Vendanges 2018 – Jour 22 – Dernières décisions


Trois jours sans voir ses vignes, c’est dur. Mais il faut ça pour vraiment voir et sentir  les différences. Dimanche, grand tour. Assez rapidement, je me rend compte que j’ai bien fait d’attendre. La légère amertume des peaux a disparu, elle sont désormais d’une extrême finesse et libèrent maintenant volontiers tanins et anthocyanes. Le mieux est l’ennemi du bien, il est temps de vendanger.

Un coup d’œil sur la météo le confirme : toujours pas de pluie, ni attendue, ni prévue pour les prochains dix jours, mais une tramontane catalane typique, au moins 90 km/h, pas de quoi fouetter un chat : ici, le vent, ou tu l’aimes, ou tu deviens fou. On s’organise avec Serge pour renforcer l’équipe et accélérer les vendanges dès lundi. Il est urgent de se presser, mais… lentement. Rien ne presse sur les vignobles les plus tardifs ni sur les Mourvèdre.

Le lundi, direction le Mas Farine, à la limite entre Opoul et Vingrau. Un monsieur Farine y cultiva un jour de la luzerne semence tandis que le souvenir d’une forêt primaire immense traine encore dans la mémoire collective du village. Aujourd’hui, c’est le paradis du Grenache.

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Je goûte, je regoûte; je doute, je redoute. Quelle parcelle en premier ? Quelle parcelle avec quelle autre ? Impossible de faire un parcellaire total, style une parcelle/une cuve. Trop de parcelles. Il faudrait 100 cuves. Je n’en ai qu’une vingtaine, dont certaines pourront sans doute servir deux fois car nous commençons à décuver les premières Syrah. Heureusement que l’année est tardive, sinon, la place manquerait…

Mais bon, on ne choisit qu’entre Osciètre et Beluga. Pas entre caviar et œufs de lump… Alors, pas de lamentation.

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Même de près, je suis bluffé : pas un grain passerillé, aucune blessure. Pas de vent pendant les vendanges, c’est rare, mais dès demain, il faudra prendre des décisions car les raisins très mûrs n’aiment pas le vent… Les grappes sont pleines, les grains gonflés alors qu’il n’a pas plus ou presque depuis quatre mois. Quel terroir…

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Voilà, j’ai décidé et les cueilleurs se mettent au travail : le haut de là avec le bas d’ici, plus un peu de celle là, en notant sur mon téléphone mes décisions pour les indiquer à la cave. Pensif, je me souviens d’un conflit, il y a longtemps, avec un stagiaire ingénieur agro : il voulait savoir pourquoi je mélangeais certains raisins, certains cépages, dans certaines cuves et pas dans d’autres, dans certaines proportions et pas dans d’autres. J’étais bien incapable de lui répondre. Il pense encore que j’appliquais une sorte de «recette» secrète, que je refusais de lui transmettre. Mes décisions ne pouvaient qu’être le résultat de la science, alors que c’est mon cœur, mon instinct qui décidait, simplement en pensant au fin que je rêvais de faire. Mon ventre aussi, tant je vis parfois cette période intensément.

Un peu, finalement, comme ma grand-mère faisait la cuisine : sans jamais rien peser… Je repense, nostalgique, à ces moments, heureux, où, enfant, je passais mon temps dans ses jupes et sa cuisine, léchant le fond de ses préparations magiques. Une chose, à ces moments, m’a sans nul doute été transmise… Et puis, jusque là, écouter mon instinct m’a plutôt réussi, alors, continuons.

On ne peut ni ne doit tout expliquer. Une part d’imperfection est essentielle, à mon sens, pour espérer provoquer un jour cette «émotion esthètique», seule vérité du grand vin.

 



Un commentaire

  • Fred
    04/10/2018 at 6:32 am

    Il faut laisser faire l’insti. Ça s’appellle aussi l’expérience…

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