Scanner, mon beau scanner… (la Syrah…)


Je ne sais pas si le savez, mais j’aime bien les ordinateurs. Claudine me dit souvent, en soupirant, que si on avait eu, au moment de monter le domaine, tout l’argent que j’ai donné en 20 ans à Apple, nous n’aurions même pas eu besoin d’emprunter. En faisant rapidement le compte depuis mon premier mac512, en 1985, je frémis, car je crains qu’elle ait raison. Remarquez, si j’avais eu tout l’argent que j’ai dépensé en mangeant au restaurant, ça aurait été au moins aussi bien…

Bon, pas de regrets, parce que sans tout ça, je ne comprendrais rien ni au vin, ni à la nourriture, ni aux ordinateurs et que donc, je n’écrirais pas ces lignes mémorables, destinées, soyons en sûr, à rentrer dans l’histoire. Ah, dans le deuxième cas, je serais plus mince aussi ;)). Comme dit le sage, « vivre, c’est faire des choix… ». Et surtout, ne rien regretter.

Bon, tout ça pour dire que je rêvais depuis des années d’un scanner bien particulier qui n’existait pas encore et que, gentiment, Hewlett-Packard l’a fait, juste pour moi, j’en suis sûr. Qu’a-t-il de si formidable ? Et bien, c’est juste une sorte de vitre que l’on peut détacher de son support pour la poser sur un livre. Donc, on n’abîme plus les livres et on peut en extraire plein de belles photos.

Jusque-là, vous vous en moquez et vous vous demandez ce que ça vient faire ici…

Bon, d’abord, c’est mon blog et je parle de ce que je veux. Mais, si vous avez eu le courage de me lire jusqu’ici, voilà mon cadeau :

Un magnifique dessin de Syrah tiré de l’ampélographie de Pierre Viala et Victor Vermorel (Masson, 1901-1910). Et comme j’avais ça dans mes cartons, je vous glisse un dossier sur ce cépage, je crois assez complet, mélange de livres techniques, d’observations pratiques et d’opinions personnelles. Merci internet, le voilà sur la toile…

P.S. : c’est long mais c’est passionnant. Je pars quelques jours histoire de me « vider » la tête avant les vendanges et arrêter de tourner en rond dans mes vignes que tout le monde voit mûres, sauf moi. Comme ça, vous pourrez en lire un petit bout chaque jour ;)).

LA SYRAH

Un peu d’histoire

Longtemps, l’on a jamais rien su de précis ni de certain sur l’origine de la Syrah. Elle semblait être cultivée depuis toujours sur les coteaux escarpés des vignobles du nord de la Vallée du Rhône et en Savoie. Certains ampélographes pensaient que ce cépage était être originaire d’Iran, de la petite ville de Chiraz, plus précisément, dans l’ancienne province persique de Faristan. D’autres penchaient pour une origine Chypriote ou Syracusaine mais on n’en trouvait nulle trace dans chacun de ces endroits. Les producteurs de l’Hermitage aimaient à affirmer pour leur part que l’on doit son implantation en France au Chevalier de Sterimberg qui s’établît en 1224 sur un coteau de Tain-l’Hermitage. Ceux de Côte-Rôtie parlaient même d’une origine plus ancienne et évoquaient volontiers l’empereur Probus qui autorisa, au IIIe siècle après J.-C., la plantation de vignes en Gaule.

Las, les dernières recherches génétiques sur l’origine des cépages ont fait la lumière sur cette affaire, enlevant à ce cépage une part de sa légende et de son mystère : une analyse génétique vient en effet de montrer que la Syrah est le produit d’un croisement naturel, spontané, et sans doute très local, de la Mondeuse Blanche de Savoie avec l’obscur cépage Duazé, originaire de l’Ardèche. Résultat d’un travail entre l’Université de Californie et l’INRA Agro de Montpellier, cette révélation remis la Syrah a sa place : celle d’un cépage relativement récent et surtout bien français… Gageons que grâce à la technique des empreintes génétiques appliquée à la vigne qui permet de dessiner l’arbre généalogique des cépages, bien des surprises nous attendent… (1)

