Vendanges 2018 – Jour 7 – Minéralité


5/09/2018, début des «vins de lieux». Et méditation sur les pierres.

J’avais noté cet été une phrase d’Anne Dufourmentelle,  dans son livre « en cas d’amour (merci H.) « . Le récit parle bien sûr de bien autre chose (il ou elle est parti.e, il ou elle est brisé.e, les corps semblent être littéralement de pierre tant la souffrance est vive…) mais au delà de la force de la description de l’état qu’elle décrit, je l’avais noté pour parler un jour cailloux. Que voulez vous, quoi que je fasse, quoique je vive, mon cerveau ramène tout à la vigne et au vin. C’est comme ça.

« On devrait d’avantage observer les minéraux, les cailloux, la lave pétrifiée, les fossiles, la roche – ils nous disent ce que nous sommes. C’est dans cette minéralité qu’on se retranche lorsque l’amour vous est retiré.» 

Cette minéralité, en Roussillon, elle est partout et, dès que l’on passe la longue ligne droite qui traverse les masses de carbonate de calcium, ce calcaire qui fait de Vingrau un terroir singulier, on est comme plongé dans la pierre. Là, c’était dimanche soir, alors que le soleil se couchait et faisait passer, joueur, les falaises du blanc au rose. Le matin, elle sont grises (gris poussière, gris platine, gris ardoise ou gris terre d’ombre), les jours d’orage, bleues. Bleu distant ou bleu glacier. Ou parfois bleu violet. De temps en temps, bleu nocturne. C’est selon la pluie, le vent et bien sûr votre humeur. Et votre capacité à aimer et distinguer les couleurs.

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Le carbonate de calcium, c’est un marqueur fort de la vie sur terre. Depuis des années, on en cherche des traces sur Mars. La sonde Phénix en aurait enfin trouvé, il y a quelques années, ouvrant de nouvelles perspectives à une vie possible, là haut. Il est chez nous violemment extrait depuis quarante ans, défigurant les paysages et le site. J’en reparlerai, un jour, peut-être, tant c’est un sujet qui me touche. Si je trouve les bons mots. Si j’arrive à dépasser ma colère.

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Non, c’est pas Mars, c’est des lies après débourbage, couillon…

En allant vers Maury, la grande commune de Tautavel devient schisteuse, fait parfois dans le poudreux, annonçant Maury, mais aussi, dans certains secteurs, dans un caillouteux style éboulis, plus proche des terroirs qui séparent Latour de France et Lesquerde. La vigne semble alors carrément sortir du caillou.

On y a une petite parcelle, cette année magnifique. Sans doute ne l’aurais je pas acheté, à l’époque, si j’avais su ce que le Domaine deviendrait. Elle est loin, décalée au niveau des maturités, mal foutue avec ses bosses et ses creux, impossible à mécaniser. Je devrais la vendre ou l’arracher, mais l’on dirait que plus j’évoque la fin de notre relation, plus elle semble faire des efforts pour me convaincre de rester. Un peu le «suis là elle te fuit, fuis là elle te suit», vous voyez. Bizarre de penser ça d’une vigne. Décidément…

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Les vignes mettent ici entre cinq, voire dix ans pour vraiment s’enraciner. C’est notre parcelle «grand vin» la plus précoce. C’est elle que que nous vendangeons toujours en premier. C’est elle qui va nous donner le «tempo», le «la» du millésime, qui va nous dire un peu plus précisément ce que nous pouvons espérer. Ou pas. Sachant que le pire n’est jamais certain, en amour comme en vinification. Mais ça, vous le savez.

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On vendange tout le même jour : Syrah, Carignan et Grenache ensemble, à bien sûr des niveaux de maturité très différents, cépages obligent. On fixe le lieu, pas les cépages. Les Grenache, jeunes, sont généreux pour l’instant, mais ils le payent souvent à la fin de l’été. Le manque d’eau ne leur vaut rien et, on le sait, nous n’aurions sans doute pas dû les planter là. A l’époque, j’était jeune et naïf. Je le reste, d’ailleurs, et c’est très bien comme ça. Ils ont donné leur maximum cette année. On les libère plus qu’autre chose, ils sont à 11, 12° maxi mais gardent du coup un fruit très frais et apportent de l’acidité.

Les quatre micro parcelles de Syrah, pourtant côte à côte, sont bien différentes. Âge, porte-greffe, clone, en haut ou en bas de coteaux, près d’un fossé qui draine l’eau en cas d’orage ou éloigné au contraire de toute humidité, on peut lire dans chaque pied une histoire, l’histoire d’une population qui lutte pour s’en sortir, avec ce que la nature lui a donné. Dans les vignes comme dans la vie, selon où tu es né, où tu as été planté, ton destin sera bien différent. C’est la dure loi de la vie. Les sécateurs s’activent, heureux de métisser des individualités pour laisser parler un lieu.

Le soir, je prends le temps de retourner sur le lieu vendangé le jour même. Le soleil descend, la lumière s’adoucit, je saisis la beauté du grau de Maury et de l’ombre de Quéribus où guette l’âme Cathare. La tentation est de plus en plus forte de ne plus quitter ces paysages, jamais. Le danger, aussi…

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Un commentaire

  • un vigneron... dans l'âme... misérable sommelier au quotidien... mais "vigneron de formation"...
    07/09/2018 at 12:32 am

    Bravo !
    (pour cet écrit… et pour ces grappes…)

    « …. Les vignes mettent ici entre cinq, voire dix ans pour vraiment s’enraciner » une telle approche me ramène dans la vallée du Tavaro…

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