Guignol, au secours !


J’ai besoin de toi ! Vite, prends ton gros bâton et file corriger quelques sommeliers de ma part !

Peut-être l’ignorez vous, mais j’ai commencé à goûter et à aimer le vin en agissant comme sommelier. Enfin, en vérité, je rêvais plutôt, étudiant, d’être maître d’hôtel trancheur, mais à peine mes diplômes arrachés de haute lutte, le métier avait disparu.

Une chose est sûre, oh lecteur de ce blog, un soir où la nostalgie me tenaillera violement, par une froide soirée d’hiver (et donc si ce blog existe encore l’année prochaine…) , sois certain que, des trémolos dans le clavier, je dévoilerai à tes yeux dégoulinants de gourmandise et de curiosité, la différence entre les crêpes Suzette et les crêpes flambées, la recette oubliée des poires flambées « auberge de la forêt » ou des pièges innombrables de la délicate découpe de la langue en gelée. (Enfin, pour la langue, je suis pas vraiment sûr ;-))

Mais aujourd’hui, et afin de bien situer l’endroit d’où je parle, comme dirait Bourdieu (ah, ce bizeul, quelle culture…;-) me voilà obligé de ressortir d’un classeur poussièreux mon diplôme, un peu jauni, de « Meilleur Jeune Sommelier de France » obtenu par le plus pur des hasards ou la plus merveilleuse des chances un beau jour de la lointaine année 1981. Tout ça pour dire, que même si, en me retournant, je pense que j’étais d’avantage « le moins mauvais » que « le meilleur » ce jour là, au niveau sommellerie, il faut pas m’en compter… Et que quand je dis qu’un sommelier, à moins d’une grande remise en question, ferait mieux de changer de métier, croyez moi, c’est que c’est pas loin de la vérité.

Donc, cher Guignol, voici deux cibles qui, à mon humble avis, auraient mérité que tu surgisses de l’ombre pour leur assèner un bon coup de bâton afin de les aider, tel un maître zen au milieu de son dojo, à atteindre un nouvel état de conscience et, surtout, leur apprendre la modestie (je sais, l’humilité, on vous dira que c’est pas vraiment ma spécialité, gna, gna, gna, mais bon, vous connaissez le truc, la paille, la poutre, l’œil, etc. ;-))

Tout cela étant précisé, il est temps de passer à l’histoire…

Nous voila donc, Claudine et moi, le stand monté, à la recherche d’un restaurant dimanche soir à Montpellier. J’en profite pour mettre la photo du stand monté, car il parait que ce blog manque de photos ;-))

Un coup de fil et deux kilomètres plus tard, oh miracle, nous nous retrouvons à nous regarder en face en face, dans un établissement hautement recommandé et multiplement macaroné (oh, macaroné…) par la critique. On sourit, l’air béat, espérant que sa carte bleue résistera à une telle épreuve, tout en échangeant, à la lecture du menu, des regards dignes du chat de Walt Disney lorgnant les souris cousant la robe de Cendrillon… Oui, oui, je vois que vous avez déjà vécu cela…

Tant qu’on y était, on se lâche, on choisit le « grand menu » et je me plonge dans la carte de vins. Je vous la fais courte. Enfin je vais essayer, mais c’est pas facile. En résumé, 100 ou 200 vins du Languedoc et… trois Roussillon (dont un vin de table…). Le sommelier arrive, ayant laissé son sourire au vestiaire, comme le reste du personnel d’ailleurs, et, histoire d’entamer un échange que j’espérais constructif, je lui dis un truc du genre « ah, tant de languedoc, si peu de Roussillon… ? Il me regarde d’un air affligé et me répond : « c’est normal, Monsieur, on est en Languedoc ». Pas de : « ah, bonne question… Vous êtes peut-être du Roussillon ? Voire même Vigneron ? » (la veille de Vinisud, si t’es pas vigneron, t’es acheteur ou alors, c’est pas des lunettes qu’il te faut, c’est un chien…). Non, il a pas envie de parler, je le fatigue déjà, je dois choisir, vite si possible, et me taire. J’ai repéré une demi-bouteille d’un vin blanc que Claudine n’a pas encore goûté et, pour les rouges, je décide de tenter, je dis bien de tenter, de… lâcher prise.

