Se libérer du connu


Préambule : Petite musique d’Amjad Ali Khan pour accompagner ce blog…

Vendredi, c’était pluie. Enfin l’occasion de mettre en bouteille, à la tireuse, la barrique qui restait au fond de la cave de Josette depuis quelques temps (la cave de Josette, c’est simplement une petite cave que j’ai loué puis acheté à une charmante dame qui s’appelle Josette. Jusque là, il n’y a pas de message ;-))

Cela fait des mois que je recule devant cette petite mise en bouteilles, faite à la tireuse et à la boucheuse à main. Cela fait des années que je souhaitais faire un tel vin. Puisqu’il faut nommer les choses pour qu’elles existent, sachez que cette «cuvée», encore que je ne sois pas certain que ce nom soit adéquat, s’appellera « Se libérer du connu ». En tout cas, c’est comme ça que nous l’appellerons.

« Se libérer du connu », c’est le nom d’un célèbre livre d’un penseur indien, Jiddhu Krishnamurti, que m’a offert il y a plusieurs années mon ami Bruno, en visite à Vingrau. C’est un livre court, à ne pas confondre avec un « petit » livre, dont la lecture est bénéfique lorsqu’il arrive au bon moment dans votre vie. Pour moi, c’était indiscutablement le bon moment. Pour vous, je ne sais pas ;-)

Pour un résumé, presque un « pitch » » de la vision de Krishnamurti, je vous conseillece billet, qui vous donnera peut-être envie d’aller plus loin. C’est une bonne lecture, pour un amateur de vin qui se veut « honnête homme », dans le sens philosophique du terme. Pour approfondir un peu plus, ce dossier donne aussi une vision intéressante de l’homme et de son message.

Bref, quel rapport entre Krishnamurti et le vin, êtes vous en train de penser ? Toujours pressé, hein ? ;-)). Il faut d’abord que je vous raconte une autre histoire. N’oubliez pas de mettre la musique pour vous mettre un peu plus dans l’ambiance. N’allumez pas d’encens, faut pas exagérer ;-))

Peu avant mon départ de Paris, il y a dix ans presque jour pour jour, j’entrepris un beau jour de faire le tri dans les bouteilles de vin qui encombraient l’entrée de mon minuscule appartement. Peu de bouteilles prestigieuses, car le métier de journaliste viticole ne permet pas souvent d’acheter les vins que l’on aime. Triste monde. Mais cependant quelques bonnes bouteilles, récoltées pendant quelques voyages dans le vignoble. Quelques cuvées « hors commerce ». Quelques échantillons de vins prestigieux datant d’avant les mises en bouteilles officielles. Quelques bouteilles sans étiquettes, achetées aux enchères pour le contenu et pas pour la frime. En rangeant tout cela, j’isolais une douzaine de bouteilles assez rigolotes, toute uniques et toutes impossibles à retrouver dans le commerce. Pile poil de quoi organiser un dîner d’adieu à la capitale à mes amis et amies d’alors. Pourquoi ne pas mettre un peu de gaieté au milieu de la mélancolie, me dis-je? j’eu alors une idée aussi originale qu’amusante. Enfin je le croyais.

Quelques jours plus tard, nous voilà donc une dizaine, autour de la table, à se partager un beau poulet rôti. « Nous dégusterons à l’aveugle, se soir, les amis, si vous le voulez bien ».

Tout le monde le veut bien et se lèche les babines à l’avance.

