Vendanges 2021 – Jour 12 – Affronter les lieux du drame


Il fallait bien y retourner. Prendre conscience de ce qu’on avait failli subir. Récolter ce qui pouvait être sauvé, alors, on y est allé.

On l’appelait «le Carignan des pins». Sic. Je dis ça je dis rien, mais je crois qu’il faut qu’on lui trouve un nouveau nom, parce que la pinède ressemble désormais à ça.

Étrange sensation, étrange odeur surtout. La pluie est passée, a collé les cendres au sol, mais l’odeur reste, extrêmement puissante, faisant ressortir un dégoût «primordial», une sensation très ancienne, sans doute liée à un cerveau animal, le reptilien je crois, lié aux réactions d’alarme et de stress. Envie de fuir, dégoût, désespoir. Broyer du noir, voilà…

Le Carignan d’à côté a ramassé avant qu’on ne le ramasse. Il ne doit d’être encore debout qu’aux pompiers qui au contraire, et c’était de bonne guerre, comptaient s’appuyer sur lui dans leur lutte – il doit tout au vent marin qui a légèrement tourné et en a épargné la partie du bas. Le haut, lui, je crois qu’on peut dire qu’il est… cuit.

Je ne vais pas répéter ce que j’ai dit au moment de l’incendie, mais je suis assez fier de lui. Il a protégé ma terre, dans le sens mes Pyrénées mais aussi l’autre partie de sa famille, les oliviers, que l’on voit derrière. Il s’est sacrifié, on peut le dire, parce que l’oliver, c’est franchement le meilleur bois pour faire un feu, ça tient longtemps et ça fait pas de cendre. Alors, en marchant entre les rangs, je le remercie et l’honore. Il n’aura pas d’enterrement aux Invalides, pas d’hommage de la nation, pas de discours du président, mais lui et Jean-Pierre Belmondo seront morts la même année (hommage spécial à Sandrine Rousseau qui l’a appelé Jean-Pierre, que je kiffe de plus en plus !).

A côté de moi plane l’ombre du Dalaï-Lama qui me murmure à l’oreille : «Hervé, tu le sais, et depuis longtemps. Il faut que tu acceptes ce qui est, que tu laisses aller ce qui était. Aie confiance dans ce qui sera». Ah, le Bouddhisme, dans ces situations là, y’a pas à dire, ça aide.

J’ai quand même une petite colère qui monte, un petit regret, hein, je l’avoue, parce qu’il était top niveau. Niveau sagesse, je suis au CM2, disons. Loin de David Carradine. Pourquoi je pense tout d’un coup à David Carranide ? Ça m’étonne que Netflix n’ait pas encore lancé un remake de «Kung Fu», tiens. Pour ceux qui étaient gamins dans les seventies, un petit coup de nostalgie ICI. « When you snatch the pebble..» Zim, Zim. Time to leave…

En fait la vigne n’a pas à proprement parlé pris feu. Ce sont les infrarouges et la chaleur qui ont desséché les sarments. Je goûte les raisins, il n’y aucun goût particulier. Le feu est passé trop vite, le vent attirait la fumée de l’autre côté, il n’y pas eu de cendres. Plus de feuilles au dessus du raisin, arrêt de l’usine à sucre, pas de maturité, ni des pulpes, ni des peaux.

Certaines vignes sont à moitié brûlées. Je me demande si, l’année prochaine, elles repartiront. De toute façon, on aura jamais une véritable population, désormais et, au fond de moi, je sais que cette vigne devra être arrachée, par moi ou par mon successeur. Et puis, un jour ou l’autre, le TGV serait passé dessus. Il faut tourner la page.

Soit on gagne, soit on apprend, disait, raconte t-on, Nelson Mandela. Je vais apprendre quelque chose, cette année. Sur les oliviers, on sait déjà, ce qui va se passer et donc ce qu’il faut faire. On dégaine la tronçonneuse et puis on élague. Passer à autre chose, faire table rase du passé. Avancer.

On vendange ce qui reste. On laisse ce qui reste. J’aurais bien tenté une cuvée «Smoked», comme celle découverte un jour à Boston. L’article est là, nostalgique, mais les photos ont disparu avec la nouvelle version de wordpress. Ainsi va le monde, nos souvenirs disparaissent avec l’obsolescence de JAVA ou la mise à jour d’un système d’exploitation, histoire que tu achètes un nouvel ordi ou un téléphone 8G. La mémoire numérique, tu parles… Bon, le restaurant, hyper sympa, Upstairs on the Square, avec une des cartes des vins les plus intelligentes et brillantes que j’ai vue dans mes voyages a fermé. No regrets.

Enfin, si, un peu quand même….

Ce que j’écoute pendant les vendanges, mais pas chaque jour.

«I habe genug, ich habe den Heiland». J’aime beaucoup la délicatesse de Christine Schäfer. Et particulièrement cette cantate de Bach. Faudra que je vous raconte un jour mon année à Berlin, avant la chute du mur. Ou pas.

Un commentaire

  • Maxence
    15/09/2021 at 8:53 am

    Cher Hervé,
    Comment rester insensible face à votre propos sur la mémoire numérique et la perte des images de votre ancien blog… Elles sont rétablies à présent 😉
    Belle journée !

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