Vendanges 2019 * Jour J+3 * Crevé

Pas moi. Encore que. Les tracteurs. Trois crevaisons dans la journée, je l’avoue, je ne l’avais jamais fait. Ni jamais prévu. Un pneu arrière de tracteur, celui d’un autre mais à l’avant, un pneu de benne, pleine, bien entendu. Nous voilà au bord de la route, triangle sorti, cric en action. Les trois sont réparables. Ouf. C’est là qu’il faut avoir de bonnes relations avec les artisans locaux. On les a fait bosser toute l’année, on a un multipass invisible qui permet de couper un peu les files…

Changer un pneu arrière de tracteur, c’est comme changer celui d’une voiture. En plus gros. Faut un peu de jus dans les bras. Et puis, quand même, comme on dit à Vingrau « mieux vaut  un qui sait que dix qui cherchent». Ce genre de trucs, c’est le quotidien du vigneron. Compliqué parfois. Varié, toujours.

Du coup je commande un pneu arrière. On l’aura en stock, tant pis (ou tant mieux, on verra). Mais je n’ai pas envie de me retrouver au bord de la route avec un tracteur en rade, une benne pleine derrière et un jeu de chaise musicale avec des roues arrières de tracteur…

Les journées raccourcissent à vitesse grand V. Elles commencent tôt, bien sûr. A sept heures, tout le monde est déjà bien échauffé et ça coupe dur. La tramontane s’est levée, j’aurai pu prendre une veste. Le soleil sort peu à peu de l’étang de Salses. Les vacanciers de septembre sont arrivés, m’a t’on dit. Au loin, à quelques kilomètres à peine à vol d’oiseau, les restaurants de plage sont toujours ouverts. Pour certains, c’est vacances. Ici, c’est vendanges. Et vite, parce la nature a, je le crains, décidé d’accélérer. Voire de sprinter, ce qui ne va pas vraiment nous arranger.

En une semaine, les Cinsault ont tellement changé que je ne les reconnais plus. On va faire un test à la cave, mais moi qui pensais en mettre un peu dans notre rosé  2019, ça me semble être une idée à oublier. On est une semaine trop tard. Trop de couleur, même dans le Cinsault. Honnêtement, sans machine à vendanger et refroidisseur tubulaire, faire des rosés clairs en cette période de réchauffement climatique et sur des vignes non irriguées me semble désormais une tache impossible. Je cogite. Reste des Mourvèdre. Après tout, le Bandol rosé, c’est pas mal. «Ça supporte le glaçon», comme dit mon ami A., mais ç’est pas mal. Et un peu de Carignan, peut-être, sur une parcelle un peu tardive. On va le tenter.

Je passe presque une heure à goûter des raisins et, clairement, voilà l’ébauche de mon programme de vendanges pour les deux prochaines semaines bon à foutre à la poubelle. Les possibilités s’enchainent. Je ne les compte plus. Comme sur un grand plateau de jeu de go, un choix entraine une multitude de possibilités. Qui sacrifier en récoltant un peu trop mûr si on consacre la fin de la semaine à vendanger ce qui presse ? Qui tenter de vendanger un peu trop tôt pour préserver le fruit quitte à laisser d’autres parcelles et cépages mûrir un peu trop ?

Ma tête me fait penser à ces kaléidoscopes qui m’amusaient tant dans mon enfance. Un quart de tour, que dis je un dixième de tour et voilà que le dessin change de forme, de structure, de couleur. Les choix s’annoncent difficiles. Cette année encore, je le sais, je ne pourrai, faute de moyen, rentrer chaque parcelle au bon moment. Mais qui le peut ? Latour ? Oui, Latour. Sans doute. Mais avec tant de parcelles, tant de cépages, tant de modes de taille, tant de kilomètres entre chacune d’entre elles, jamais je ne pourrai, je le crains, vendanger tout au bon moment. Alors, il faut, accepter ce qui ne peut être changé, encore et toujours.

Toute la journée, les solutions s’enchainent dans ma tête. Je deviens nerveux. 22 h, toujours pas vraiment décidé, je vais faire confiance à la nuit pour le final cut. En attendant, sans que je l’ai vraiment décidé, la chanson du jour s’est imposée. Simply Red.

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