Vendanges 2017 – Jour 18 – Le temps des Carignan


18 jours… Bien plus, bien sûr. Pas tout décrit, évidement, comme les samedis où nous avons coupé, presque toujours travaillés, sans parler des jours classiques, répétitifs, qui ne m’ont pas inspiré. Tout le monde commence à être épuisé, seul le mental nous fait tenir depuis… combien de jours alors ? Je ne sais plus…

Après quelques moments de répit pendant lesquels toute l’équipe s’est, comment dire, «changée les idées» en ramassant des olives, nous voilà repartis vers les sommets : les Carignan sont prêts.

La cave coopérative a fermé. Normal. Rien à dire. Et puis la chasse appelle…

Le village s’est apaisé, encore que cette année, il ne s’est pas vraiment animé. Il est loin le temps où les vendanges étaient ici une fête, où des dizaines d’équipes de vendangeurs se retrouvaient le soir au café et dans les rues, joyeux. Il ne reste à vendanger à la main que les vignes où la machine ne peut accéder et les coteaux trop en pente. Les endroits compliqués, tardifs, décalés ont eux, déjà,  été abandonnés depuis trente ou quarante ans, au fil des campagnes d’arrachages européennes, bâclées, dévastatrices, qui auraient pourtant pu avoir les mêmes avantages sans conséquences collatérales et qui ont sonné le glas des vieux Carignan de coteaux. Ah, si on avait pris le temps de réfléchir…

En regardant l’équipe s’installer au pied de la serre de Vingrau, au bout du bout du monde, je suis pensif…
llianssou

Combien de terres sont ici disponibles ou en voie de l’être, par manque de repreneurs, pour de nouveaux projets ? 100 ha, au bas mot, facilement replantables. 100 ha de plus, avec un peu de travail, au tractopelle ou au bull. 200 ha, si le vin se vendait au même prix qu’un Cornas. Et au prix de la Côte Rotie ? Joker. Trop triste de penser que mon village a perdu sans doute 65 % des superficies plantées en 1950. Michel  Chapoutier m’a dit un jour qu’au delà de 50 euros la bouteille, on pouvait planter «vertical». Il a le sens de la formule, mon Michel. En politique, il aurait fait aussi fort que Mélanchon et son inénarrable sortie du jour, invitant les «fachos pas fâchés» à le rejoindre, poussant le racolage politique au niveau de celui de la prostituée de rue.

Le non-renouvellement des générations, voilà le sida de la coopérative. Et sans structures collectives, celles-là, un type «Vignery» ou un négoce fort, je ne vois que bien peu d’avenir à ma terre. Le monde est devenu trop complexe, le métier trop exigeant, de la paperasse à la technique, du joug administratif obsédé du contrôle aux règles de la mondialisation, tout cela est beaucoup – trop – pour un vigneron dont le métier premier devrait être d’être dans ses vignes… Et puis avec tous les imbéciles qui n’ont jamais tenues une pioche, une vrai, sauf chez Jardiland pour la photo et qui militent pour l’interdiction du glyphosate alors même qu’ils empoisonnent leurs enfants avec l’aluminium des vaccins, les vignes en pente, c’est pour ainsi dire fini. On ferait mieux d’interdire les anty-botrytis, parce que là, en région pluvieuse, c’est un vrai scandale sanitaire… Allez, je suis trop vieux pour les moulins à vent…

Journée d’équinoxe, le calendrier me confirme les informations que délivrent mes sens. 7° degré ce matin, 25 cette après midi. Temps étrange, quand même, pour l’époque. Je prend, bien sûr. J’ai beaucoup tourné dans les dernières parcelles, cherchant des signes tel un croyant en pèlerinage, obsédé par l’idée que, peut-être, une qualité supérieure était encore possible alors que, déjà, c’est certains, quelqes vins fantastiques embaument la cave. Et si c’était mon 1945 à moi, ce 2017 ? Mon 1947 ? Mon 59 ? Et si la nature avait prévu quelque chose de spécial, en cachette, un anniversaire surprise, un truc inattendu et imprévisible, ce fameux «lucky break», cet «accident heureux» qui te tombe dessus et change ta vie ?

J’aime ces millésimes à Bordeaux, que j’ai tant goûté et dont les vieux parlaient avec pudeur, sans s’approfondir, tout simplement parce qu’ils n’y étaient… pour rien. D’abord, il n’y avait aucuns moyens techniques, ni à la vendange, ni à la cave. On vendangeait dans des comportes en bois, le raisin mettait des heures à arriver au cellier, tiré par des chevaux, en plein soleil, était encuvé parfois le lendemain, égrappé sans conviction, peu pompé (et longtemps à la main), ni refroidi, ni chauffé, souvent laissé purement et simplement à lui même. Pensez vous, Madame, Michu, ces pauvres gens n’avaient même pas de «consultants», c’était la misère… Et les vins, tout d’un coup, pas toujours à la vendange, ni à l’écoulage d’ailleurs, mais plusieurs mois ou années après, se révélaient : ils «tenaient». Un an. Dix ans. Trente. Cinquante. Sans que personne n’ai jamais pu m’expliquer vraiment pourquoi… Et ce contrairement à bien des millésimes récents, passés par je ne sais combien de tubes et de machines, tripotés par je ne sais combien de mains, enfarinés de je ne sais combien d’intrants plus ou moins reluisants, dont chaque bouteille, dix ans après, vingt ans après est une nouvelle déception, de plus cuisante au fur et à mesure que passe le temps…

