Vendanges 2019 * Jour J+2 * Le matin paperasses


Vent frais, vent du matin. J’aurais dû mettre une veste.

A 6 h 30, on attaque la signature des contrats de tous ceux arrivés dans la nuit. Deux jours de bus depuis la Pologne ou la Roumanie. Avant cela, il y a eu toutes les déclarations préalables à l’embauche MSA, les scans, les transmissions à la préfecture. Chaque année, chaque mois, chaque semaine, une nouvelle obligation administrative nous tombe dessus. A la vigne, à la cave, comptable, taxe, douane, hygiène, droit du travail, etc.  La Loi change, on s’adapte ou on meurt. La bureaucratie domine désormais le monde (celui du vin semble être un milieu extrêmement favorable à ce développement, parfaite boite de Petri administrative…) et, honnêtement, je ne sais pas comment font les petits vignerons, ceux qui sont seuls ou presque, pour s’adapter à de telles exigences. Ils les ignorent, qui sait ? Ou, mentalement, ils sont atteints d’ un état qui leur fait dépasser la peur de gendarme et le déclaratif sur lequel ce système de domination est basé et ils s’en foutent (j’en connais…) ? Ou ne sont jamais contrôlés parce qu’ils n’ont de toute façon ni le temps pour le contrôle ni l’argent pour l’amende ? Ou ils disparaissent avant le contrôle ?  Drôle de monde.

Anyway, les vendanges commencent. Gentiment, à la Chique. Syrah magnifique, enfin, autant qu’une Syrah peut l’être sans palissage. Trop tard pour en implanter un. Trop compliqué à expliquer.

Plus de la moitié des vendangeurs sont jeunes, inexpérimentés, certains n’ont sans doute encore jamais vécu une vrai journée complète de travail physique. Ni parfois simplement passé une journée entière dans la nature. Certains vont comprendre le concept de pique-nique, cassant la croûte au bord de la parcelle.

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En groupe, en ligne, on ne peut se relâcher, on ne peut tricher. Le rythme n’est pas soutenu en ce début de journée, inutile de dégouter les bonnes volontés. Mais voilà, en fin de rang, au moment où l’on va tourner, certains ont déjà plusieurs dizaines de pieds en retard. Ceux qui ont fini plus tôt aident. Le corps souffre. Mais le mental prend le relais, quand il est là. On voudrait avancer comme les autres, «tenir son rang», quelque soit son âge, son expérience. Mais voilà, parfois le corps ne peut pas. Les mains sont gauches. Le dos tire. Le sécateur semble attiré par les doigts plus que par les grappes dont aucune ne tombe sous la main alors qu’elles s’entassent rapidement dans le seau du compagnon d’à côté qui lui, vendange parfois depuis quarante ans, maitrise son corps, ses mains, sait presque instinctivement où sont les grappes. Le voilà au bout. Déjà ! Il se retourne, revient sur ses pas, aide. Pour l’instant. Mais il est payé pareil, alors, la semaine prochaine, il faudra tenir le rythme.

Quelle école de la vie…

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Ce matin, tout le monde veut avancer, être au niveau. On puise dans son courage, dans sa fierté, de plus en plus profondément. Ou pas… Car tout n’est qu’une question de mental bien plus que de physique.

Le soir même, certains, pourtant parmi les plus forts physiquement, abandonneront. Je ne les jugerai pas. Personne ne doit les juger qui n’a pas vendangé. La première pierre, vous vous souvenez ? D’autres, ce même soir, s’endormiront, épuisés, mais tellement fiers de s’être dépassés. Dans deux ou trois jours, ils feront partie d’un groupe, constitueront une force, comprendront la puissance du collectif et le plaisir qu’il peut procurer. Raconteront l’épreuve et la force qu’ils tirent de s’être dépassés. Partout et pour toujours.

Je fais le tour des Cinsault et des Grenache. Bientôt. Tiens, les amandes sont à point. Celles, là, délicieuses, s’ouvrent sans même une pierre, du bout des doigts. Une figue ? Parfaite. Me revoilà chasseur cueilleur, pour un court instant. Mon Dieu que c’est beau, une amande…

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Au dessus de moi, les ciels magiques de septembre commencent à se dévoiler. La Tramontane se lève. Il y a dans ces ciels quelque chose d’angélique. Je ne m’en lasserai jamais. En les savourant, en cette saison, soir et matin, ne sachant jamais ce que je ciel m’a réservé, il y a en moi quelque chose de Forrest Gump devant sa boite de chocolat.

Devant ces ciels, tout retour en ville est impossible.

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La Playlist Vendanges 2019 Clos des Fées continue. Besoin d’un coup de fouet de bon matin. Gang of Youths.

ICI sur Spotify. ICI sur Deezer.

2 commentaires

  • Loïc
    03/09/2019 at 8:17 am

    Bonjour Hervé, tes posts sont toujours aussi touchants. Celui là particulièrement qui débute sur l’impact de l’administratif sur nos professions ( petits et grands artisans), l’emprisonnement, le boulet,les chaines administratives de notre pays avec en face de nous, d’autres êtres humains comme de l’autre côté d’un miroir sans teint au service d’un système pour contrôler, nous répliquer que nous n’avons pas coché la bonne case du « CERFA », etc, etc… Drôle de monde, peux être mais ô combien usant, contraignant, étouffant… Alors on s’échappe parfois, souvent, dans nos racines, ce qui nous anime, nous alimente, notre passion, nos passions…
    Mais plus loin dans ton post, quelques phrases font relever la tête, « Dans deux ou trois jours, ils feront partie d’un groupe, constitueront une force, comprendront la puissance du collectif et le plaisir qu’il peut procurer »… , allez c’est reparti.
    Merci Hervé pour tes posts, un grand bonjour à l’équipe, sacrée équipe du CLOS DES FEES, Bonnes et belles vendanges !
    A très bientôt.

  • Toad nemo
    06/09/2019 at 12:41 pm

    Merci pour ce récit plein de vie, ancré dans la réalité, tellement qu’après lecture j’ai ressenti l’impérieuse envie d’ouvrir une bouteille de La Chique, 2018, très réussi, merci.

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