Je vais bien ne t’en fais pas


Alors voilà, l’enfer s’est ouvert, il y a quelques jours et un souffle brulant a ravagé le sud . 38, 40, 42°, plus un vent chaud venu du désert, la nature a souffert. Nous aussi.

Quand je dis nous, ce sont les vignerons, les arboriculteurs, la nature elle même. Certains ne vendangeront pas, d’autres, comme nous, n’ont que quelques grappes, quelques vignes touchées. Des abricotiers se dessèchent, des amandiers finissent de mourrir de soif.

Il était inutile d’aller voir trop vite, d’aller se lamenter. Le feuillage n’était pas touché, déjà, et donc la vie elle même de la vigne n’était pas menacée. Pour les raisins, il fallait attendre pour voir ce qui allait nécroser, juste marquer et cicatriser, parties de grappes ou grappes entières.

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Sur les Pinot Noir d’Aimer, Réver, Prier, se Taire, quelques grappes exposées au soleil couchant et non protégées par les feuilles ont été touchées

Clairement, ce sont les vignes qui manquaient de vigueur qui ont souffert le plus. Pour celles qui n’avaient rien à manger, pauvres, déjà faibles, la sanction est rude. Elles sont marron. Comme disait mon grand père, qui avait 14-18, en cas de crise, les gros maigrissent, les maigres meurent. On ne le dira jamais assez, sur des terroirs pauvres et secs, déjà sans eau, l’absence d’amendement signifie, à terme, la décrépitude et la mort. Sur celles correctement nourries, le feuillage a joué pleinement son rôle protecteur, comme un parasol vous protège, sur la plage, du soleil.

Reste les grappes qui, de part leur position sur le sarment, n’étaient pas protégées et qui, exposées au soleil couchant, ont résisté vaillamment à l’addition d’UV au fil de la journée, avant de mourrir. Les raisins, désormais totalement nécrosés, tomberont d’ici les vendanges, n’impactant pas les vinifications. Une sorte de vendange en verte, soyons positif, qui aura, espérons, augmenté la qualité potentielle des survivantes.

En fonction des communes, des expositions, des géologies, les vignes ont plus souffert que d’autres. Clairement, le réchauffement climatique nous oblige à changer un paragdigme qui prévalait depuis 2000 ans : les «grands» terroirs ne sont peut-être plus les coteaux plein sud, caillouteux, précoces, secs. Les fonds de vallées, les versants nord, les terres plus profondes tiennent désormais leur revanche. Vingrau tire son épingle du jeu, les deux degrés de moins, faciles à remarquer sur le thermomètre de la voiture lorsque l’on vient de la côte ou de Perpignan, ont fait une réelle différence. Les masses montagneuses calcaires aussi.

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Sur quelques pieds de Carignan, un cépage particulièrement touché parce que le plus sensible à l’oidium et donc le plus souffré par poudrage, certains pieds, déjà faibles, sont très impactés et ne survivront peut-être pas.

Après, et parce que rien, dans la vigne et le vin n’est décidément binaire, les bio et bio-D sont cette année particulièrement touchés dans le secteur de l’Agly. Sans produit curatif (le souffre n’est que préventif), on a vite tendance à surprotéger les vignes. Le poudrage est le plus rapide et le plus économique et donc, il est facile de multiplier les traitements, de mettre des doses trop fortes, d’oublier d’alterner souffre poudre et souffre mouillable. Certains n’ont vraiment pas eu de chance et ont poudré quelques jours avant ou le matin même du coup de chaleur (ou labouré, ou girobroyé..) et poussière et souffre ont joué le rôle d’un «accélérateur de feu» stupéfiant. Voir les vignes est alors déchirant. A deux mètres près, une vigne est détruite, sa voisine d’un vert magnifique. La faute technique est alors difficile à nier.

Pourtant, certains accusent la nature et courent déjà au guichet, chercher les indemnités. La chambre d’agriculture, elle, envoie un mail à ses adhérents pour inviter à une messe de solidarité pour les agriculteurs touchés avec en guest star l’évêque de Perpignan lui même. Un conseil, de ne pas bouger, avant ? Un mot d’excuse de ne l’avoir pas fait, après ? Pensez-vous. Drôle de monde, vraiment. Dans cette Vallée de l’Agly, fief du radical socialisme des corbières, les administrations invitent désormais à se tourner vers Dieu tandis que les coopérateurs votent Front National à fond les ballons, toute honte bue. Désolé, je n’ai pas pu m’empêcher…

Certes, on dit toujours que le Sud est propice au bio, que tout est facile ici avec le soleil et le vent. Mais entre le mildiou l’année dernière et la chaleur extrême cette année, on voit que rien, dans ce métier ne peut-être généralisé. Certes, nous n’avons que bien rarement la grêle et le gel. Mais nous avons notre part de calamités.

