque chose dans ta vie, te fait sourire, te rend meilleur. Ah, son premier concert à Paris, il y a si longtemps… Sourire, nostalgie. Nostalgie, sourire. Tiens, puisqu’on se dit tout ce matin, peut-être parce que je n’ai pas grand chose à dire sur cette vendange, j’aurai aimé qu’Eva Bester m’invite un jour pour m’administrer quelques un de ses «remèdes à la mélancolie», que j’écoute toujours avec plaisir . Pas assez célèbre, ne rêvons pas. Peut-être pas assez intello non plu, aussi 😉 On ne reçoit pas beaucoup de paysans dans ce genre d’émission. Dommage. On y aurait parlé de la vigne et de ce qu’elle m’a appris sur le temps long, l’impermanence ou la beauté du monde qui, quand tu vis vraiment dedans, au plus près, certains matins ou certains soirs, quand le soleil embrase ou s’éteint, te saisie à la gorge et ne te lâche plus, t’étouffant presque entre la joie qu’elle te procure et le message qu’elle t’envoie de ta fin prochaine…

L’attente. Les doutes… On s’active en cave, ne vous inquiétez pas. Une cuve, un vin a terminé ses sucres et nous montre un petit bout de ce que va être ce millésime. Quelle beauté… Quelle surprise… Moi qui voyait un millésime un peu, comment dire, allez, je l’ose, presque un peu «mou», sans trop de personnalité, je me retrouve devant Deneuve qui enlève sa peau d’Âne et me fait un gâteau…

Pardon, pardon, cher 2017… Mais chut, trop tôt encore pour y croire.

Un cadeau ?

Allez, un cadeau….

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Ah, au fait, J’ai reçu un mail charmant hier de Jasmine Hirsh, dont j’aime tant le Pinot Noir, au point que j’aimerai bien le distribuer en France, un jour (et qu’eux distribuent le mien ?) Drôle d’idée. Il est écrit :

My father has always cautioned against seeing our work as limited to our mountaintop, however beautiful and compelling it may be. Great wines by definition must honor their context: the place in which they’re grown (their terroir), the people who make them (personal and human histories) and time (the vintage). But they are not « finished » until the drinker has, with gusto, pulled the cork and enjoyed the bottle in a context of their own making. We all know how a great bottle comes alive when enjoyed in a magical place, with people we love, and with a great meal. 

Une place magique, des gens que l’on aime, des mets à la hauteur, rien de plus, rien de moins. Toujours penser au « buveur », sans qui rien n’existerait… Alors, ce matin, je pense à vous. Temps d’y aller. Journée importante.

2 commentaires

  • Jean-Luc Leguay
    27/09/2017 at 9:20 pm

    Hervé,
    Vos récits me font toujours autant basculer dans l’émotion. On oscille entre la madeleine de Proust, l’introspection et une prise de recul à des années-lumière du quotidien. Vous êtes un grand philosophe qui s’ignore. N’oubliez pas vos lecteurs qui vous écrivent peut-être trop peu mais pensent à vous de temps à autres en ouvrant une bouteille de Sorcières avec l’esprit vagabond…
    Bien à vous.
    Jean-Luc

  • Santiago
    19/12/2017 at 10:12 am

    Une belle tonalité mélancolique mais heureuse…. Un talent littéraire que vous ne devez qu’à vous- même et que j’avais remarqué…. Je ferai lire cela à mes enfants quand ils vivent eux aussi cette belle période des vendanges, souvent épuisante et qu’il faut gérer, comme vous, avec philosophie…

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