Quand il pleut, plume


La perdrix a toujours été mon gibier à plume préféré. Je ne suis pas de ceux qui se damnent pour les bécasses ni de ceux qui courent après les faisans. Les palombes ne m’excitent pas plus que ça, le canard sauvage est trop sauvage pour moi et je le préfère croisé, d’un bon élevage, comme d’ailleurs le pigeon. A l’automne, je mange volontiers une grive ou deux. Et ma seule et unique expérience d’un ortolan est un de mes pires souvenirs gastronomiques…

Non, au final, moi, mon truc, c’est la perdrix. J’aime en voir s’envoler un peu partout dans mes vignes et dans mes garrigues, en « compagnie », souvent, au printemps, suivie d’une ribambelle de petits perdreaux de l’année. Ce que je ne suis pas, vous le savez ;-). J’aime aussi la cuisiner. Et la manger.

Comme tout ce que l’on aime, on gagne à la connaître (pour mieux la cuisiner), voir même à la comprendre (pour mieux la chasser ;-), ce que je ne fais pas. Serge, si, et il a eu la bonne idée de m’en ramener quelques unes qui, avant plumage et vidage, ont fière allure sur la table de ma cuisine.

On fait grand cas de la perdrix grise. Oiseau des steppes comme le faisan, elle habite les régions découvertes, non forestières. Au plumage brun gris, le mâle se distingue de la femelle par une marque de fer à cheval sur le ventre. Elle aime les terrains plats, les champs et la polyculture que l’on pratiquait en France, avant le remembrement effréné des trentes glorieuses qui on fait de nos campagne les mortes plaines que l’on connait, sans haies, sans bocage, sans bois, sans friches au repos. Elle se reproduisait si bien que malgré une chasse intensive, sa survie n’était pas menacée. La monoculture, la mécanisation (surtout des récoltes de céréales, qui détruisent presque tous les nids…), les insecticides à outrance qui tuèrent sa nourriture, tout cela eu raison des « compagnies » de perdrix grises. Au nord de la Loire, les rares qui restent font preuve de bien du courage et ne survivent bien souvent que grâce à « l’aide » de l’homme. Elle vole peut et se chasse à l’affût. On en trouve pas chez nous, à moins d’une erreur de lâcher (sic…). J’en ai mangé, avec plaisir, à l’époque de ma folle vie parisienne, sur les conseils d’un volailler hors pair, qui ne jurait que par elle. Sa chair est plus sombre et les connaisseurs l’encensent. Je ne dois pas être un connaisseur car je ne connais rien de meilleur aujourd’hui qu’une perdrix rouge chassée sur « mes terres » ;-).

La rouge, tient, parlons en. Elle vit en famille, bien tranquille, dans le moindre coin de garrigue, de sous-bois, de forêt. Donc dans mes vignes, mes bois, mes landes, où j’en croise chaque année cinq à dix familles. Elle aime (comme moi ;-) les milieux variés où alternent toutes sortes de végétation. Elle semble à l’aise partout, souvent où on ne l’attend pas, attendant patiemment que l’on fonde sur elle pour s’envoler d’un geste puissant, pour se poser 100 mètres plus loin. Elle pond souvent plus d’une dizaine d’œufs, parfois dans deux nids différents, dont un est alors confié à la responsabilité du père. Original. Ses pattes sont rouges, on le voit bien sur la photo. Les héros de l’Olympe ne se nourrissaient paraît il que d’ailes de perdreaux agrémentées d’une purée de bécasse. Je ne ne sais plus où j’ai lu ça, mais ça avait dû me marquer ;-). Je n’ai jamais mangé de Perdrix Bartavelle. Ce que je sais se limite à ce que j’en ai lu dans « la Gloire de mon Père », livre que je relis de temps en temps, avec le même plaisir et l’émerveillement intact de mes premières lectures adolescentes. Romantique un jour, romantique toujours :-)

Bon, revenons aux choses pratiques. Je ne la mange que sauvage ou en tout cas en liberté depuis longtemps, car il est difficile, parfois, de les différencier après trois mois de liberté. L’élevage abattue à la sortie de la cage ne m’intéresse pas. Quand on a des principes, la moindre des choses est de les suivre. On la reconnait au bec, facilement, qui, à travailler le sol, s’est usé. Une fois plumée et vidée, elle ne dépasse guère 200 à 300 g et il faut donc impérativement une perdrix par convive. Si l’on aime sa femme, je veux dire si on l’aime vraiment, et si on veut le montrer ;-), il peut être apprécié de servir à chacun une moitié du gros et une moitié du petit volatile. Surtout si c’est la Saint-Valentin ;-). Tiens, une perdrix pour la Saint-Valentin, c’est une idée. Dans la symbolique chrétienne, c’est un des symboles de la tentation, voire de la perdition. Dans la tradition Kabyle, ce serait un moyen d’exacerber les passions… Allez, aux fourneaux ;-)

Après bien des essais, croyez moi, je retiens trois façons de la cuisiner :

– la plus simple, à la Planxa. On la fait mariner quelques heures, ouverte en deux comme un coquelet dit « à la diable », dans une huile d’olive parfumée avec du thym, du romarin, un soupçon de sauge voire un grain d’anis, quelques boules de genièvre, du poivre noir et de la fleur de sel. Puis on la passe à la Planxa brûlante. Ce qu’il y a de bien, dans cette recette, c’est que la chair reste moelleuse et que l’on peut adapter la cuisson à la grosseur des volatiles. Étant sauvage, leur taille peut varier, on l’a vu.

– la plus traditionnelle, dans une cocotte en fonte, bien dorée sous toutes ses faces dans un peu d’huile d’olive et de graisse d’oie, avec quelques oignons grossièrement émincés, des gousses d’ail en chemise et quelques herbes de garrigues. La chair est un peu sèche, diront certains, mais le goût est unique… Si on a une barde de lard de qualité, ça peut aussi se concevoir. Mais le lard se fait rare…

– la plus pittoresque, quand on a du temps et une cheminée, la préparation dite « à la ficelle ». On leur garde le cou et surtout la tête. On frictionne l’oiseau vigoureusement, intérieur et extérieur avec la marinade avancée plus haut. Puis on place une belle ficelle autour du cou de la bête, on adapte la hauteur pour qu’elle soit devant un beau feu de sarments de grenache, on la fait tourner d’une pichenette, au dessus d’un plat en fonte sur lequel on a eu l’intelligence gourmande, car il s’agit bien de cela, de glisser une grosse et épaisse tranche de pain grillé. Il suffit de continuer à faire tourner l’oiseau de temps en temps, en le badigeonnant au pinceau du reste de marinade. Trente minutes à attendre, si le feu va bien. Mais trente minutes, déjà de plaisir, à voir tourner et blondir l’oiseau et les parfums se répandre dans la maison. Puis on ouvre l’oiseau en deux, on le glisse sur le pain et on sert ça avec une belle salade d’hiver, aillée mais sans vinaigre, juste de l’huile d’olive et de la fleur de sel. Le vin doit être du Sud et à maturité, s’il vous plait.

Que la vie peut-être simple et belle, parfois…

Bon, si le perdreau est loin et la perdrix coriace, on peut aussi la faire pocher un peu avant de la cuire, voire la braiser avec du chou, ce qui lui convient bien. Mais c’est pas mon genre de cuisine, j’ai jamais réussi une papillote au choux. Pourtant, j’aime ça, le chou. Allez savoir… Un peu vieille, je préfère alors la faire « confire » dans de la graisse d’oie, comme un confit, mais en la cuisant moins, bien sûr.

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