I have a dream…


Voilà que pas plus tard que cet après midi , alors que j’étais perché sur mon échelle, en train de trier après l’égrappage, une chose qui ne demande pas une grande concentration mais en revanche une certaine dextérité manuelle, une pensée d’une grande profondeur me vint (c’est le cas de le dire :))). En farfouillant au cœur de ces petites billes rondes et noires, autrement dit un Carignan d’anthologie, mûr à point, fondant, parfumé et délicatement poivré, il m’est venu comme une illumination. J’eu tout d’un coup la certitude que beaucoup de vignerons n’avaient peut-être, en fait, de toute leur vie, jamais ramassé un raisin vraiment mûr, et que certains d’entre eux, qui sait, n’en avaient tout simplement jamais vu !

Bon, ma femme, qui relit ce blog afin de corriger mes fautes et savoir ce que j’ai fait de ma journée, vous dira que cette histoire la fait bien marrer, parce que comme tous les hommes (à par Napoléon, c’est bien connu, et l’on sait où cela l’a mené…), je ne peux pas faire deux choses à la fois. Et que donc, trier et penser à mon blog, ce n’est pas possible. Bon, que j’ai pensé à ce billet en triant, en conduisant le fourgon, en portant des caissettes où sous ma douche, vous conviendrez que cela n’a que bien peu d’importance (ma chérie, ne touche pas à cette phrase, s’il te plait :))), et qu’il nous faut revenir à nos moutons, en l’occurrence le raisin mûr.

Bon, en fait, il faut que je vous dise que j’étais pas plus tard que la semaine dernière (ou était-ce la semaine d’avant, je perds totalement la notion du temps pendant les vendanges) au château Pontet-Canet, pour l’inauguration du nouveau et magnifique chais de vinification en béton. (je dois avoir une photo quelque part, attendez, je cherche… là , je vous la passe :

Reconnaissez que ça a vraiment de la gueule. Déjà que les vins talonnent ce qui se fait de meilleur à Pauillac au point que, pour ma part, je le préfère et de loin à son prestigieux voisin Mouton, ca risque de changer un peu la hiérarchie dans les années qui viennent. Bon, tout ça pour vous dire qu’après le Médoc, je suis passé en coup de vent dans le Libournais, vers Saint-Emilion. Là, j’ai fait un tour dans les vignes, en voiture et à pied, pour sentir un peu l’ambiance, puis j’ai fait quelques haltes rapides dans les cuviers de propriétés peu connues qui vendangeaient déjà. A mes yeux éberlués, sur les tables de tries rutilantes, circulait un Merlot qui, à mon sens, était vert comme une trique ! Même pas à maturité technologique, alors, inutile de vous parler de maturité phénolique… Et bien, vous me croirez si vous voulez, tout le monde avait l’air ravi et mon guide m’a même assuré que pour Saint-Émilion, le millésime était particulièrement mûr. Les machines à vendanger bourdonnaient déjà dans les vignes et bien 30 à 40 % du vignoble était déjà vendangé, alors que les conditions climatiques étaient parfaites et que rien ne pressait. Mais il parait que les œnologues et les laboratoires avaient décidé que le raisin était prêt et qu’il était inutile d’attendre…

Ici, à Vingrau, demain sera sans doute le dernier jour d’ouverture de la Cave Coopérative et au Clos des Fées, nous vendangerons les dernières Syrah, cépage pourtant réputé précoce. En 2005, j’ai déjà, chose étonnante, rentré des Carignan et même quelques Mourvèdre, alors que j’ai encore tous mes Lladonner Pellut (des Grenache) sur pied… Tout ça parce que je les goûte et ne vendange une parcelle que lorsque je la trouve à parfaite maturité. A mon goût, quoi. Certaines années, l’ordre logique est respecté et l’on fait dans l’ordre les Syrah, les Grenache, les Carignan et les Mourvèdre. Mais cette année, tout a été chamboulé, parce que la nature en a voulu autrement. Moi, vous l’avez compris, je ne veux pas me disputer avec la nature, alors je fais tout comme elle dit.

Et donc, sur mon échelle (je reviens sur mon échelle, vous savez, celle sur laquelle je cogite…), je me suis dit que j’aurais vraiment aimé que certains de ces vignerons soient là, avec moi, pour voir des raisins vraiment mûrs à point, parce que peut-être, en fait, ils n’en avaient jamais vu ni goûté, et que peut-être, c’était pour cela qu’ils vendangaient trop tôt… Hélas, qui suis-je pour vouloir changer le cours des choses ? Car comme a dit un sage oriental dont j’ai oublié le nom, « tu peux toujours amener la vache à la rivière, mais tu ne peux pas la forcer à boire ». Ouf, il est temps d’aller me coucher :)))

P.S. : mon œnologue, Athanase, dont je vous parlerai abondemment une autre fois car c’est un roman à lui tout seul, me le confirme et va plus loin : selon lui, 90 % des raisins vendangés dans le monde ne seraient pas mûrs ! Mais bon, il est Grec et c’est bien connu, avec les méditérannéens, il faut faire la part des choses. Enfin, Athanase, quand il parle de vin, il ne dit pas souvent de conneries…

P.P.S. : Serge, notre chef de culture, à qui je racontais mon propos, me bougonne que si les autres vendangent du raisin vert, c’est peut-être parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, parce qu’ils n’ont pas notre soleil ni notre tramontane et que par contre, le botrytis, ils en ont souvent un peu trop. Cet homme a les pieds sur terre :)))

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