Je respire à fond, puis je me lance…

Pour sortir des sentiers battus et des grands classiques, il doit être, n’en doutons pas l’homme de la situation. Je me permets néanmoins d’indiquer la direction qui m’emplirait d’aise : « Un vin rouge, plutôt concentré, du Languedoc, assez bluffant, que me conseilleriez vous ? » Il tourne les pages et me met le doigt sur un Minervois 2002, inconnu et dont depuis, j’ai oublié le nom. Je lui fais part, gentiment, d’un léger doute sur la concentration du millésime 2002, fort bon, je n’en doute pas, mais pas vraiment adapté à ce que j’ai envie de boire ce soir. Ce soir, à la veille de Vinisud, pour calmer mes angoisses, mon stress, ma fatigue, j’ai envie d’un truc un peu monstrueux, en fait, qui me fasse faire ouahhhh. Ne pourrait-il pas me poser une ou deux questions, pour comprendre mon envie ? Il semble pris d’une intense réflexion, son neurone tourne à plein. Il tourne la page et met son doigt sur un vin de pays de l’Hérault en… 2002. J’hésite. Je suis fatigué. Claudine aussi. Je lui dis, d’une sourire crispé ; « vous êtes sûr ? ». Las, après une autre proposition de ma part qu’il juge, c’est évident, du plus pur ridicule, je décide de capituler. J’abandonne. Je m’en remets à lui. Il tourne les talons, s’en va d’un pas sec et rapide vers l’office, et… hausse les épaules et lève les yeux au ciel. Derrière mon dos. Devant ma femme. Il ouvrira les bouteilles sans un mot ; fera goûter, servira le premier verre puis ne s’arrêtera pas de toute la soirée à la table, prenant la tangente au moment du départ pour ne pas avoir à nous saluer. J’avoue ma honte. Dès le début, juste après sa mimique inadmissible, j’ai été lâche et ne me suis pas levé pour partir. Il était tard. Dimanche soir. Nous avions vraiment envie de dîner ici. Mais bon, j’ai beau chercher des excuses, j’aurais dû me lever, partir calmement, quitte à acheter une pizza et la finir dans la chambre. Ce qui est fait est fait.

Vois-tu, oh sommelier pour qui je n’étais ce soir là qu’un emmerdeur de plus qui t’empêchait sans doute de voir le film du dimanche soir dans ton canapé – ou pire, pour qui je n’étais… rien, j’aurais aimé te parler de ma passion du vin. De te faire part de l’admiration que j’éprouve pour ton métier, moi qui, quelque part, suis un sommelier « défroqué ». Te dire combien, souvent, être en salle me manque au point que certains soirs, je serais prêt à payer pour remettre mon tablier et servir quelques verres au Taillevent ou à la Tour d’Argent. Combien, à être généreux de sa personne, à s’ouvrir, à parler, à donner, à rire et à aimer le vin, un sommelier peut, à défaut de gagner de l’argent, s’enrichir toute une vie durant. Nous aurions pu parler de l’empathie, qualité indispensable pour faire ce métier, du plaisir qu’il peut y avoir à faire plaisir, à « retourner » et à satisfaire le client le plus obtus, le plus prétentieux, le plus sûr de lui, le plus énervé. La plénitude que l’on ressent lorsque l’on a aidé celui qui voulait briller devant ses invités ou la femme qu’il aime, celui qui voulait un vin comme ceci et non comme cela, celui qui voulait être surpris, celui qui cherchait l’aventure ou le voyage, celui qui ne voulait pas dépenser d’argent ou au contraire flamber à se faire peur, celui qui voulait juste, ce soir, là, ressentir du plaisir, qu’il soit professionnel ou tout petit buveur, celui qui n’a pas le même goût que toi, mais dont tu comprends l’attente et que tu combles. Mais non, ce soir-là, tu ne voulais qu’une chose : avoir raison.

Bravo, à ne rien donner de toi, à ne rien céder, à ne rien partager, tu as gagné au jeu du sommelier le plus antipathique de l’année. Tu nous as aussi, en passant, bien fait rire, sans le savoir, car il n’y a, tu ne le sais sans doute pas, rien de plus plaisant que « de passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile ». Au passage, tu nous as permis de comprendre pourquoi le personnel du restaurant où tu sembles si fier de travailler a une réputation maintenant bien établie de froideur et de dédain. Ce soir-là, une bonne correction de notre ami Guignol, surgissant d’un bond vigoureux de derrière le grand rideau de velours rouge, t’aurait fait, crois-moi, le plus grand bien. Parce le jour où tu paieras 700 euros au restaurant, ce que tu n’as jamais, à l’évidence, fait de ta vie, je t’assure qu’en plus de la cuisine, fort bonne au demeurant, de la chaleur humaine, de l’accueil et de la générosité, il t’en faudra, pour, en sortant, ne pas penser à tout ce que tu aurais pu faire d’autre avec cet argent…

L’autre correction demain. Je ne pensais pas que ce serait si long. Bonsoir. Désolé pour le youp’la la mais je suis trop crevé…

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