Vendanges 2018•Jour 3 – Le temps change


Le temps a changé, même. Il fait toujours beau et chaud. D’autres jours, chaud et beau. Que voulez vous, c’est le Sud, comme dirait Nino Ferrer. Mais l’on sent bien que la période dure de l’été est derrière nous. Un petit orage, quelques goutes seulement, même pas de quoi mouiller la terre, deux jours de tramontane, cela a suffit : le temps change. Faut dire que même si on le sent pas et malgré la fuite la queue entre les jambes de notre Nicolas Hulot national, notre terre qui tourne autour du soleil suit son programme : on sent bien que les forces de l’automne et de l’hiver gagnent en puissance et qu’elles poussent, vigoureusement, l’été vers sa fin inéluctable.

Internet m’apporte en temps réel la météo à dix jours, fiable. Miracle de la science et bénédiction pour le vigneron d’aujourd’hui. Combien aurait-il payé il y a cent ans pour l’avoir ? Aujourd’hui, c’est un acquis. Comme tant d’autres. Quel progrès pourtant, pensais-je, allez savoir pourquoi, en regardant les ruines du château d’Opoul, notre «fort» à nous d’où nous guette, j’aime à le croire, le fantôme de Giovani Drogo… Je n’attends pas, comme lui, la gloire. Mais, comme lui, la mort me séparera bientôt (le plus tard possible, rassurez vous, je l’espère) de mes vignes. Je pense au Désert des Tartares et je profite de ces moments de solitude totale, dans la sauvagerie du Roussillon où il n’y ni route, ni maison, ni poteaux mais le vent, les oiseaux et le calcaire.
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Le climat change, l’air est plus frais. On sent que le soleil fait de son mieux, mais voilà, on s’éloigne de lui, et sur la peau, sa chaleur forte et douce ne brûle plus. Elle caresse. Je la savoure.

Dans un jeune genêt, quelques feuilles de vigne, les premières du sarment, sont tombés naturellement pour mettre les raisins au soleil. Elle forment un tableau précis, aux couleurs froides, où il n’y rien à rajouter.

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Au bord du chemin, des échalas abandonnés marquent le souvenir du «Puits Delamer». Le dénommé Delamer passa ici une partie de sa vie à creuser un immense puits, le plus profond de la contrée, certain qu’il trouverait du pétrole et deviendrait riche. A sa mort, la vigne fut vendue, le propriétaire comblât sans tarder le puits du fou d’un coup de tractopelle pour accéder plus facilement à sa vigne. Eux même, les Toto, nous ont quitté l’année dernière, me laissant leur Carignan en héritage, le dernier greffé sur place à Vingrau, dans les années 80. Pour nos deux frères, un sou était un sou. Ils me manquent.

Un jour, peut-être ferais-je parler l’archéologue qui sommeille en chacun d’entre nous et rechercherais-je les vestiges du puits Delamer… Ou je ferai un petit crowfunding, pour creuser. Je plaisante…

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Je traîne, le nez au vent, j’aimerai avoir le nez d’un chien (enfin, pas toujours, parce que dans le métro, ça serait lourd…) afin de sentir, truffe humide frémissante, l’odeur des herbes et la traces des animaux tapis, je le sais, tout autour de moi et pourtant invisibles.

La pierre est partout, sortie du sol par des générations de vignerons, parfois empilés pour faire des murs, tantôt, comme ici, en chaos, éboulis témoins d’une époque où l’on faisais tout à la main. Des lichens s’y accrochent, lentement. Un lichen, c’est lent. Mais alors, lent.. J’aimerai pas me réincarner en lichen. Je suis trop impatient.

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La journée s’écoule, il faut rentrer. Je bénis cette région où la vigne est à sa place, sa vrai place, et où le climat, Méditerranéen, permet de mûrir à coup sûr. Ayant fait ce qu’il fallait faire, j’ai le temps pour décider exactement le jour de mes vendanges, sans que la météo ou les maladies (ou le marché…) ne le fasse pour moi.

Kiffer simplement son terroir, c’est délicieux…

Un commentaire

  • un vigneron
    02/09/2018 at 1:06 am

    « Kiffer simplement son terroir, c’est délicieux… »
    +9999999999999999999 puissance 9999999999999999999

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