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Chaque cépage a réagit différement à l’avant-goût de l’enfer. Ici, un Tempranillo sur quelques grappes, a prit un coup de soleil à vous donner envie de réécouter Richard Cocciante. Pas de biafine possible sur la vigne ;-), il devrait être aisé d’éliminer les grappes lignifiés à la vendange.

Plus que jamais, au lieu de suivre aveuglément un conseiller ou un label, il faut réfléchir à ce que faisaient les anciens, qui, dans ces fortes chaleurs, n’allaient tout simplement pas travailler. Pas par flemme ou parce qu’il faisait trop chaud, parce que leurs actions, ces jours là, au lieu d’être bénéfiques, auraient pu faire plus de mal que de bien.

Hors, aujourd’hui, l’état cherche à déresponsabiliser chaque jour un peu plus ses administrés. Il substitue peu à peu à la performance individuelle et à la responsabilité personnelle des règlements collectifs impossibles à respecter, chaque jour plus nombreux : le vigneron doit désormais faire appel à un intervenant extérieur pour déclencher ou pas les traitements, se mettre aux ordres d’un grand «sachant» comme disait Michel Serres, qui lui fera une ordonnance, parce que bien sûr, il est trop bête ou trop irresponsable pour se la faire lui même. Du coup, alors qu’une seule erreur touchait une seule exploitation, désormais, mal conseillées par un incapable, c’est plusieurs dizaines d’exploitations qui, s’en remettant à «l’expert», à un label, à une pseudo-science, à une théogonie de pacotille dont même les Grecs originels se seraient moqués, peuvent courir à la catastrophe collective.

Parce que nous réfléchissons par nous même, parce que nous posons des pièges à phéromones, parce que nous croyons à la science qui explique les cycles des maladies et des ravageurs, parce que nous sommes à l’écoute de nos vignes quotidiennement – «une bonne vigne voit son maître tous les jours…», dicton populaire Vingraunais –, en marchant dans leurs rangs, en caressant du bout des doigts leurs feuilles, et bien sachez qu’elles n’ont reçu aucun traitement depuis six semaines, alors que d’autres, grand donneurs de leçons, les couvrent en ce moment même d’un cuivre inutile.

Les vignes sont magnifiques, la récolte abondante, les clôtures électriques sont posées, les mises en bouteilles terminées, la cave nettoyée, le matériel révisé et testé, il est temps de partir quelques jours en vacances, pensif, déjà, à l’idée de ce que ces raisins nous donneront, curieux de la façon dont je vais aborder ce millésime, tenter, comme toujours, d’en saisir «l’esprit». Qui, sait, quelques billets philosophico-culinaire entre temps…

A lire, si vous ne l’avez pas fait, sur le sujet, le point de vue fort bien écrit d’une ancienne journaliste de Libé (d’où on parle est aussi important que ce que l’on dit, disait fort justement Bourdieux..), micro néo-vigneronne adepte des vins natures ICI. Ça a fait tellement le buzz que vous n’avez pas dû le rater. Ça vous culpabilise à mort et réveille le collaptioniste qui, fatalement, sommeille en vous. Ça donne un peu envie de se suicider tout de suite, mais attendons «il reste quelqu’un à décevoir», comme le disait avec humour Cioran. On remarquera, sourire narquois aux lèvres, que certains, au lieu de mettre un lien vers l’article, en ont profité pour faire du trafic sur leurs blog et se faire mousser. Certains osent tout. C’est comme ça qu’on les reconnait, on le sait bien.

A écouter, un petit échange amusant dans une émission de RMC IN VINO, à laquelle j’ai participé. C’est celle du 14 juillet. Un bonbon, sur la plage, où je vous souhaite, heureux.

Un commentaire

  • Carole
    16/07/2019 at 11:48 am

    Tout lu, tout écouté, toujours un grand plaisir de comprendre mieux grâce à vous M. Bizeul. Merci

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