A la Saint-Jean, regarde devant


J’ai toujours aimé les dictons et les proverbes.

Bizarrement, je l’avoue, j’ai compris très tardivement la justesse, le bon sens, les nuances, la vérité (parfois les quatre…) contenus dans certains. Alors que je les connaissais depuis l’enfance, quand, lorsque je m’ennuyais, je prenais le dictionnaire et en feuilletais les pages centrales. J’en comprenais le sens sur le plan intellectuel, peut-être, et puis, un jour, j’ai parfois vécu ce que le créateur avait lui aussi vécu et qui l’avait amené à écrire ces mots. La compréhension est alors plus profonde, touche à l’intime, on ressent littéralement le sens du dicton.

«Allo, quoi, tu lisais des dictionnaires quand t’étais petit ? » L’impression de parler du Moyen-Âge…

Ainsi donc la Saint-Jean est passée. Je suis nul en rime et n’ai trouvé que ce titre au mieux médiocre. De la ville, on ne la voit plus, la Saint-Jean, on ne sait même pas ce que c’est, tant l’urbain s’est coupé du paysan, de la nature, des animaux et de la vraie vie, la réelle, celle où la pluie tombe sur la terre et non sur le béton. Ici, pour l’instant encore, c’est une fête dont le sens est un peu vague mais on fait encore un feu sur la place, le fameux « Feu de la Saint-Jean », tant que la loi et l’obsession ambiante de la sécurité le permettent. Et même une petite retraite aux flambeaux, poétique et belle. Les petits, un lampion à la main, regardent avec fierté les « grands » porter leurs torches et sauter peu après au dessus du feu, non sans hésitation. Dans l’acte, les caractères se dévoilent, les bons comme les mauvais, les prudents comme les casse-cou. Les enfants se projettent, voudraient grandir, passent une étape initiatique. Nous, sans bien sûr que personne ne l’avoue, on voudrait redevenir petit et sauter, haut, en criant sa joie et sa peur, à nouveau, au-dessus du feu. Mais le retour en arrière est impossible, la route continue. C’est la vie.

Les vignerons savent que le solstice d’été est désormais passé, que les jours raccourcissent, heure d’été ou pas, et que les vendanges, c’est demain. Mais voilà, « il y a parfois loin de la coupe aux lèvres » et d’ici les vendanges, il peut s’en passer des choses… Tiens, la grêle, par exemple, qui est venue mourir hier sur Tuchan, à cinq ou six kilomètres à vol d’oiseau. Vent, nuages, éclair, tonnerre, j’ai bien cru qu’on y avait droit. Et puis on est passé au travers. Pas d’autres : vignerons, en Limousin, en Malepère, en Corbière, en Charente, dont la récolte est compromise voire à terre, le travail d’une année tout d’un coup détruit, les espoirs anéantis, voire pire. Je pense à eux, à leur famille. P***** de métier.

La grêle, au Clos des Fées, on la craint sans doute un peu moins que d’autres. Avec 120 parcelles sur 25 kilomètres de rayon autour de Vingrau, si elle frappe, elle nous blessera, mais ne nous tuera pas. Mon assurance grêle, c’est mon «budget pneu» et les heures sur la route, en mode «liaison» passées en tracteur, en camion, pour aller d’une parcelle à l’autre. Une purge. Un gouffre financier. Mais les jours de grêle, je sais que si le ciel nous tombe sur la tête, et c’est arrivé trois fois déjà en vingt ans, ce sera 10 ou 20 pourcent des vignes, sur un couloir qui va de Maury à Embres. Jamais plus. Ou alors, c’est pas une assurance grêle, qu’il aurait fallu prévoir, c’est une Arche…

Ce soir encore, c’est un vent rageur qui se lève, après quelques jours de canicule dure. Sur les carte météo Roussillon est rouge abricot  et on frôle les 34 en fin de journée. Le vent peut soufler, tout est attaché, et bien et je me sens comme le troisième des trois petits cochons, en sécurité dans sa maison de briques. Hier, grand tour des vignes avec Serge, notre chef de culture et David, un ami éclairé et connecté dont les connaissances forcent le respect. Les vignes sont belles, la récolte prometteuse sur tous les cépages, les maladies contenues. Malheureusement, mes prévisions sur le mildiou étaient j’en ai peur un peu optimistes. La région est… dévastée, le Var et le Gard aussi, bien d’autres, me dit-on, des endroits où la maladie est d’habitude rare. L’attaque est historique et en tout cas, ici, n’a jamais vu ça de mémoire de vigneron centenaire.

On en parle avec David, qui m’a fait acheter le livre de Joseph Capus, et nous sommes tous d’accord : il fallait traiter tôt, à petite dose, les sols surtout, au tout début des pousses et intervenir après chaque orage ou chaque labour pour protéger à nouveau et empêcher les infestations primaires. Relire les anciens, qui n’avaient que le cuivre, et qui eux, « savaient ». «Un savoir oublié et la récolte est en danger». Ça ferait un dicton… Le soleil freine bien sûr désormais la maladie, mais la moindre pluie et la moindre humidité matinale, fréquentes ici l’été en cas d’entrées maritimes, permettra au mildiou de continuer son œuvre de destruction, en tout cas sur les  feuilles, sous sa forme « mosaïque ». Sans feuilles, pas de photosynthèse. Si certains ne vendangeront pas, je le crains tout en espérant me tromper, d’autres auront bien du mal à atteindre des degrés corrects, ne parlons même pas des maturité phénoliques.

Les bons vignerons, tant en bio ou en conventionnels, qui ont la passion chevillée au corps (il fallait pas compter son temps cette année ou partir en week-end…), la connaissance, les bons conseillers, le temps d’observer, le matériel, ceux là s’en sortent. D’autres vont avoir vraiment mal. Même s’il y avait une énorme sortie de raisin, partout en Europe, pas sur que les volumes de vins suivent. Espérons que je me trompe. Et qu’il fasse beau.

Pour l’instant, j’ai presque honte de la beauté de nos vignes, des raisins sains et du travail formidable réalisé par toute l’équipe, plus de quinze personnes sur le pont depuis trois mois, rien que dans les vignes. D’ores et déjà, on le sait, 2018, ce sera presque le double du coût de production d’une récolte normale . Merci aussi aux banques de nous suivre, au fait. Plus que jamais, la trésorerie reste essentielle (je sais, c’est tabou) dans la naissance d’un grand vin.

En rentrant d’une journée à faire le tour des vignes, je prends d’une main cette photo volée que je trouve étonnante et belle, repense à la Sainte-Victoire de mon enfance, me demande ce qu’il se serait passé ici si Cézanne était passé par là, me dit qu’il faut que je me remette à peindre cette montagne qui, et c’est honteux, n’a toujours pas de nom et surtout, que cette route fascinante (66 ? 😉 m’emmène vers les vendanges comme dans une chanson des sixties…

route

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