Vendanges 2020 – Jour 15 – Souffler


Voilà, c’est fini. Depuis jeudi soir. Six jours que je remets ce billet «clap de fin», sans doute le plus difficile à écrire. Sans la pression des vendanges, sans l’engagement du billet quotidien, ce n’est plus pareil et, bizarrement, encore plus difficile.

Jeudi c’était la pleine lune, le passage de jour racine en jour fruit à 4h57, tout était réuni pour que ce que nous allions ramasser soit grandiose.

Hum.

Souvenez-vous, la théorie de la «cause unique», voilà encore que vous avez envie de «croire»… Un peu de bon sens, s’il vous plait…

J’ai plutôt été influencé par la science, si vous voulez la vérité. Météo France m’annonçait des orages, significatifs. La terre a changé de trajectoire depuis l’équinoxe, le soleil est moins fort, l’humidité sensible, la saison change, tout simplement, la nature le sait. Même si le feuillage est encore parfaitement fonctionnel, même si les raisins auraient pu «tenir», la finesse des peaux, la fragilité des grains qui ne pensent qu’à se détacher pour que leurs pépins germent (n’oublions pas que ce sont des fruits destinés à assurer un cycle de reproduction, finalement), le botrytis potentiel même si il est rare ici, trop de risques pour bien peu de gains. «Le jeu n’en aurait pas valu la chandelle», comme disait les joueurs du XVIème siècle, craintifs de parfois ne pas gagner assez pour payer les bougies.

Deux derniers jours intenses et beaux où l’on a cueilli les derniers Grenaches, somptueux.

Puis les Mouvèdres, non sans un pincement de cœur car j’aurais bien aimé, eux, les laisser mûrir encore quelques jours pour voir ce qu’ils avaient dans le ventre. Certains l’ont tenté, sur Tautavel, me souffle t’on et, apparement, ils tiennent. Vivre, c’est choisir. Et choisir, c’est renoncer. Je sais plus qui a dit ça, mais le gars était bon…

Et enfin les Carignans d’altitude, là haut, au Mas Llianssou, là où nous sommes les derniers fous à cultiver des raisins.

Et puis, tout d’un coup, jeudi soir, tout s’est relâché. Même si le travail à la cave commence à peine, je n’ai pu trouver dans le week-end le courage de commencer à écrire ce dernier billet, mille fois commencé dans ma tête, jamais terminé. Puis j’ai été pris par la folie de la cave, tant d’autres choses dont je ne parle pas ici et, enfin, ce soir, j’y change quelques derniers mots. Le voici, donc, ce billet qui clôt mon journal de vendanges 2020. Acte de transmission ? Acte de vanité d’un homme espérant laisser une trace ? Les années le diront. «Si tu veux connaître le fond d’une chose, confie-le au temps». Sénèque a si souvent raison…

Presque six semaines de vendanges et d’écriture, ne vous méprenez pas, être avec vous pendant cette période est un plaisir. L’effort s’oublie vite. Bon, j’ai un peu négligé les citations de Musso (ma lecture de l’été Covid, vous vous souvenez, me voilà imbattable sur l’auteur), j’espère que vous me pardonnerez. Les premières cuves sont déjà pressées, la cave embaume, on ferme les portes pour garder un peu de chaleur et finir les fermentations. Si faire du vin est peut-être un acte artistique – ceux qui me lisent savent que cette question me travaille depuis longtemps – une chose est sûre, produire du raisin ne l’est pas. C’est un travail de mineur de fond, de charbonnier, d’extracteur d’élixir qui n’a rien de doux, rien de tendre, rien d’amical. Mais il faut le faire pour accéder à l’étape de transmutation. Nul ne peut y couper.

Suis content de la vendange ? Oui. Ai-je fait de grands vins ? A ce stade, je n’en ai aucune idée. Tiens, ça me permet de glisser celle là, tirée de Musso. Finalement… «L’avenir n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre» Antoine de Saint-Exupéry. Nous verrons bien.

Allez, une dernière photo et toute ma reconnaissance : sans eux, rien ne serait possible. Ayez une pensée pour les vendangeurs, s’il vous plait, car la tâche est ingrate et dure… Il manque Serge, c’est le destin de celui qui prend la photo ! A l’année prochaine, les amis.

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

Alors… C’est finalement ce qui m’a le plus accompagné pendant ses vendanges. Et je l’ai beaucoup chanté à tue-tête dans la voiture. Selon les jours, c’est très gai (nous sommes peu de chose, on va mourir, profitons-en) ou vraiment très triste (nous sommes peu de chose, on va mourir, profitons-en). La fameuse bouteille, à moitié pleine ou à moitié vide.

8 commentaires

  • Francis
    08/10/2020 at 8:09 am

    Merci.

  • Patrice BONNET
    08/10/2020 at 8:32 am

    Merci pour ce billet, Hervé, le dernier… ah non, hein, il faut continuer à nous raconter, un peu quand même, la vie à la cave. Les sensations, les doutes, les joies d’un vigneron et de son équipe, on (je) veux savoir. Un petit billet de temps en temps s’il vous plait 🙂
    Un grand merci à vous pour ce récit des vendanges 2020.
    Patrice B.

  • didier brel
    08/10/2020 at 9:22 am

    Simplement merci

  • Cyril E
    08/10/2020 at 11:19 am

    merci pour l’effort et le plaisir de vous lire

  • Roger NESTI
    08/10/2020 at 5:56 pm

    Merci Hervé, comme tous les ans cela a été un plaisir de te suivre dans tes billets quotidiens.
    A bientôt le plaisir d’en discuter autour de tes nouvelles cuvées.
    Amicalement
    Roger

  • Blanc Philippe
    10/10/2020 at 4:39 pm

    toujours aussi bien écrit
    bravo

  • Rumi
    11/10/2020 at 9:08 pm

    Bravo !
    Je dois faire parti des rares qui ont lu absolument tous vos « billets vendanges » (tout en ayant quasiment jamais laissé de messages).
    Je vous lis depuis plus de 10ans.
    A l’époque je cherchais des infos sur le Mourvèdre, alors apprenti « BTS Viti-Oeno » dans le Rhône Sud, j’étais tombé sur votre fiche cépage – relativement succincte mais fort à-propos (surtout par rapport au reste de la « littérature » sur le sujet… principe parfaitement généralisable à l’ensemble de votre blog par rapport à la « presse vin »…)
    Même si je ne suis pas systématiquement en accord avec vos propos, j’apprécie toujours beaucoup vous lire, connaître vos « vues », de ce métier fantastiquement (« dinguement ») protéiforme, habillé de cette immuable ironie douce. (aussi j’ajouterais qu’ayant vécu sur paris et sa région dans les 90’s, ainsi qu’ayant eu une activité de sommelier, certaines de vos « vues » ont d’autant plus de résonance chez moi)
    Merci !

    ps : je vous encourage à persévérer dans cette merveilleuse voie de la vendange « tardive »…

  • jacques rambaud
    13/10/2020 at 7:31 pm

    Merci Hervé, pour ces billets, ces réflexions, pensées, humeurs et pas de cotés qui donnent tout le sens de votre production, si agréable à déguster ensuite.
    Et merci pour ce dernier disque, Nisis Dominus, cum dederit… un pur chef d’oeuvre a déguster là aussi sans modération.

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