Le Gamay, ce mal aimé…


Bon, aujourd’hui, je travaille pas, c’est décidé. Plus qu’une cuve à presser, la petite Sibérie est en barriques, on peut donc faire une pause, non ;-) Pour me détendre un peu, je me suis dit qu’à l’approche du troisième jeudi de Novembre, je me devais de faire un petit effort pour nos amis amateurs de vins primeurs. Et si, pour une fois, ils buvaient un peu plus « cultivés » ? Allez, je m’y colle.

P.S. : je dédie ce texte à la mémoire de Jules Chauvet. Je ne l’ai jamais rencontré. C’est un de mes grands regrets. On ne peut s’intéresser au vin sans avoir lu un de ses livres. On ne peut s’entourer de certitude en lisant ses travaux. On ne peut rester arrogant en lisant ses notes de dégustation. Il aurait aimé tenir un blog, je crois. Que nous n’y aurions pas appris…

LE GAMAY

Histoire 
Avouons le, la patrie d’origine du Gamay nous est inconnue. Il serait arrivé dans la région de Lyon aux alentours du IIIe siècle après J.C., à la faveur des largesses de l’empereur Probus qui autorisa les Gaulois à planter de la vigne sur des terrains vierges. Avant cela, la culture de la vigne se confondait sans doute avec celle de l’olivier car les plants, d’origine méditerranéenne, ne résistaient pas au froid. Sélection progressive ? Plan nouveau provenant d’un semis d’un vigneron bourguignon ? Importation par quelque légionnaire romain ? Le mystère reste entier. La génétique a du lever le voile. Mais l’information n’est pas encore arrivée jusqu’à moi. Je compte sur un lecteur qui sait.
Il trouve en tout cas sur les sols granitiques des monts du Beaujolais son terroir de prédilection. De coteaux en coteaux, il arrive en Bourgogne où les paysans lui font bon accueil puisque, à contrario du Pinot, il s’adapte à tous les sols et produit en abondance. Rapidement, les Moines, conscients du danger pour leurs grands vins et leurs clos, déjà réputés, obtiennent de Philippe le Hardi en 1395 une ordonnance qui ordonne l’arrachage du « très-mauvaiz et très-desloyaul plan nomméz Gaamez moul nysibles à créature humaine ». Le Gamay reste un cépage « maudit » et voit son expansion limitée jusqu’à la Révolution. En fait, certains ampélographes, dont Viala, pense que sous le nom de Gamay étaient plantés une multitude d’autres cousins qui n’ont rien à voir, au niveau qualité, avec le cépage qu’on connaît aujourd’hui.
Cette mauvaise réputation ne l’empêche pas de s’étendre à l’époque en Franche-Comté, dans le Jura, en Suisse et d’envahir la majorité du vignoble de l’Ile de France après le terrible hiver de 1709. Au XIX siècle, il est courant en Auvergne, dans le nord de la Bourgogne, dans la Loire, dans le Centre (Allier, Corrèze, Aveyron) et même dans le Nord-Est grâce à ses qualités agronomiques qui lui permettent de produire dans les vignobles situés à l’extrême limite de la culture de la vigne.
Si au moment du Phylloxéra, on pense qu’il couvrait plus de 150 000 hectares en France, sa culture est aujourd’hui limitée à des terroirs qui lui conviennent bien et qui représentent environ 35 000 hectares, la majorité dévolue à la production de vins primeurs. Dont 22 et quelques mille dans le Beaujolais, de mémoire.

Principaux Synonymes

Gamay noir à jus blanc (pour le distinguer de certains Gamay teinturiers, encore cultivés) , Gamay Beaujolais, Gamay de Perrache, de Saint-Galmier, de Toul, de Loire, de Dôle (en fonction des régions et des pays de production , Gamai, Petit Gamai, Petit Bourguignon.

Petite histoire
Dans de nombreux livres anciens, il est fait état d’un « Gamet Blanc » ou « Bourgogne Blanche ». Isolé en 1895 par un jardinier amateur du nord de la Bourgogne, Émile Floriot, ce cépage connut un succès éphémère contrarié par le phylloxéra. Les ampélographes le considèrent aujourd’hui comme un cousin plus proche du Melon que du Gamay.