Revenons à nos moutons. La réputation de cépage qualitatif ne date pas d’hier. Pourtant, trop rares sont encore les amateurs de vins qui connaissent l’histoire de ces grands crus classés de Bordeaux qui, au siècle dernier, dans les millésimes un peu faibles, étaient mélangés au vin de l’Hermitage afin de leur donner un peu de chair et de couleur. Loin de s’en cacher, certains négociants affichaient même fièrement sur leur étiquette « vin hermitagé » et l’ampélographe Viala signale même sa plantation en Gironde vers 1850. Il rapporte d’ailleurs que son affinité avec le Cabernet-Sauvignon et le Merlot est connue de longue date. Étonnant.

En dehors de ces quelques essais, la syrah fut longtemps la chasse gardée de la vallée du Rhône nord et d’une partie de l’Isère. Puis, au début du XIXe siècle, elle commença à descendre le fleuve. Les tests dans la Drôme puis dans le Vaucluse ayant donné d’excellents résultats, même sous climat chaud, elle prit rapidement la mer pour aller coloniser la Californie, l’Afrique du Sud et l’Australie, dont elle est aujourd’hui le cépage principal. Plus lents à la découvrir, les producteurs des rivages méditerranéens commencèrent à s’y intéresser à partir de la fin des années 50. Les superficies plantées en France sont passées de 1 603 ha en 1958 à 12 300 ha en 1980 et dépassent probablement 50 000 ha aujourd’hui.

(1) On notera avec amusement qu’en 1900, l’ami Viala, toujours lui, écrivait déjà que « la syrah est parfois confondue avec la Mondeuse que l’on désigne sous le nom de Grosse Syrah dans la Drôme ». Bon, il explique juste après que, visuellement, les cépages n’ont rien à voir… Mais il faut croire que la tradition locale avait encore en mémoire, qui sait, l’histoire de ce croisement hors normes.


Principaux Synonymes

Schiras, Sirac, petite sirrah (Oddart), Hignin noir (à Crémieu), Serine, Serrine, Sereine (en Côte-Rôtie), Sérène ou Serène (dans la vallée de l’lsère), Candive (à Bourgoin), Marsanne noire (à Saint-Marcellin), Entourmerin (en Savoie)

A savoir, pour faire l’intéressant…

En Californie, le cépage appelé Syrah est en fait souvent du Durif, un cépage du Sud-Ouest.

Zone de culture actuelle

La Syrah est toujours le cépage exclusif des grandes AOC du nord de la Vallée du Rhône (Hermitage, Côte-Rôtie, Saint-Joseph, Cornas). Elle est très présente dans les appellations du Rhône Sud, mais en tant que cépage secondaire (Côtes du Rhône, Côtes du Rhône Villages, Chateauneuf-du-Pape, Gigondas, Lirac, etc.)

La Syrah intervient aussi comme cépage auxiliaire dans presque toutes les appellations du Languedoc (Fitou, Corbières, Minervois, Saint-Chinian, Faugères, Coteaux du Languedoc, Costières de Nîmes, etc.), du Roussillon (Côtes du Roussillon, Côtes du Roussillon-Villages, etc.), et de Provence (Côtes de Provence, Coteaux d’Aix en Provence, Coteaux des Baux, Coteaux varois, etc.). Considéré à juste titre comme un cépage « améliorateur », un pourcentage minimum de syrah est presque toujours exigé. Elle est aussi en expansion rapide dans toutes les zones de production de Vins de Pays ainsi que dans quelques vignobles du Sud-Ouest (Gaillac, Côtes du Frontonnais, etc.).

À l’étranger, elle est très répandue en Australie, en Californie, en Afrique du Sud, au Chili, en Argentine et, plus près de nous, en Italie et en Suisse, pays qui produit quelques-uns des plus beaux vins de Syrah du monde.