1959,tiens. A l’époque, j’ai cherché, c’était bon, certes, mais on pensait que «ça ne tiendrait pas». D’ailleurs, on en a beaucoup bu, parce qu’un «tien vaut mieux que deux tu l’auras». Et pourtant, quel millésime, aujourd’hui encore. Latour 59 reste un des vins que vous pouvez ouvrir sans me vexer si je viens diner chez vous 😉 Sans parler que Les millésimes «fondamentaux» sont parfois généreux, parfois avares au niveau des volumes. En fait, on a beau faire le paon, on ne SAIT pas…

Décidément plus que pensif, à vendanger mes derniers Carignan, mes merveilles, mes beautés, je me disais :  y’a t-il des châteaux qui ont raté 45 ? Un vigneron qui ne croyait pas au millésime en 59 et a vendangé trop tôt ? Un qui a raté 45 en Bourgogne ? 61 en Côte-Rotie ? Et pourquoi la Chapelle, en 49, a t’elle été un Hermitage si différent ? Et Rayas en 53 ? Si je pouvais éviter d’être le mec qui passe à travers un millésime de ce genre, ce serait bien. Alors, en 2017, j’ai traversé mes parcelles le nez au vent, sans m’arrêter, cherchant des signes…

Les signes, ils sont là, sur ces pédoncules rouges qui ne trompent pas : on est mûr.

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Bon, revenons à nos Carignan. Jamais, à cette époque, je n’ai vu un feuillage aussi vert, un système aussi «fonctionnel». Ils commencent à peine à changer de couleur, toutes les maturités (industrielle, pulpaire, phénolique) sont atteinte et, pourtant, on dépasse difficilement les 14°, ce qui est incroyable.

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Les raisins sont absolument délicieux, croquants, les pulpes se détachent tel un petit bonbon fondant qui vous saute dans la bouche, les pépins croustillent sous la dent au point qu’on pourrait les servir à l’apéritif au milieu d’un mélange de fruits secs. Pourtant, les acidités sont puissantes, comme dressées. Même les premières feuilles, juste au dessus du raisin, n’ont pas séché. Certes, il a fait quelques petites averses, mais aucunes qui ne pourraient expliquer cela. Il faut que j’arrête de me poser des questions et que j’accepte, tout simplement, la possibilité d’un mystère.

Qui vivra, verra. Puis-je vivre longtemps pour voir et boire ces vins à maturité…

8 commentaires

  • Vannier j-Pierre
    23/09/2017 at 11:31 am

    C’est pas les «fachos pas fâchés» mais les fâchés pas fachos, ce qui change tout.

    • Steph
      09/10/2017 at 12:08 pm

      Exact, Vannier Jean – Pierre. Ces « coquilles » diffamantes sont devenues à la mode ces dernieres années. Dommage.

  • jb senat
    30/09/2017 at 8:57 am

    Qu est ce que la « maturité industrielle  » ?
    Merci de m éclairer .
    Jean baptiste

    • Hervé Bizeul
      06/10/2017 at 7:26 am

      C’est une mesure qui a longtemps fait force de loi : quand le sucre arrête de monter ou l’acidité commence à descendre. On estimait qu’elle était suffisante pour faire de bons vins. On a découvert ensuite, pour les rouges, la notion de maturité polyphénolique, l’importance des peaux, des anthocyanes. Finalement, tout cela est très récent. Plus d’info ici : https://www.vignevin-sudouest.com/publications/fiches-pratiques/maturite-raisins-rouges.php

  • PL
    04/10/2017 at 4:15 pm

    « tous les imbéciles qui n’ont jamais tenues une pioche, une vrai, sauf chez Jardiland pour la photo et qui militent pour l’interdiction du glyphosate alors même qu’ils empoisonnent leurs enfants avec l’aluminium des vaccins »
    Ou comment gâcher un beau texte par un concentré de clichés idiots. avec une analyse degré zéro…

    • Hervé Bizeul
      06/10/2017 at 7:32 am

      Je ne publie d’habitude pas les commentaires de personnes anonymes, mais je vais faire une exception pour vous : mon avis est tout à fait argumenté, tout simplement parce que personne, sauf peut-être des migrants, n’ira plus jamais arracher de l’herbe à la main ou à la pioche désormais; que bien des cultures et pas seulement la vigne dépendent aujourd’hui de ce produit, sans aucun doute le moins nocif que tout; que l’interdire sans avoir chercher soit des substitues, soit avoir bien pesé les conséquences est une véritable connerie; que tous ceux qui ont un avis sur la question devraient avoir passé 4 heures à enlever les mauvaises herbes avant de décider. Il s’agit d’un choix de société, important, qui aura directement comme conséquence de diriger le consommateur vers des produits importés cultivés avec… du glyphosate.