Au fait, si vous passez un concours de Sommelier lundi (finale à Perpignan de Meilleur Sommelier de France…), n’oubliez pas que le Beaujolais blanc, c’est du Chardonnay, pas du Gamay blanc, qui plus cultivé à ma connaissance (qui n’est pas universelle pour autant ;-)

Zone de culture actuelle
On le connaît surtout pour être le grand cépage du Beaujolais (Beaujolais, Beaujolais-Villages, Crus), et du Touraine. Mais il est aussi cultivé ailleurs dans la Loire (Anjou, Coteaux du Loir, Rosé d’Anjou, Coteaux du Viennois, Châteaumeillant, Coteaux d’Ancenis, Valancay, etc.), assez répandu dans le centre ouest (Fief-Vendéens, Haut-Poitou, Vins du Thoursais) et bien présent dans le Sud-Ouest comme cépage auxiliaire (Marcillac, Gaillac, Côtes du Marmandais, Lavilledieu, etc.). Il ne faut pas oublier l’Est (Côtes de Toul) ni la Savoie (Vin de Savoie, Vin du Bugey). Il est aussi fortement répandu hors des zones AOC (Ardèche, pourtour méditerranéen), où il est classé recommandé dans de nombreuses zones de vins de table (Vins de Pays, Vins de Cépages). Très répandu en Suisse et en Italie, on le trouve aussi en Bulgarie, en Hongrie, en Russie, en Roumanie, en Slovénie ainsi que plus au sud, en Espagne, mais je n’ai jamais eu la chance de goûter un gamay Espagnol, même dans le bar le plus louche de la zone « camionneurs » de Figuères. C’est dire qu’il doit être dévolu à des endroits réservés à une clientèle triée sur le volet ;-).
Pourquoi un tel succès dans le Beaujolais ? Certains historiens soupçonnent l’emplacement, sur le fleuve, favorable au commerce, qui fut toujours actif dans la région. Un négoce demandeur de vins constants en quantité à une époque où la qualité n’était pas la priorité absolue. Le succès d’une appellation de part son emplacement adapté à un mode de transport (fluvial en Beaujolais, chemin de fer dans le sud, maritime pour les Claret bordelais) laisse songeur… A l’heure d’Internet et du village mondial, qui seront les vins qui tireront leur marrons du feu ? ;-)

Évolution des surfaces cultivées en France (en ha)
1958    37 806
1968    36 257
1979    33 869
1988    33 620
1994    33 500
2001    36 000 (estimation)
2008    Si quelqu’un peut compléter, c’est avec plaisir…

Les vins
Les vins de Gamay se limitent aujourd’hui encore pour de trop nombreux dégustateurs à des vins primeurs qu’il faut boire avant la fin du mois de novembre. Avouons que ces vins sont bien agréables quand ils sont bons : peu colorés mais possédant de belles robes rubis, brillantes et limpides ; nez caractéristiques de petits fruits rouges (fraise, framboise, cassis, cerise), souvent complétés d’arômes de « bonbon anglais » et de banane mûre, pas toujours aussi artificiels qu’on le dit ; bouches fruitées, vives et désaltérantes, les Beaujolais et les Touraine primeur ou nouveaux sont des vins de soif que l’on prend plaisir, une fois l’an, à redécouvrir, lors d’une viré entre amis.
À côté de ces stars d’un jour, le Gamay donne d’un côté, dans l’année qui suit la récolte, des vins de pays légers et fruités et des rosés frais aux parfums d’agrumes et de fleurs. Mais, sur de grands terroirs granitiques où il fait merveille (comme la Syrah…), sans doute parce qu’ils sont pauvres, il donne naissance aussi, en particulier dans la zone des crus du Beaujolais, à de grands vins soyeux et distingués, sans rien de cette soi-disant rusticité qu’on lui prête encore trop souvent, délicieux à maturité, après 2 à 5 ans de bouteille. Je l’avoue, je les aime. Certes, il est de bon ton, aujourd’hui de les dédaigner, voire de les décrier, voire plus, pour se faire passer pour un être supérieur reniant des goûts simples, tout juste bons pour la France d’en bas… Ridicule. Et fort dommage. Il y a de grands vins en Beaujolais où dans la Loire ou dans le Centre, dont, certains sont sans doute les plus désaltérants du monde, pour ainsi dire irremplaçables pour un usage « quotidien ». Ceux là même qui les critiquent s’esbaudissent en ce début de millénaire sur des vins du Rhône ou du Languedoc-Roussillon, vinifiés en sous maturiré, dont la « buvabilité » que je ne peux m’empêcher de qualifier « d’artificielle » n’arrivera jamais aux chevilles de celle des Gamay du Nord bien vinifiés, dont c’est par essence la nature. Quelle étrange monde, parfois, que celui du vin…

