Agence de mannequin


Depuis quelques mois, il est de bon ton dans les dîners d’amateurs et dans la presse, de casser du sucre sur le dos des vins « concentrés ».

Un peu partout, j’entends crier haro sur le baudet. C’est à qui va crier le plus fort pour dénoncer les vins « trop riches », à l’équilibre « sudiste », au « degré trop élevé ». Qu’est ce que j’y peux, moi, si le monde entier cherche à faire des vins qui ne sont que de pâles imitations de ce que, ici, dans le sud, nous faisons naturellement ? Dois-je, parce que le nord veut faire des vins du sud, me mettre, moi qui suis au sud, à faire des vins du nord ?

Sans même réfléchir ou relativiser leur propos, des journalistes prestigieux appellent au pogrom sur les vins concentrés, sur TOUS les vins concentrés, en mettant tout, pêle-mêle, dans un grand sac qu’il faudrait, pour eux, vite jeter à la rivière. Que les bourguignons, incapables d’en faire, finalement, de ces vins qui plaisent tant au public, râlent et médisent, je trouve ça de bonne guerre. Qu’ils luttent même, en interne, pour sauvegarder un style qui a fait leur grandeur, qui s’en plaindrait ? Aubert de Villaine, un de mes modèles, dans la dernière RVF, s’insurge sur le pendule qui, selon lui, « est allé trop loin en matière de vins massifs, colorés, opulents, démonstratifs, sudistes ». Pourquoi ne précise-t’il simplement pas qu’il parle des Bourgognes « modernes ». Pourquoi, moi, devrais-je arrêter de faire des vins que mon terroir produit naturellement, sous prétexte que d’autres « tordent » littéralement leurs vins pour imiter les miens ? J’avoue avoir du mal à comprendre.

Sommes-nous en effet vraiment ensevelis sous les vins trop concentrés ? Le consommateur normal ne peut-il plus y échapper ? N’a-t-il pas d’autre choix ? Son rayon de grande surface ne lui laisse-t-il plus aucune alternative ? Qui en a trop dans sa cave ? Pas grand monde, j’en ai bien peur.

Ceux qui crient le plus fort ne mélangent-ils pas un peu leur quotidien, « œnologiquement luxueux », entouré des meilleurs vins du monde presque en permanence, et celui du consommateur normal qui, lui, n’en est pas du tout rassasié et voudrait bien les goûter, enfin, ces vins concentrés (et équilibrés). Et si possible à prix modéré.

Non, les vins concentrés, colorés, riches, soyeux, aux tanins ronds et veloutés qui roulent sous la langue et glissent divinement sur le palais sont encore trop rares dans le monde normal. Il n’y a qu’à voir les réactions des amateurs qui passent au Clos des Fées : souvent, la dégustation du plus simple de nos vins, simplement issu de raisin mûr et à l’aide d’un rendement raisonnable, est pour eux une découverte.

En fait, je me demande si le journaliste trop gâté qui voit son quotidien surchargé de bons vins de ce type, et qui, bien naturellement, en est un peu lassé, ne croit pas un peu vite que le monde entier est dans son cas.

J’en parle à mon amie Manuelle. Elle se marre. « Tu te souviens, me dit-elle, de mon ami S. G., celui qui dirigeait une agence de mannequin ? » (si je m’en souviens. Ses dîners sont innoubliables… :)) « Blasé, il se plaignait en permanence que les filles étaient trop belles, trop jeunes, trop peu farouches … »

Soyons honnêtes, 80 % des vins produits le sont encore avec des raisins pas assez mûrs et la plupart d’entre eux avec des rendements trop élevés. Des vins concentrés (pas des bodybuildés ridicules, bien sûr), on en manque. Cruellement.

Alors, ne jetons pas trop vite le bébé avec l’eau du bain.

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