Vendanges 2018 – Jour 8 – Vinifier sans attendre



Dans la Chartreuse de Parme, film qui révéla Gérard Philippe, mon amie Joan Blondeel, sorte d’elfe malicieux et peintre au talent exceptionnel, me rappelait la réplique du directeur de la sombre tour Farnèse répondant aux remarques horifiées sur le rude inconfort de la geôle :

«…pas d’illusions, pas de désillusions…»

Je ne devrais sans doute pas le dire, mais, à vrai dire,  je n’ai encore aucune idée si je suis en train de faire un grand millésime ou pas… Bon, c’est sûr. Très bon, c’est probable. Mais grand, qui déclenchera l’émotion dans vingt ans, mystère.

Alors, pour l’instant, pas d’illusions.

Ah, Gérard Philippe. Faire un vin qui évoque spontanément chez ceux qui le boivent Gérard Philippe. Voilà un beau projet. Et un autre Audrey Hepburn. Ça aurait de l’allure… ou dédier chaque millésime à un grand homme, tiens, pourquoi pas, comme on dédie un livre à un grand auteur qui vous a influencé.

Genre :

A Albert Einstein ce millésime 2018, avec toute ma sympathie.  Hervé bizeul

ou

A Fredrich Nietzsche, il sait pourquoi. Hervé Bizeul

Ça ferait pas trop le mec qui se la ramène ? Bon, allez, un peu d’humour s’il vous plait, nom d’un chien !

En attendant, je reste persuadé que rien ne peut affirmer qu’entre la qualité des raisins sur la vigne, visuelle ou analytique et la naissance d’un grand vin, il y ait une corrélation certaine. Surtout dans le temps, bien sûr, seul arbitre de ce qui est grand ou ne l’est pas dans le vin. C’est le côté magique et mystérieux du vin, un des derniers mondes où la variable «temps» est forte, où il y a tant d’inconnues. N’en déplaise à des savants qui voudraient formater le vin comme on formate la Danette ou le Saint-Albray.

Bordeaux, pour cela, reste le meilleur des exemples, sur le plan des surprises, bonnes ou mauvaises.

Qui eut dit que 1959, que l’on présentait à l’époque comme bon, un peu plus dans certains cas et à boire dans les dix ans en tiendrait cinquante ? Qui eut dit que d’autres millésimes, plus récents, aux vendanges TRES généreuses, 75 hl/ha, parfois – qui se souvient des manifestations dans certains villages du médoc pour avoir droit à ça – auraient fait de si bons vins dans le temps ? Combien de millésimes que l’on annonça «du siècle» et qui ne tinrent pas la distance, ou en tout cas chez bien des domaines ? Tant d’autres sur des millésimes moyens qui marquèrent et marquent encore les palais et les esprits ?

J’ai pris une leçon d’humilité (je sais, je peux en prendre encore, y a de la place…) l’année dernière, si vous vous souvenez, avec un millésime 2017 que je pensais «moyen» pendant les vendanges et qui s’est révélé, au fil des maturités, comme peut-être le plus grand Clos des Fées de l’histoire du domaine…

Donc, pour l’instant, profitons du beau temps, sourions à nos vignes comme le faisait Gérard Philippe à Renée Faure. Sans oublier Maria Casares…

Je file à Paris d’un coup d’avion pour le lancement du Bettane-Desseauve. La ville grise me saisie d’effroi, la foule aussi, même si je me réjouis de revoir quelques amis, même si la plupart des têtes me sont désormais étrangères. La Landone 2014 me bouleverse au point que j’en oublie de goûter Yquem, à coté. Marcel Cuigal mérite son titre d’homme de l’année. C’est plutot à lui que je devrais dédier ce millesime…

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