3 asperges, 2 œufs coque, une mouillette


Voilà mon repas d’hier soir, chers amis. Pendant que certains, sur la blogosphère, racontent leurs incroyables enchainements culinaires un peu partout en Europe, moi, c’est les œufs coque. Oh, me direz vous, les œufs coque, on s’en fout. A voir.

La semaine a été pleine de hauts et de bas. Des bonnes nouvelles, des moins bonnes, des neutres. Pleine aussi de nombreux problèmes à gérer, des bilans à terminer aux sécateurs électriques à réparer, des couteaux de la broyeuse thermique éclatés à l’envoi d’un petit mailing pour terminer de proposer à nos clients la cuvée » de battre mon cœur s’est arrêté 2008», de l’incendie d’une palette de cartons, d’étiquettes et de bouchons en pleine mise en bouteilles (à cause d’un mégot…) à un aller-retour en Belgique, de, de, de, bref, la vie quotidienne du vigneron qui, parfois, me semble plus rebondissante qu’un James Bond. Aujourd’hui, c’est le joint du piston du karcher qui lâche, la membrane de la périlstaltique à changer, les chenilles du viti-plus qui sont déjà usées par les cailloux coupants, les, les, les… Faire du vin, c’est gérer des problèmes quotidiens.

Bon, faire du vin, c’est aussi trouver une des dernières bordures de vignes où les asperges sauvages ne m’ont pas été moissonnées et, d’un seul coup, en une dizaine de minutes, en récolter une grosse poignée. Stop. Inutile d’en ramasser plus qu’il n’en faut. Cela suffira pour ce soir. Les asperges sauvages, c’est un souvenir de gamin, un gamin du sud, qui, depuis tout mioche, court la pinède et s’écorche les mollets, le nez dans le romarin en fleur, pour trouver les précieuses asperges dont on ne goute pleinement la saveur que lorsque on les a soi même ramassées. Souvenirs. Souvenirs. Souvenirs. Je met trois « souvenirs », parce que sinon, on commence à fredonner du Johnny dans sa tête ;-)

Bon, au cas où vous n’auriez pas compris, c’est donc plein de nostalgie que j’entamais la préparation de mon repas. Nostalgie de mon enfance, de sa liberté et de son insouciance. Nostalgie de ma grand-mère et de ma mère qui ne sont plus là pour me faire des omelettes baveuses dont le goût me semble impossible à reproduire. Nostalgie de ma vie à Paris où, pris par la réalisation d’un CD-Rom avec Jean-Pierre Coffe, notre repas souvent tardif se limitait à quelques œufs de bonne naissance, c’est à dire dont Jean-Pierre connaissait personnellement la mère, voire l’appelait par son prénom ;-)

J’ai appris bien des choses en travaillant avec Jean-Pierre Coffe – en particulier que quand on avait que des produits qui ne correspondaient pas à l’éthique qu’on s’était fixé, on se faisait deux œufs, et qu’il n’y avait pas de compromission possible – mais, étrangement, celle qui me revient ce soir, celle qui me sera vraiment toujours utile toute ma vie, c’est faire cuire les œufs coque.

Plus simple, c’est pas possible. Les œufs doivent être à température de la pièce. On les met dans un grand saladier. On fait bouillir de l’eau, à la bouilloire électrique, c’est encore plus simple si vous en avez une. On verse l’eau en grande quantité sur les œufs. On couvre avec une assiette ou un couvercle. On compte cinq minutes (pour ça, le minuteur de l’Iphone, c’est vraiment pratique ;-). C’est fini.

Ah, il est beau, le truc, pensent certains d’entre vous. Oui, il est beau. Et il faut l’essayer pour comprendre. Les œufs sont… sublimes. On dirait qu’on a en a jamais mangé avant, en fait. Le jaune est chaud, coulant, le blanc juste pris, pas dur. La température, basse, est homogène, et donc, le deuxième est lui aussi parfait, contrairement à la cuisson classique ou il y en a toujours un qui continue à cuire. Tout est fondant, onctueux, délicat, gouteux. Bref, la méthode transforme la matière. Essayez, vous verrez.

Bon, en trempant mes asperges dans mes œufs, entre deux mouillettes de campagne à la mie bien alvéolée et fort confortablement beurrées, je me suis dit que le bonheur gastronomique tenait à peu de chose et que, sincèrement, parfois, la cuisine la plus compliquée du monde (et la plus chère…) ne me donnait pas autant de satisfactions…

Peu après, les œufs coques me rendirent pensifs, m’emplissant, comme à chaque fois, d’un questionnement existentiel profond : dans la vinification, existerait-il, qui sait, une simple méthode, un peu plus douce, un peu plus longue, un peu plus chaude ou froide, un petit je ne sais quoi, une simple arabesque lattérale qui transformerait à ce point le produit final et apporterai au vin des qualités et des goûts encore inconnus ? Encore une question à laquelle je n’aurai jamais la réponse… Retrempons la mouillette ;-)

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