Évolution des surfaces cultivées en France (en ha)

1958 1 602

1968 2 658

1979 12 282

1988 27 041

1998 37 000

2001 45 000 (estimation)

Les vins

La réputation de la Syrah n’est plus à faire. À l’origine de certains des plus grands vins rouges du monde, sa forte personnalité marque les vins d’une empreinte indélébile. Très aromatique, elle est souvent à l’origine de vins rouges charpentés, riches en tannins, d’une extrême finesse, et d’une grande complexité, titrant de 12 à 14°. Au vieillissement, ces vins se bonifient et passent alors d’arômes primaires de fermentation (framboise, cassis, myrtille, framboise sauvage, noyau) aux arômes secondaires (réglisse, cachou, violette, vanille, réséda, olive noire, poivre, fumée) puis tertiaires (truffe, cuir, sous-bois, gibier, ambre).

Dans leur jeunesse, certains vins de syrah possèdent d’intenses goûts « épicés » qui frappent parfois les esprits ; mais ces arômes et ces goûts ne transparaissent que sur les grands terroirs et dans les vins produits à faibles rendements. Ces vins-là peuvent alors vieillir plusieurs dizaines d’années, car ils possèdent aussi une certaine acidité qui leur apporte fraîcheur et distinction.

Certains dégustateurs affirment que les Syrah de la Vallée du Rhône nord sont gustativement très différentes. Cela vient à notre avis plutôt des terroirs sur lesquels elle est cultivée, une Syrah sur schiste, gneiss ou granit étant très différente d’une Syrah sur calcaire ou cailloux roulés. L’important est de retenir que la Syrah mûrit relativement vite. Les terroirs tardifs lui conviennent donc mieux, car ils permettent un mûrissement plus lent et donnent naissance à des vins plus complexes et plus frais.

Délicieuse pure, la syrah est aussi un formidable vin d’assemblage. Son fruit, son aptitude à vieillir lentement, la couleur de ses vins, toujours impressionnante avec ses reflets bleutés qui lui ont valu le surnom de « vin noir » à Cornas, tout cela compense à merveille certaines faiblesses du Grenache, du Carignan ou du Cinsault. La palette aromatique est alors encore plus complexe et, au bout de 5 à 6 ans, ces assemblages sont des vins délicieux, à la fois riches et raffinés, sur l’épice et l’animal.

Ne parler que des grands vins de garde serait injuste. Car cet extraordinaire cépage est aussi capable, à rendement plus élevé ou sur des terroirs moins nobles, de produire des rosés délicats et délicieusement parfumés ainsi que des rouges de soif tout à fait honorables.

Mets et Vins

Lorsqu’elle est pure, comme dans les vins de l’Hermitage ou de la Côte Rôtie ou fortement dominante, comme dans beaucoup de grandes cuvées du Languedoc-Roussillon, la Syrah est la compagne idéale, dans ses jeunes années, du gibier (canard au sang, civet de lièvre ou de sanglier, cuissot de biche ou de chevreuil rôti sauce poivrade ou grand veneur). Elle aime aussi les grosses pièces de bœuf cuites saignantes, comme la Côte de bœuf ou le Rostbeef. Plus assagie, la Syrah se fait plus complexe et plus fine. Elle adore les volailles et les gibiers à plume (cailles, pigeon, perdreaux, faisans), les champignons sauvages, le foie de veau, les rognons grillés juste bardés de lard et les sauces aux fruits rouges.

Principales caractéristiques culturales

De vigueur moyenne et de bonne fertilité quand elle provient de clones bien sélectionnés, la Syrah se plait dans tous les sols et sous tous les climats. La sècheresse des Cotes du Rhône, du Languedoc ou du Roussillon ne lui fait pas peur. Elle aime le schiste, le granit, le gneiss, les cailloux roulés, mais c’est sans doute sur des terres caillouteuses, chaudes, bien drainées et moyennement fertiles qu’elle donne les vins les plus puissants et les plus sensuels.

