Entre la larve et la moule


Il fut un temps où, ne faisant pas de vin et n’ayant même pas l’espoir ni l’idée d’en faire un jour, j’idéalisais souvent un peu, voire beaucoup, le quotidien du vigneron.

Car voyez vous, en vérité, le dimanche d’un vigneron au milieu des vendanges n’a rien de très glamour.

Après une bonne dizaine d’heures de coma profond, le vigneron s’est réveillé à 6 heures, bien que son réveil n’est pas sonné : vingt jours de conditionnement l’ont réglé comme du papier à musique. Après avoir bondi de son lit et senti la masse pesante de son corps courbaturé, le vigneron réalise que c’est dimanche et qu’il a donc droit à une matinée de répit. Il se recouche et s’évanouit de nouveau. Après deux heures d’un sommeil emplit de rêves tourmentés (ce matin, c’était le découpage d’un beau rôti de veau, en smoking s’il vous plait, dans la galerie d’un hypermarché !), il se lève, prépare le biberon de son fils, enfile un jogging et commence à errer dans sa maison, tel un Zombi, à la recherche de nourriture. Toute la journée, d’ailleurs, son pas va ressembler à celui d’un mort-vivant dans la série culte des « profanateurs de sépultures ». Il se cogne. Grogne. Il fait tomber la moitié de ce qu’il prend. Il se lève pour aussitôt se rasseoir, sans aucune raison. Il se dirige vers une pièce puis se ravise, ayant oublié ce qui l’attirait dans cette direction. L’inactivité, en fait, le désoriente au lieu de le reposer. Il comprend mal qu’il n’y ait pas de vendangeurs, de seaux, de raisins, d’égrappage, de trie, de remontage, de stress. Il tente de regarder la télé mais après quinze jours sans petit écran, les images lui sont prodigieusement étrangères. Il relève ses mails, avale un déjeuner sans vraiment y faire attention, promène son fils sous les marronniers : ramasser les marrons et les lancer contre une porte, voilà qui lui convient à merveille…

Bon, heureusement, vers 17 heures, la vraie vie reprend son court : dans la cave 8 cuves sur 10 sont désormais pleines et toutes exigent des soins attentifs. Un de mes vieux amis (Maurice, si tu me lis, ça fait trop longtemps qu’on ne s’est pas vu…), élevé à la campagne, me racontait un jour que dans son enfance, à la ferme, la règle absolue, c’était « les animaux d’abord » : personne ne mangeait où ne pouvait se reposer avant que les animaux ne soient repus.

Mes cuves, objets pourtant inertes, ont pour moi la même exigence. La « 1 » exige d’être refroidie, la « 2 » aussi ; la trois en revanche, a besoin de chaleur pour terminer ses sucres. La « 4 », la plus jeune, n’est que jus de raisin et n’a besoin que de calme. La « 5 » démarre doucement sa fermentation et crie son besoin d’air. La « 6 » veut être vigoureusement remontée et ne refuserait pas un bon délestage. La « 7 » me demande, déjà, de la décuver. Vais-je la satisfaire ? Ainsi, à l’écoute, il me faut maintenant à la fois réfléchir et ressentir ce que chacune d’entre elles demande. Voilà, ca y est , le vigneron revit.

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