Le repas est bon, certains vins délicieux, d’autres plutôt décevants. Au fromage, les questions arrivent :

« Au fait, on a bu quoi, ce soir ? »

– « Quelle importance, puisque c’était bon », réponds-je avec un grand sourire…

– « Telle bouteille, c’était un grand bordeaux, telle autre, un bon Châteauneuf, je suis sûr, lance un des convives.. Allez, maintenant, tu peux nous le dire »

– « Mais non, les amis. Ce soir, c’était à l’aveugle. Je vous avez prévenus. Toutes ces bouteilles sont introuvables, certaines disparues depuis longtemps, d’autres jamais commercialisées en l’état, d’autres encore trop vieilles et de toute façon bien trop chères pour nos modestes moyens à tous. Donc, vous ne pourrez jamais refaire cette dégustation et ce repas est donc unique; c’est d’ailleurs, au passage, ce qui en fait pour moi la valeur. En plus, je vous avoue que pour certaines d’entres elles, je ne sais même pas ce que c’est. »

Le ton monte vite

« Tu te moques de nous. On veut savoir si on a trouvé. On veut savoir ce qu’on a bu »

– Non, mes amis, je ne vous le dirai pas. Pourquoi est-ce si difficile de déguster sans référence ? Le plaisir était il là, oui ou non voici la seule question que vous devriez vous poser »

Bon, je vous la fait courte, la fin de la soirée fut ca-tas-tro-phi-que.

Certains invités me font d’ailleurs la gueule depuis ce jour là.

Je surpris même l’un d’entre eux en train de fouiller dans la poubelle de la cuisine pour tenter de trouver les bouteilles vides ou les bouchons…

Beaucoup, vraiment beaucoup de tensions ce soir là. Et une question, depuis : pourquoi donc est-il si difficile de boire du vin en se libérant de toutes références de cépages, de prix, de millésime, de producteur, de classement ? Et comment en sommes nous arrivés là ?

Dix ans après, maintenant que me voilà vigneron, la question se pose toujours et je dirais même, si j’osais, plus que jamais.

Boire du vin juste pour le plaisir, c’est boire juste. Non pas que je refuse, bien au contraire, l’influence d’une étiquette prestigieuse, d’une histoire bien racontée, d’un cépage ou d’un terroir soi-disant « plus prestigieux » qu’un autre, bien que parfois, tout le « pathos » autour du vin me pèse un peu (dans le sens « méthode de persuasion par appel à l’émotion du public »). Franchement, je trouve que, de temps en temps, il est bon de boire un verre de vin juste pour le plaisir, en se libérant du connu. De tout le connu. C’est loin d’être facile.

C’est le but de cette cuvée.

Elle ne sera jamais commercialisée donc elle n’aura jamais de prix.

En l’acceptant, si je vous en offre une bouteille lors d’un de vos passages au domaine, vous devrez vous engager sur l’honneur à ne jamais la vendre mais vous pourrez bien sûr la donner si le cadeau vous pèse.

Je suis le seul à savoir l’encépagement, l’origine, la vinification, l’élevage et tout le reste. Même Claudine ne le sait pas et elle est déjà assez énervée comme ça ;-)). Vous donc n’êtes pas forcé de l’accepter mais, en l’acceptant, vous vous engagez à ne pas chercher à savoir. Le but est juste de la boire, un jour, seul ou entre amis que je vous conseille d’avertir avant de la nature de l’expérience. Vous n’êtes pas obligé de me citer, d’ailleurs.

Si vous avez envie de raconter, un jour, si cela vous a amusé, déstabilisé ou gêné, les commentaires de ce billet sont ouverts et vous serez les bienvenus.

P.S. Ah, au fait, inutile de chercher une info sur le bouchon ou la bouteille, c’est un peu un mix de toutes les fins de séries de matières sèches qui trainaient à droite à gauche.

P.P.S. : première bouteille de « Se libérer du connu » offerte. A la clé, une discussion passionnante avec un de mes clients, qui passe deux mois par an en Inde, ce que j’ignorais, et échange incroyable (et impossible à raconter…) sur la philosophie boudhiste appliquée à la dégustation. J’aurais adoré l’enregistrer. Vive le vin !

P.P.P.S. : je change ce bille de rubrique. Le vin est toujours disponible. Enfin, le concept est toujours disponible ;-) De passage à Vingrau, il suffit de frapper à ma porte et de me le demander ;-)

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