« Chères » journées de décembre


Voilà quelques jours que toute l’équipe s’affaire sur notre dernière acquisition, un coteau de grenaches noirs centenaires.

J’ai longtemps hésité à acheter cette vigne, tant son état était lamentable. Mal taillée depuis des années, négligée, pleine d’herbes folles, de maladies, de bois mort, elle m’a, je l’avoue, fait pitié. Elle n’avait pas mérité de mourir comme ça, abandonnée, tel un vieillard délaissé de sa famille, cette dernière oubliant trop souvent tout ce qu’il a fait pour elle … Pour ne pas la voir arrachée en échange de quelques milliers d’euros de prime, je me lui laissé fléchir et nous sommes donc au boulot depuis plus de trois semaines.

Certes, la vigne en elle-même n’est pas bien chère, 8 à 9 000 euros l’hectare avec les frais de notaire. Mais je sais, avec l’expérience, que c’est deux à trois fois cette somme que nous devrons dépenser pour la faire revivre. Je me souviens de mes premières séances de taille à Vingrau, il y a huit ans, avec mon voisin et ami, Charlou, qui m’expliquait alors que je devais retenir quelques maximes essentielles, comme par exemple « la vigne est un bon malade ». Mon Dieu que je comprends aujourd’hui ce qu’il voulait dire ! En deux ou trois ans, nous devrions, à force d’attention et de soin, refaire de cette parcelle moribonde une vigne gaillarde, certes fort peu productive, mais donnant des raisins d’une qualité inégalable.

En attendant, c’est entre 7 et 9 personnes qui travaillent sur la parcelle, par une tramontane glacée, depuis plus de 15 jours, pour sauver un peu plus d’un hectare et demi. D’abord, il faut débarrasser à la cisaille la vigne de ses bras morts. Il y en a entre deux et cinq par pied et il faut une force considérable pour les couper avec une énorme et encombrante cisaille à main. Normalement, ce travail se fait chaque année, sous peine de voir la vigne dépérir, dévorée par les termites ou s’épuisant à irriguer de sa sève des bras improductifs. Il faut ensuite prétailler. Puis vient la taille proprement dite, affaire d’expert tant la situation est complexe. Pendant ce temps, à la pioche, d’autres font sauter les « américains », les rejets de porte-greffe. Ensuite, ils débarrassent la vigne de monceaux de bois morts, nids à maladies, de l’oïdium à l’escoriose, et les brûlent, petit tas après petit tas, en jetant par dessus toutes les mauvaises herbes, en particulier ce damné séneçon du cap, qu’il faut arracher à la main, touffe après touffe.

Ensuite, place à la mini-pelle qui, zigzagant entre les rangs, enlève tous les ceps morts, puis creuse en vue des futures « remplaces ». Ah, oui, n’oublions surtout pas de lui donner à manger, afin qu’elle reparte sur de bonnes bases, fasse du bois nouveau l’année prochaine et « aoûte » bien. Pour ça, plus de 10 tonnes hectare de matière organique seront épandues…

Enfin, les rangs étant dégagés, il faut labourer au chenillard puis, si possible, croiser. Un homme doit alors précéder le tracteur afin de lui ouvrir la route, seul moyen de ne pas abîmer les vieux ceps à qui il ne reste, pour l’instant, parfois plus qu’un seul bras. Au printemps, nous remettrons une centaine de piquets de châtaigner pour les aider, s’ils le peuvent, à se redresser fièrement. Dans la partie la plus vieille et la plus mal foutue, c’est Franck, notre muletier, qui est descendu de l’Ariège afin de passer là où toute mécanisation est impossible. Au final, en comptant tout, ce sont sans doute les plus couteuses journées de travail de la courte histoire du domaine que nous sommes en train de vivre, au point que j’ai même un peu peur d’en faire le compte…

Fallait-il faire ça ? À voir la fierté de l’équipe devant la parcelle ressuscitée, la réponse est oui, bien sûr. Pour le vin, rendez vous dans deux ou trois ans. Allez, ca fait un moment que je n’ai pas mis de photos sur ce blog. On se fait un « avant/après ». C’est parti…

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