Mets et Vins
Vins pauvres en tannins (en général) mais délicats et fruités, les vins de Gamay accompagnent parfaitement les charcuteries et les cochonailles de toutes sortes (Jambon de montagne, saucisson, pâtés et terrines), les entrées traditionnelles de la gastronomie lyonnaise (saucisson pistaché, brioché, jambon persillé, hareng pomme à l’huile, tête de veau), les plats de bistrot (petit salé aux lentille, potée auvergnate, chou farci, andouillette), les grands fromages classiques à pâte mollle et croute fleurie, en particulier bien affinés (Camembert, Saint-Marcellin). Si ses plus beaux accords restent à mon sens le « steak frites » et le pot au feu (irremplaçable quand le plat n’est pas inutilement « enrichi » de viandes de luxe qui n’ont rien à y faire), il s’accorde bien avec la plupart des grands plats de la cuisine de ménage (blanquette, bœuf carotte, lapin chasseur) voire un beau couscous auquel il apporte une incontestable digestibilité. Sur ces plats populaire, le plus « raffiné » des dégustateurs redevient alors un « buveur », dans le sens noble du terme, levant volontiers son coude, et augmentant instinctivement la taille de ses gorgées pour boire enfin à « large soif » ;-) Son destin, finalement, reste d’accompagner nos mets de tous les jours, en toute simplicité. Il y a pire, comme destin.

Principales caractéristiques culturales
Finalement assez peu vigoureux, le Gamay exige une taille courte car tous ses bourgeons sont fertiles, surtout si on veut qu’il vive longtemps. À trop produire, il s’épuise rapidement, surtout sous des climats trop chauds qui ne lui valent rien, ne serait parce qu’il est très sensible aux coups de soleil qui « grillent » les raisins, surtout que sa précosité le fait murir au moment les plus chauds de l’été méditerranéen. Cépage précoce cultivé au Nord, parfois en zone gélive, il compense ce défaut par une bonne fertilité des bourgeons secondaires et une forte production de grapillons (qui explique aussi ses rendements parfois exagérés) ainsi que par une aptitude à mûrir précocement. Il convient aux sols argilo-calcaires mais c’est sans doute sur les terroirs pauvres et acides de granit qu’il donne les vins au plus grand caractère.

En fait, cépage populaire par excellence et planté avant le phylloxéra presque partout en France pour ses qualités de bon producteur et en vue de l’auto-consommation d’exploitations disparues, le Gamay a une grande faculté à varier par bourgeonnement spontané. De plus, contrairement à d’autres cépages, il est très influencé par son terroir, son climat et les conditions de conduite et peut donc énormément varier d’une région à l’autre, au niveau de sa végétation. Ses « caractères » définitifs et constants, à mon avis, n’ont ainsi été « fixés » que très tard, sans doute à l’arrivée des clones, dans les années 70. Autrefois, dans la même parcelle, il n’était pas rare de voir des souches aux caractères très différents, tant au niveau rendement que précocité. Certains sauvegardent en ce moment ce patrimoine génétique, je l’espère, car il est sans doute en train de vivre ses derniers jours.

