Fermentations


Si les vendanges marquent indiscutablement la fin d’un cycle, les fermentations marquent pour moi le début d’un autre. Sans doute parce que je ne suis pas né vigneron mais que j’ai choisi de le devenir, cette phase de transformation reste toujours pour moi un moment intense d’émerveillement et de joie.

Sentir cette vie, ces millions de levures en train de naître, de travailler puis de mourir, assister au plus près à ce bouleversement fondamental est vraiment pour moi un moment fort de l’année. La vinification de quelques minuscules parcelles de Clos des Fées en demi-muids de 500 litres accentue sans doute encore cette complicité. Dans une cuve, et Dieu sait pourtant qu’elles sont petites dans notre garage, on ne voit ni ne ressent la même chose. Certes, pendant les remontages, le jus de raisin en train de se transformer est là, à portée de main. Mais peut-être n’en avez-vous jamais vu ? Je descends faire une photo. Cela ressemble à ça, en fait, un jus de raisin en fermentation :

Dans les demi-muids, c’est tout le cycle que l’on ressent. Les raisins, naturellement très froids cette année grâce aux nuits à 10 ou 12 ° dès le 20 septembre, forment peu à peu un « tout » en mélangeant lentement leurs jus respectif. Petit à petit, les anthocyanes commencent à passer dans le moût, qui chez nous, se colore à une vitesse folle. Dès le début de la fermentation, on peut piger avec ses mains, enfoncer lentement le chapeau de marc dans le jus tiède, car la résistance est minime. On ressent alors les différentes zones de température, et, avec un peu d’expérience, on prend vite conscience du rythme du processus naturel, qui, heure après heure, s’emballe ou se ralentit. En y prêtant attention, on arrive même à ressentir physiquement les différences de densité, jour après jour, simplement parce que la sensation de contact avec la peau change au fur et à mesure que le sucre diminue et que l’alcool se forme. Il me semble tout simplement plonger les mains dans… la vie. Bon j’arrête là, ca risquerait de devenir un peu trop intime.

À part ça, c’est jeudi. Comme d’habitude, vers 18 heures, le chauffeur du laboratoire passera pour récolter des échantillons en vue d’analyse. Comme d’habitude, je lui dirai que pour l’instant, je n’en ressens pas le besoin et qu’à MON avis, tout se passe bien. Comme d’habitude, il me prendra pour un fou. Comme d’habitude, je sourirai. Comme d’habitude, il partira, en pensant sans doute que je suis idiot de refuser les moyens d’analyses modernes. Comme d’habitude, je penserai qu’il y a un gros risque à raisonner par soi même mais que c’est la seule voie possible si je veux continuer à faire MON vin et pas un vin conforme à un quelconque standard analytique. Comme d’habitude, la pluie continuera de tomber…

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