Selon les terroirs, la taille sera plus ou moins longue pour équilibrer vigueur et production. Pour ma part, je pense que le mode de conduite en cordon n’est pas le plus adapté alors qu’il est le plus conseillé. Le gobelet permet une taille courte et donne à la vigne une espérance de vie sans commune mesure avec celle du cordon. La guyot simple, quand à elle, permet des productions plus importantes et plus régulières, indispensables dans la perspective de production de vins plus digestes et plus fruités. Dans tous les cas, le palissage est obligatoire, sur fil de fer si elle est taillée en cordon, sur échalas individuel si elle est taillée en gobelet. La Syrah possède un débourrement assez tardif. Elle se récolte pourtant assez tôt puisque sa maturité intervient dix jours avant celle du Carignan. Du fait de ce mûrissement rapide, sa période optimale de récolte est assez brève et ne peut s’apprécier seulement par des critères physico-chimiques. La dégustation des baies est donc essentielle.

Elle a cependant quelques faiblesses. Elle est sensible à la sécheresse, à la chlorose, à la pourriture grise, aux acariens et aux vers de la grappe. De plus, ses rameaux cassent facilement sous les vents violents.

Description

Souche vigoureuse, à tronc moyen, port étalé, écorce donnant d’étroites lanières épaisses, foncées. Gros bourgeons, tardifs, blancs avec liseré de rose sur la jeune feuille qui tourne rapidement au blanc jaunâtre puis au vert. La feuille adulte est moyenne, possède cinq lobes, un sinus pétiolaire ouvert, profond et des sinus latéraux peu profonds mais bien marqués. Le limbe parfois gaufré, présente un aspect ondulé et tourmenté. Si la face supérieure est d’un vert sombre et glabre, la face inférieure est pâle et possède un léger duvet au niveau des nervures. Le rameau adulte, côtelé, long à très long, couleur café au lait après l’aoûtement, possède de longs mérithalles finement striés. Les entre-nœuds sont vigoureux et nombreux, les vrilles sont grêles et sèchent souvent sans s’aoûter. À l’automne, le feuillage rougit partiellement sur les bords du limbe.

La grappe, petite, moyenne ou grosse (de 80g à 200 g) selon les sélections variétales et le mode de culture, est située assez loin de l’origine du sarment. Elle est longue, cylindrique, moyennement ailée, tantôt lâche, tantôt serrée. La baie est ovoïde, d’un beau noir foncé, une pruine abondante lui donnant des reflets bleutés. La peau est fine mais résistante, la chair fondante et juteuse, le jus sucré, équilibré et complexe.

Cépage dit de deuxième époque (comme le Cabernet-Sauvignon), il est réputé débourrer 7 jours après le Chasselas et mûrir 2 à trois semaines après lui.

Clones

Treize clones sont aujourd’hui agréés par ENTAV-INRA (il doit y en avoir quelques autres, il faudrait que je regarde mais je n’ai pas le catalogue sous la main). Ils portent les numéros : 73, 99, 100, 174, 300, 301, 381, 382, 383, 470, 471, 524, 525. Si le clone 100, très productif, tient toujours la tête du palmarès des ventes, les producteurs avides de grands vins ont à leur disposition plusieurs clones très qualitatifs comme le 174, le 383, le 174 et le récent 525, tous aptes à donner de petites grappes propices à l’élaboration de vins de garde bien structurés.

Tous ces clones sont issus d’un matériel végétal sélectionné en provenance de Côte-Rôtie, de l’Hermitage ou d’anciens vignobles du Tarn-et-Garonne. De nombreux nouveaux clones qualitatifs devraient faire leur apparition dans l’avenir mais le choix, l’un des plus large du catalogue de clone, suffit aujourd’hui au bonheur de n’importe quel vigneron normalement constitué. Le porte-greffe joue, on ne le répétera jamais assez, un rôle essentiel dans la qualité du raisin et donc du vin et, pour ma part, j’emploie 3309, 101-14 et Gravesac. Sur les terrains très actifs au niveau du calcaire, le Fercal semble donner d’excellents résultats (cf la Muntada de Gérard Gauby).

Ouf. A la semaine prochaine, pour le début de vendanges…

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