Cépage solide et résistant, peu exigeant, le Gamay reste cependant sensible à la pourriture grise, à l’excoriose et, selon les conditions climatiques, au millerandage et à la grillure. Dans le Beaujolais, il était traditionnellement cultivé à 10 000 pieds/hectare, en taille courte, en gobelet ou en cordon, bien que le changement récent du décret d’appellation marque la fin ce ce mode de conduite ancestral et que l’on s’oriente vers du 8 000, voire 6 000 pied/ha (le minimum), souvent par arrachage d’un rang sur 6 afin de faciliter la mécanisation. Il est dommage que les vignerons du Beaujolais n’aient jamais communiqué sur cette façon de cultiver, très contraignante, très qualitative et sans aucun doute unique au monde. Elle donnait aux coteaux du Beaujolais une esthétique parfaite… Mais bon, elle était synonyme d’un désherbage chimique « en plein », qui n’est plus lui non plus à la mode… Pour en savoir, plus, les fiches de l’INAO ICI. C’est à mon sens intéressant parce que c’est un bon résumé de ce « qu’est » et « n’est pas » l’AOC : dans ce décret sont intimement lié des lieux, des plantes, des usages (culture ET vinification) ce que, quand on y pense, seul un Français pouvait mélanger aussi allègrement pour en faire quelque chose de cohérent, que le monde nous envie et nous copie : l’AOC… La macération carboniqueest LA NORME, alors qu’elle n’a été « inventée » qu’au début du siècle, dans le Languedoc, avec l’arrivée de la cuve béton. Avant, dans les foudres, elle était impossible puisqu’elle se fait sous « pression ». Ou tout simplement parce qu’on ne savait pas fabriquer, stocker et transporter du CO2… Au siècle dernier, on pratiquait des cuvaisons courtes de raisins foulés et non égrappés. Comme quoi, la tradition est bien une innovation qui a réussit, comme dit le sage. Passons.

Description
Bourgeonnement duveteux, blanc nuancé de vert clair.
Jeunes feuilles brillantes, jaune, taches bronze. À maturité, elles sont de taille moyenne, minces, lisses, orbiculaires, entières ou à trois lobes à peine visible, à dents courtes, avec un sinus pétiolaire ouvert en V et une face inférieure présentant sur certains clones une faible densité de poils couchés et dressés.
Sarments herbacés, vert clair, brillants, entre-nœuds de couleur rouge, vrilles petites et fines, feuillage rouge violacé en hiver.
Grappes petites à moyennes, cylindriques ou cylindro-coniques, parfois ailées mais toujours très compactes, baies ovoïdes, noires à reflets violets, abondamment pruinées. Chair molle, jus abondant, saveur fraîche et sucrée.
Cépage dit de première époque, le Gamay est réputé débourrer au même moment que le Chasselas et mûrir une semaine et demie après lui. C’est à dire tôt…

Désolé de ne pouvoir en dire plus sur la culture, j’en ai pas ;-) Qui sait, un vigneron du Nord complétera peut-être avec bonheur cette petite fiche. Voire une ou deux photos ? S’il vous plait…

Clones
17 clones sont aujourd’hui agréés par l’ENTAV/INRA. Ils portent les numéros : 102, 105, 106, 166, 222, 282, 284, 285, 356, 358, 488, 489, 490, 509 565, 656, 787. Quatre sont classés A (très qualitatifs) et leur numéro élevé dans le classement (358, 509, 565,787) montrent que les pépiniéristes et les vignerons recherchent aujourd’hui plus de qualité et moins de rendements. Dix autres clones, eux aussi agréés, sont pour l’instant peu diffusés. Ils portent les numéros : 283, 355, 357, 359, 428, 511, 512, 564, 616, et 657. Tous sont originaires soit du Val de Loire, soit de Bourgogne, soit du Beaujolais. Ils sont bien adaptés aux climatologies respectives de ces régions. Certains clones sont plus adaptés à la production de vin primeur, d’autres conviennent mieux aux vins de garde. Ils remplacent peu à peu les « sélections » du début du siècle qui portaient le nom de leur sélectionneur (Gamay Picard) où de leur lieu d’origine (d’Arcenant, de Malais, d’Evelles). C’était moins scientifique, moins pratique, mais combien plus poêtique ;-)

MAJ FEVRIER 2011 : une fiche technique avec l’arbre généalogique du cépage ICI. Merci à Pascal Durand.

Un commentaire

  • lucy
    01/06/2015 at 4:11 pm

    Bonjour,
    bravo pour votre blog! Il est passionnant. Je suis fille de vigneron et j’essaie de convaincre mon père d’écrire un blog!Manque de temps, vous devez connaitre ça aussi…
    j’aime beaucoup cet article sur le Gamay, c’est le cépage que nous produisons, alors ça me parle. Bonne continuation!

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