      Quand aux vaccins, il aurait fallu d’abord obligé les labos à produire le vaccin obligatoire avant d’avancer. Mais voilà, pas assez cher, pas assez rentable. Et, là encore, c’est ceux qui on un bébé de 4 mois à qui on injecte 11 vaccins et une GROSSE dose d’aluminium qui devraient avoir clairement une voix au chapitre. Je serai ravi d’avoir désormais votre point de vue argumenté…

  • Pascal
    04/11/2017 at 9:19 am

    Bonjour Monsieur Bizeul,
    Voilà, je suis un citadin, jardinier du dimanche (et encore pas tous les dimanche), sans bagage scientifique.
    Donc pour essayer de me faire une idée, entre les bobos écolo anti tout et les marchands de produits je vais voir des personnes un peu au courant des choses. Par exemple, cet ami, producteur (en coteaux de Gironde), travaillant autrefois dans l’industrie pharmaceutique, qui travaille en agriculture raisonnée, et qui n’utilise que 3 gouttes de produit par ci par là, surtout pas plus, car ses enfant habitent à côté.
    Un autre vigneron, avec un bagage scientifique de type 3ème cycle en chimie moléculaire, et qui est tout de suite passé en biodynamie quand il a vu que les molécules des produits de synthèse qu’il utilisait étaient les mêmes que celles présentes dans les gaz de combat dont l’utilisation choque l’opinion mondiale. Le glyphosate n’est pas du tout son ami, alors que le marchand lui a dit que c’était sans danger. Lui aussi est en coteaux – champenois 😉
    Et un 3ème, producteur dans l’Eure, de patates. 4 opérations : 1 – un grand coup de roundup pour préparer mon champ. 2- Je plante les patates. 3 – Quand les patates ont poussé, un grand coup de roundup pour cramer les fanes. 4 – Ramassage des patates, qui seront vendues pour les supermarchés ou les cantines scolaires. Et vu son train de vie, je peux garantir qu’il ne croule pas sous les charges sociales.
    Là, dans cette région comme dans les coteaux de la Beauce, l’eau du robinet n’est pas toujours consommable.
    Tout ça pour dire qu’entre les producteurs d’agent orange et les buveurs de vin orange aux terrasses des cafés polluées aux gaz d’échappement, il faudrait peut-être un vrai débat, étayé, plutôt que des phrases à l’emporte pièce.
    Cela n’enlève rien bien entendu au reste de vos propos et à l’intérêt que j’ai pour ce blog, toujours extrêmement intéressant.
    Bien cordialement et bon courage pour la suite.

    • Hervé Bizeul
      04/11/2017 at 2:22 pm

      Cher Pascal,
      Je suis toujours ouvert au débat, bien sûr, merci pour vos réflexions mesurées et intéressantes… Les études qui menacent le glyphosate sont directement issues de tests effectués sur des productions OGM arrosées avec ce que je considère, bien sûr, comme un poison. Que Monsanto manipule le génome pour rendre résistantes les plantes au glyphosate est un écocide et cela devrait bien sûr, à mon sens, être interdit. Et que cela se retourne sur elle, bien fait. Que l’on nourrice des animaux avec du soja infesté de glyphosate devrait être considéré comme un crime. Alors, bien sûr, que dire d’ingérer de telles merdes. Pour autant, je ne suis ni contre les OGM ni contre le glyphosate. Ce sont deux outils, formidables, comme le sont la scie et le marteau. Sauf quand on s’en sert pour tuer un homme et le découper…. Je pense que le débat pourrait être scientifique, que l’on pourrait, gentiment, doucement, en parler, augmenter son prix, le taxer très lourdement, investir les taxes ainsi récupérées pour financer la recherche sur d’autres produit issues du bio-control ou autre. Qu’on pourrait inciter le modèle agricole à changer, les robots étant une piste, plus personne de ce côté du monde ayant le moindre plaisir ou la moindre envie et encore moins l’intention de revenir à la terre, basse, sauf à y être obligé pour survivre. Que certaines cultures, certains endroits compliqués, en pente (que seraient banyuls et autres vignes dans ce genre de configuration sans désherbant ?) pourraient avoir des autorisations, au cas par cas, la SNCF aussi pour qui l’interdiction du glyphosate poserait un immense problème. Mqis l’interdire partout où il est utilisé par confort, par appas du gain ou par flemme, pourquoi pas ? Sans se presser. En traitant d’abord les excès. Et sans mentir sur les études, juste par conviction. Voilà mon opinion, rapidement.

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